Après y avoir résisté durant vingt ans, la Malaisie a ratifié, le 4 mars, le Statut de Rome. Elle rejoint ainsi la Cour pénale internationale (CPI), tribunal international permanent créé en 1998 et chargé de poursuivre les crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression.
La Malaisie devient le quatrième pays de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) à se joindre à la CPI, après le Cambodge, le Timor oriental et les Philippines. En mars 2018, le président des Philippines, Rodrigo Duterte, a cependant proclamé le retrait de son pays de la CPI, après le dépôt d’une plainte pour crime contre l’humanité liée à sa « guerre contre la drogue » qui a fait des milliers de victimes. Le retrait des Philippines pourrait devenir effectif à partir du 17 mars 2019.
Le dossier du vol MH17
Deux raisons principales expliquent la décision de la Malaisie.
La première est liée à la destruction du vol MH17 de la compagnie aérienne Malaysia Airlines – un Boeing 777 transportant 298 personnes dont 43 Malaisiens – par un missile tiré selon toute vraisemblance par des éléments armés pro-russes basés dans l’Est de l’Ukraine, en juillet 2014. Comme la plupart des victimes étaient néerlandaises, la Malaisie avait consenti à ce que l’enquête criminelle et le processus judiciaire soient effectués au Pays-Bas. Certains politiciens malaisiens, comme le ministre des Ressources humaines, avaient toutefois suggéré que si, à l’époque, la Malaisie avait déjà ratifié le Statut de Rome, elle aurait pu porter le cas du vol MH17 devant la CPI. « Le meilleur moyen de rendre justice aux victimes de crimes de cette ampleur est que les tribunaux nationaux soient complétés par la CPI », avait notamment déclaré M. Kulasegaran, en novembre 2018. « En se joignant à la CPI, Kuala Lumpur peut maintenant jouer un rôle important dans toutes les questions liées aux crimes contre l’humanité », a-t-il précisé au lendemain de la ratification.
Le crime contre les Rohingyas
L’autre raison, probablement plus décisive, est le fait que la Malaisie a été le seul pays membre de l’Asean à avoir dénoncé sans ambages les crimes de masse commis contre les musulmans rohingyas par les militaires birmans, dans l’Est du Myanmar. Ces crimes ont abouti à l’exode forcé d’environ un million de Rohingyas vers le Bangladesh. En septembre 2018, les juges de la CPI ont jugé que la cour était compétente sur au moins une partie de ces crimes et accordé le droit à la procureure de la CPI d’enquêter. La ratification par la Malaisie fait donc sens, car elle est convaincue que seul un mécanisme international pourra apporter justice aux Rohingyas. « Pour nous, il est très important que l’enquête (de la CPI) sur le cas du Myanmar et sur les crimes humanitaires fasse toute la lumière de manière à ce que les criminels soient amenés à comparaître devant la Cour », a déclaré le ministre malaisien des Affaires étrangères, Saifuddin Abdullah, en février 2019.
Cette ratification s’inscrit aussi dans le cadre de la volonté du nouveau Premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, de jouer un rôle plus actif au sein de l’Asean. Une volonté illustrée aussi bien par les interventions sur la question des Rohingyas que sur le soutien apporté par le gouvernement malaisien aux négociations de paix entre le gouvernement thaïlandais et les rebelles séparatistes dans le sud de la Thaïlande.
Pour la CPI, l’adhésion de la Malaisie lui apporte un regain de crédit politique dont elle a bien besoin. Avec 31 millions d’habitants, à majorité musulmane, ce pays étend la compétence et l’influence de la Cour dans une région où elle demeurait peu reconnue. Le dernier pays d’envergure à avoir rejoint la CPI était la Côte d’Ivoire, en 2013, et avant elle, en 2011, la Tunisie et… les Philippines.