Faire en sorte que justice soit rendue pour des violations des droits de l'homme qui se sont produites sur de longues années peut être long et fastidieux. En Gambie comme dans d'autres pays, cela peut également être coûteux. La Gambie a enduré 22 ans de brutalité sous le dictateur Yahya Jammeh avant qu’il soit contraint de quitter le pays, en janvier 2017. Jammeh vit aujourd’hui en exil en Guinée équatoriale. Mais lui et un certain nombre de ceux qui ont dirigé le pays avec lui font l'objet d'enquêtes, notamment devant la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) en Gambie.
Pour un pays de 2 millions d'habitants, dont la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté, cette justice si nécessaire a aussi un prix. Le ministre de la Justice du pays, Abubacarr Tambadou, n’ignore pas cette réalité. "A travers le monde, la justice transitionnelle est un exercice très coûteux", explique-t-il dans un entretien.
2,8 millions de dollars pour la TRRC en 2019
Le nouveau gouvernement gambien, qui a succédé à l'ancien dictateur, a hérité d'une économie presque en faillite avec une dette publique insoutenable. Avec peu de fonds disponibles, plusieurs programmes de justice transitionnelle tels que la réforme de l'armée, la création d'une nouvelle Constitution, une enquête sur les abus économiques sous l'ancien régime, entre autres, ont néanmoins été lancés. Quelques mois après le changement démocratique, le Fonds des Nations unies pour la consolidation de la paix a versé quelque 10,1 millions de dollars à la Gambie pour les années 2017 et 2018. Elle a renouvelé son soutien avec 13 millions de dollars en 2019-2020.
En 2017, 3,1 millions de dollars de ces fonds ont été approuvés pour soutenir la justice transitionnelle, la réforme du secteur de la sécurité et la coordination des politiques à la présidence. Tambadou déclare que le soutien de l'Onu à la justice transitionnelle est de loin le plus important. "Ils [le programme d’appui de l'Onu à la consolidation de la paix] ont fourni un considérable soutien financier et en personnel à ce processus", dit-il.
Parmi les autres qui sont venus à la rescousse de la Gambie figure le Qatar, un pays du Golfe peu connu pour son action en faveur des droits de l'homme dans le monde. Selon Tambadou, le Qatar a fourni 3 millions de dollars américains aux programmes de justice transitionnelle en Gambie. Selon le ministre de la Justice, le voisin de la Gambie, le Sénégal, s'est également engagé à verser environ 1 million de dollars pour soutenir la TRRC. (Malgré les efforts entrepris auprès des ambassades du Qatar et du Sénégal en Gambie, aucun commentaire de leur part n’a pu être obtenu.)
Selon le directeur financier de la TRRC, Alieu Awe, le budget de la Commission pour 2019 est d’environ 140 millions de dalasi (2,8 millions de dollars). Ce chiffre, selon Awe, "couvre les dépenses récurrentes et non récurrentes, y compris les activités de sensibilisation".
Pas d'argent pour les réparations
En 2017, sur recommandation de la TRRC, le gouvernement gambien a créé un conseil médical chargé d'examiner les étudiants manifestants blessés par des soldats en avril 2000. S’y ajoutaient également des militants de l'opposition arrêtés et possiblement torturés en avril 2016, qui souffrent de complications médicales.
Contrairement à d'autres commissions vérité, la TRRC gambienne peut accorder des réparations sans consulter personne. La Commission dispose d’un comité parmi ses 11 commissaires apte à prendre ces décisions. Depuis le début des audiences publiques de la TRRC, le 7 janvier, jusqu'à la fin de sa quatrième session, le 25 avril, la Commission a entendu 57 témoins. "Plus le processus se déroule, plus il y a de victimes et plus il y aura besoin de réparations provisoires sous de nombreuses formes différentes ", confie le ministre de la Justice.
Il y aura aussi des réparations monétaires. Le gouvernement gambien nous a donné l'assurance que des fonds seront mis à disposition à cet effet. Nous lançons également une initiative visant à recueillir des fonds auprès d'autres sources pour veiller à ce que des réparations soient versées aux victimes, comme l'exige la loi sur la TRRC.
Cependant, selon le secrétaire exécutif de la TRRC, Baba Galleh Jallow, la Commission n'a actuellement pas d'argent pour les réparations financières, même s'il assure que cette indemnisation sera versée aux victimes. "Il y aura aussi des réparations monétaires. Le gouvernement gambien nous a donné l'assurance que des fonds seront mis à disposition à cet effet. Nous lançons également une initiative visant à recueillir des fonds auprès d'autres sources pour veiller à ce que des réparations soient versées aux victimes, comme l'exige la loi sur la TRRC", dit Jallow.
Le coût des témoins spéciaux
Les réparations ne sont pas le seul problème de financement de la TRRC. Selon le ministre de la Justice, le témoignage de Sanna Sabally, par exemple, a présenté un autre défi. Sabally est un ancien vice-président du Conseil provisoire de gouvernement des Forces armées, le groupe de soldats ayant organisé le coup d'État du 22 juillet 1994 qui a porté Jammeh au pouvoir. Sabally a témoigné devant la TRRC en avril. "Quand Sanna Sabally devait témoigner, [on a fait face à] des dispositions logistiques, la sécurité et le transport pour l'emmener de Dakar à Banjul, son logement dans une maison sécurisée qui devait être gardée, la nourriture pour la sécurité et les autres. C'est un énorme besoin logistique quand on a des témoins comme Sanna", explique Abubacarr Tambadou. "Les fonds n'étaient pas immédiatement disponibles à la TRRC et nous avons dû les trouver. Il nous faut maintenant trouver les fonds pour rembourser la TRRC et la police gambienne."
Sous de nombreux aspects, le TRRC de Gambie est devenue une réussite. C'est l’émission nationale la plus populaire à la télévision, à la radio et en ligne. La Commission a fait une percée rapide en amenant les auteurs à avouer et à s'excuser pour leurs crimes. La comparution de Sanna Sabally a sans doute été le point culminant du processus jusqu’à ce jour.
Le 31 mai, une délégation du programme d’appui de l’Onu à la consolidation de la paix a rencontré des journalistes gambiens à la fin d’une visite dans le pays. L'équipe était venue suivre la mise en œuvre des programmes de justice transitionnelle de la Gambie. "Je dois vous dire que nous sommes tous très impressionnés par le niveau d'explication que nous avons reçu des institutions publiques et de la société civile", a déclaré l'Ambassadeur Gert Rosenthal, un ressortissant du Guatemala, membre du groupe consultatif d'appui à la consolidation de la paix.