Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont refusé vendredi d'autoriser l'ouverture d'une enquête pour des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre présumés en Afghanistan, après une menace de sanctions des Etats-Unis qui ont aussitôt salué une "grande victoire".
Cette décision, qui est un dur revers pour le bureau du procureur, a été rapidement critiquée par différents groupes de défense des droits humains, qui parlent d'un coup dur pour les "milliers de victimes" du conflit afghan en cours depuis 2003.
"Les juges ont décidé qu'une enquête sur la situation en Afghanistan à ce stade ne servirait pas les intérêts de la justice", a déclaré dans un communiqué la juridiction internationale de La Haye.
Cette décision intervient une semaine seulement après la confirmation de la révocation par Washington du visa de la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, en raison d'une possible enquête sur des exactions de soldats américains en Afghanistan.
Les Etats-Unis, qui ne sont pas membres de la Cour, avaient annoncé des sanctions sans précédent mi-mars à son encontre, avec des restrictions de visa contre toute personne "directement responsable" d'une éventuelle enquête "contre des militaire américains".
Le président Donald Trump a donc salué vendredi "une grande victoire" pour "l'Etat de droit".
Aboutissement "peu probable"
Et son secrétaire d'Etat Mike Pompeo a explicitement fait le lien avec les mesures punitives américaines, laissant entendre que les juges avaient été sensibles aux menaces de Washington. "Je suis heureux que la Cour ait reconsidéré ses actes", a-t-il dit.
Mme Bensouda avait demandé en novembre 2017 aux juges l'autorisation d'ouvrir une enquête sur des crimes de guerre présumés commis dans le cadre du conflit afghan, notamment par l'armée américaine. Son bureau avait entamé un examen préliminaire sur la situation en Afghanistan en 2006.
Vendredi, elle n'a pas exclu de faire "recours".
Les juges ont admis que, compte tenu des informations fournies, il existait "une base raisonnable permettant de considérer que des crimes relevant de la compétence de la CPI auraient été commis en Afghanistan". Cependant, "la situation actuelle en Afghanistan est telle qu'elle rend extrêmement difficile la réussite d'une enquête et de poursuites", ont-ils affirmé.
"En conséquence, il est peu probable que la poursuite d'une enquête aboutisse à la réalisation des objectifs énumérés par les victimes en faveur de l'enquête", ont-il conclu.
Le président d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, Patrick Baudouin, a condamné une "décision choquante", "qui repose sur un raisonnement profondément imparfait". "La CPI a été créée précisément pour surmonter les difficultés qui rendaient les enquêtes nationales impossibles", a-t-il estimé, déplorant "un jour sombre pour la justice".
Pour expliquer leur décision, les juges de la CPI ont aussi évoqué le "temps écoulé" depuis le début de l'examen préliminaire, en 2006, l'évolution de la situation politique en Afghanistan et le "manque de coopération" des autorités compétentes avec le procureur.
"Coup dévastateur"
"Cela envoie aux agresseurs le message dangereux qu'ils peuvent se placer hors de portée de la loi simplement en ne coopérant pas", a réagi l'ONG de défense des droits de l'homme Human Rights Watch, évoquant "un coup dévastateur pour les victimes qui ont souffert de crimes graves sans réparation".
Jamil Dakwar, le directeur du programme des droits de l'homme de l'Union américaine pour les libertés civiles, a lui blâmé "les tactiques d'intidimidation" du gouvernement américain.
"Il est scandaleux que les victimes de crimes de guerre aient beaucoup moins de chances d'obtenir justice pour des atrocités bien documentées à cause des efforts autoritaires de l'administration Trump pour saboter une enquête avant même qu'elle ne puisse être ouverte", a-t-il dénoncé.
Fondée en 2002 pour juger des pires atrocités commises dans le monde, la CPI a peiné à démontrer son efficacité ces derniers mois, fragilisée notamment par une série d'attaques d'une virulence inédite de la part des Etats-Unis.
L'administration Trump, ouvertement hostile à de nombreuses organisations multilatérales et encore plus clairement à celles qui remettent en cause la souveraineté nationale des Etats-Unis, a en effet haussé le ton depuis septembre, menaçant les juges ou procureurs de la juridiction de La Haye qui oseraient s'en prendre à des Américains ou à Israël.
Washington ripostera "rapidement et avec vigueur à toute tentative de cible des militaires américains, israéliens ou d'autres pays alliés", a réaffirmé vendredi Donald Trump.