En 2016, Radovan Karadzic a été reconnu coupable de génocide pour le massacre de Srebrenica et de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour sa responsabilité en tant que cerveau de la brutale campagne de nettoyage ethnique menée par les Serbes de Bosnie. Le procès de Karadzic, avec celui du commandant militaire serbe bosniaque Ratko Mladic, ont raconté « l’histoire la plus complète », note Vukusic, tandis que d’autres procès devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) n’ont couvert que des parties de l’histoire de la guerre en Bosnie. La guerre de 1992-1995 en Bosnie a fait plus de 100 000 morts et beaucoup d’autres personnes ont été chassées de chez elles lorsque les Serbes de Bosnie ont tenté de creuser des zones « propres sur le plan éthique » en forçant à fuir les musulmans, les Croates et d’autres non-Serbes par la violence et l’intimidation.
L’alter-ego militaire de Karadzic, Mladic, attend l’appel de sa condamnation à perpétuité pour des accusations similaires. Ces deux affaires sont arrivées tardivement dans l’existence du tribunal, Karadzic et Mladic ayant été parmi les derniers fugitifs arrêtés, en 2008 et 2010 respectivement. Leurs procès ont présenté l’analyse la plus récente des événements, avec les preuves les plus récentes à disposition, offrant une version mise à jour de la preuve auparavant présentée dans les jugements prononcés contre nombre de leurs subordonnés.
Un « méga-procès hors de contrôle »
« Les procès de Karadzic et Mladic nous racontent comment différents éléments ont œuvré pour créer une réalité sociale (en Bosnie) où un grand nombre de non Serbes seraient simplement partis », explique Vukusic. L’affaire Karadzic couvrait de multiples entreprises criminelles conjointes et montrait comment différentes politiques, institutions et individus ont travaillé à un vaste projet politique commun.
Lors des audiences d’appel de l’année dernière, Karadzic a déclaré que le procureur avait déformé ses propos et essayé de le dépeindre comme un guerrier, estimant au contraire qu’il avait tout fait pour éviter la guerre. Ses avocats ont soutenu que Karadzic n’avait pas eu droit à un procès équitable pendant ce qu’ils ont appelé un « méga-procès hors de contrôle » qui a duré sept ans. Ils demandent un nouveau procès, mais ce scénario semble peu probable car le TPIY n’a recommencé que deux procès en plus de 20 ans d’histoire, dans l’affaire jointe de Franko Simatović et Jovica Stanišić et, partiellement, dans celle de l’ancien commandant de l’Armée de libération du Kosovo Ramush Haradinaj.
« Il s’agissait d’une affaire bien menée tant du côté de l’accusation que de la défense. C’était une affaire énorme, mais qui se déroulait toujours à un rythme soutenu, estime Vukusic. Je serais très surprise qu’il y ait des changements importants en appel. »
Le procureur veut une deuxième condamnation pour génocide
Le procureur a également fait appel. Il veut que la peine de 40 ans de Karadzic soit commuée en réclusion à perpétuité. En outre, il réclame une deuxième condamnation pour génocide pour la campagne de nettoyage ethnique menée dans un certain nombre de municipalités de Bosnie au début de la guerre. Cette campagne comprenait la création d’une série de camps de détention où des dizaines de milliers de musulmans et de Croates ont été battus, torturés, détenus dans des conditions inhumaines et parfois victimes d’agression sexuelle.
En première instance, les juges du TPIY ont déclaré que le procureur n’avait pas réussi à démontrer que Karadzic avait l’intention de détruire la population musulmane et croate des municipalités. Une campagne de nettoyage ethnique - c’est-à-dire de meurtres perpétrés dans l’intention de chasser un grand nombre de personnes d’une certaine région – ne constitue pas un génocide, ont déclaré les juges.
En appel, le procureur a tenté de démontrer que l’intention génocidaire de Karadzic pouvait être déduite en examinant les niveaux de violence nécessaires pour mener à bien sa « campagne de nettoyage ethnique ». L’accusation a tenté de démontrer que l’entreprise criminelle visant à expulser de force les non-Serbes des municipalités n’acceptait pas simplement les meurtres et les abus comme un effet secondaire du plan. Elle a fait valoir que la violence – qui comprenait des actes pouvant aboutir à un génocide – était au contraire au cœur du plan. En soutenant un plan qui ne pouvait réussir que par des atrocités de masse contre les non-Serbes, l’ancien dirigeant aurait montré une intention génocidaire, selon le procureur. « Karadzic et ses associés savaient qu’ils auraient besoin de verser des rivières de sang pour découper les territoires ethniquement purifiés, qu’ils recherchaient, et ils se sont engagés sur cette voie sanglante », a déclaré la procureure Katrina Gustafson.
Un jugement attendu, mais pas tant que ça
L’issue finale de l’affaire Karadzic reste attendue en Bosnie, surtout au sein des communautés musulmanes et croates bosniaques touchées, mais moins dans les autres pays de la région. En Bosnie, l’affaire est utilisée par différents partis politiques pour marquer des points avec leurs électorats, encore profondément divisés sur des lignes ethniques près de 25 ans après la fin de la guerre. De nombreux Serbes de Bosnie considèrent toujours Karadzic comme un héros. Mais dans les pays voisins de la Bosnie comme la Serbie et la Croatie, l’intérêt s’est estompé. « Ce n’est plus une si grosse affaire », estime Vukusic.
« Des montagnes d’archives » pour les historiens
Outre les condamnations, le tribunal a joué un rôle important dans la façon dont nous voyons les guerres yougoslaves, dit Vukusic, et il existe un héritage plus universel que le TPIY/MICT peut laisser grâce à ses vastes archives. Lorsque tout sera terminé et que la poussière se sera dissipée, les chercheurs vont pouvoir se lancer dans des recherches plus approfondies. « Ce qui nous reste, grâce à ces procédures, ce sont des montagnes d’archives et nous pourrons passer les prochaines décennies à comprendre ce qui s’est passé », dit-elle.
Ces documents racontent une histoire qui va bien au-delà de l’ex-Yougoslavie. « En tant que chercheur et historien, je pense qu’il est très important d’examiner ce matériel et de voir ce qu’il nous apprend sur les auteurs, sur les structures organisationnelles qui ont perpétuent la violence de masse et sur les circonstances sociales qui donnent naissance à la violence », dit Vukusic.