Abubacarr Tambadou, ministre de la Justice
Les 10 et 11 avril 2000, plus d'une douzaine d'étudiants gambiens qui manifestaient sont abattus, apparemment sur ordre du président Yahya Jammeh. Après l'incident, le dictateur présente à l'Assemblée nationale un projet de loi promulguant l’indemnisation de tous les soldats qui ont tué les étudiants.
Tout au long de ces événements, de nombreux avocats gambiens restent silencieux. Pourtant, c’est dans ce climat de peur que va émerger la Coalition des avocats pour la défense des droits de l'homme, qui se charge de défendre les étudiants, en dépit de risques personnels énormes. C'est le premier moment de gloire d'Abubacarr Marie Tambadou dans le domaine des droits de l'homme en Gambie. "Les gens nous appelaient des fauteurs de troubles », se souvient Tambadou. "Mais nous croyions en la justesse de la voie que nous suivions."
Tambadou est né le 12 décembre 1972. Il obtient une licence en droit à l'université de Warwick, au Royaume-Uni, en 1997. Puis, en 2002, il décroche une maîtrise en droit international (droits de l'homme) à l’Ecole des études orientales et africaines de l'université de Londres. En Gambie, il travaille d'abord comme procureur en 1997 et, deux ans plus tard, il est juriste principal pendant une année. Puis il rejoint son frère, Sheriff Tambadou, dans son cabinet à Banjul, la capitale.
De 2012 à 2016, il travaille à Arusha, en Tanzanie, aux côtés de l'actuel président de la Cour suprême de Gambie, Hassan Jallow, qui est alors procureur général du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Tambadou est l'assistant spécial de Jallow.
Tambadou explique à JusticeInfo qu'il pensait que la fin de Jammeh viendrait mais n'avait jamais imaginé qu'il ferait partie du changement. Pourtant, en février 2017, un mois après la fuite de Jammeh, Tambadou est nommé ministre de la Justice et procureur général de Gambie. À ce titre, il joue un rôle de premier plan dans la conception et la mise en œuvre de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC). Son ministère envoie des émissaires dans d'autres pays ayant eu une commission vérité afin de mener à bien la mise en place de celle de Gambie. Il joue également un rôle important pour plaider auprès des bailleurs de fonds et assurer le financement de la TRRC.
Tambadou a en commun avec Essa Faal l’expérience des tribunaux internationaux. Il le fait venir comme avocat principal de la Commission vérité. Cependant, contrairement à Faal, Tambadou a un passé de militant combatif sous la dictature de Jammeh. Bien que Tambadou n'ait jamais été arrêté, il a ouvertement contesté le bilan de l'ancien dirigeant en matière de droits humains. Ce passé peut expliquer l'énergie avec laquelle Tambadou s’occupe des crimes commis sous Jammeh. En présentant au président gambien Adama Barrow le rapport d'une enquête sur les activités financières de Jammeh, le ministre de la Justice n’hésite pas à utiliser, pour décrire Jammeh, les termes de "prétentieux" au "mode de vie délirant", de "mégalomane égotiste", "inadmissible et criminel".
Il y a quelques semaines, Tambadou a ordonné l'arrestation de deux personnes jugées peu coopératives avec la TRRC. Lors d'une récente réunion avec les médias, il a déclaré qu'il arrêterait tout auteur présumé contre lequel des preuves supplémentaires seraient trouvées et qui ne coopérerait pas avec la Commission. Il est considéré par beaucoup comme le membre le plus performant du gouvernement Barrow et travaille en étroite collaboration avec les médias et la société civile.
Lamin Sise, président
Contrairement à de nombreuses personnes impliquées dans la création de la TRRC, Lamin Sise est un visage nouveau, du moins pour la plupart des Gambiens.
Sise est né à Bansang, une ville de campagne, située à plus de 300 kilomètres de Banjul. Il suit de premières études à l'unique école normale de Gambie avant d'aller à l'université aux États-Unis, où il obtient un doctorat en relations internationales à l'université Johns Hopkins. Puis, pendant trente ans, il travaille aux Nations unies.
De 2008 à 2011, il est conseiller principal de Kofi Annan, alors secrétaire général de l'Onu. C'est au cours de cette période qu'une Commission nationale de réconciliation et de dialogue est créée au Kenya, à la suite de la crise électorale de 2007. Plus tard, lorsque Annan est nommé envoyé spécial pour la Syrie, Sise est son chef d'état-major. Les deux secrétaires généraux de l'Onu, Ban Ki Moon et Antonio Guterres, le rappelleront pour des missions spéciales. C’est en octobre 2018 que Lamin Sise est nommé président de la Commission vérité dans son pays natal.
Pour un gambien ordinaire, les révélations devant la Commission n’en sont pas tout à fait ; elles confirment pour la plupart une histoire à laquelle il a participé ou dont il a entendu parler auparavant. Lamin Sise a quant à lui avoué, dans une récente interview accordée aux médias, être choqué d'apprendre certaines choses qui s'étaient passées en Gambie.
Les témoignages entendus lors des audiences de la TRRC sont souvent chargés d’émotion. Sise manifeste souvent la sienne. Au cours de témoignages particulièrement émouvants, il se montre sur le point de pleurer. Les témoignages des épouses de soldats tués le 11 novembre 1994 – Batch Samba Jallow, Lamin Waa Juwara, entre autres – le mettent ainsi au bord des larmes.
Il peut aussi avoir un accès de colère occasionnel. Lorsque, au sujet des meurtres du 11 novembre, l'ancien membre de la junte Sanna Bairo Sabally laisse entendre que les Conventions de Genève sont inutiles et ne sont observées dans aucune situation de guerre, Sise perd son calme. Il raconte avoir enseigné les Conventions de Genève et les règles de la guerre à des soldats, dont des soldats américains. La franchise de Sabally a, semble-t-il, dépassé le seuil d’acceptation du président de la Commission.
Mais cela n'affecte pas l’appréciation du grand public. Le président de la TRRC est généralement respecté comme une personne de principe, attaché à la discipline et au respect de l’horloge.
Baba Galleh Jallow, secrétaire exécutif
En 1994, lorsque la Gambie sombre dans un pouvoir militaire autocratique, la presse est l'une des institutions qui souffre le plus. Les médias sont un symbole de défiance et Baba Galleh Jallow se trouve au cœur de cette lutte.
Jallow est né à Farafenni, une ville de province animée, située à environ 100 kilomètres de Banjul. Il entre en journalisme au Daily Observer alors qu'il travaille au Conseil des examens d’Afrique de l’Ouest (WAEC). Lorsque l'organisme d'examen régional lui dit de cesser d'écrire ou d'être congédié, il choisit de perdre son emploi. Une semaine avant le coup d'Etat militaire du 22 juillet 1994 qui porte Yahya Jammeh au pouvoir, son emploi à la WAEC prend fin, en raison de son refus de renoncer au journalisme. Il rejoint le Daily Observer où il commence comme adjoint au rédacteur en chef.
En 1999, lorsque le Daily Observer est racheté par Amadou Samba, un magnat du monde des affaires que l'on pense associé au dictateur gambien, Jallow démissionne pour fonder The Independent, un journal radical qu'il crée avec Alagi Yorro Jallow, un autre journaliste du Daily Observer.
Les ennuis commencent pour les deux Jallow. La salle de rédaction du journal est partiellement incendiée en octobre 2003 par, dit-on, des agents travaillant pour Jammeh. Baba Galleh Jallow est accusé de ne pas être Gambien ; ses parents sont arrêtés et interrogés par l’Agence nationale des renseignements (NIA), à Farafenni. Arrestations, détentions et harcèlement de la part de l'Unité des crimes graves de la police et de la NIA se multiplient. Baba Galleh Jallow en a assez. Il fuit au Sénégal d'où il part pour les Etats-Unis.
Jallow est déjà muni d’une double licence en histoire et en sciences politiques, obtenues à Fourah Bay, l'université de Sierra Leone. Une fois aux États-Unis, il obtient une maîtrise en sciences humaines à l’université Rutgers, dans le New Jersey, et un doctorat en histoire africaine à l'Université de Californie, à Davis, en 2011. Mais il ne cesse jamais de participer au débat politique sur la Gambie. En 2017, une fois Jammeh écarté du pouvoir, il rentre chez lui. Et en février 2018, il est nommé secrétaire exécutif de la nouvelle Commission vérité.
Jallow joue un rôle majeur dans la mise en place des structures administratives de la Commission. Bien qu'une grande partie du financement de la Commission soit mobilisée par le ministère de la Justice, Jallow et son équipe cherchent également à obtenir le financement pour d'autres activités de la TRRC, comme avec le Catholic Relief Services pour les programmes de sensibilisation.
Jallow est un combattant, avec un ego fort. Cela ne lui attire pas toujours une publicité positive. Il peut être perçu comme quelqu'un qui est souvent trop ferme dans ses opinions et peut ignorer celle des autres. Comme par exemple lorsqu’il engage pour la retransmission de la TRRC un partenaire médiatique difficile, QTV, unique télévision privée de Gambie, qui a causé des ennuis aux journalistes voulant diffuser librement les audiences. (L’affaire a été résolue.) Ou lors de cette autre controverse, après qu’il a fait appel à Alagie Barrow pour être l’enquêteur principal de la TRRC. Des voix critiques s’élèvent alors pour souligner que le cas d'Alagie Barrow, un ancien putschiste, pourrait un jour être porté devant la Commission et qu'il était donc malvenu de le nommer.
Cependant, grâce à une volonté de fer et des convictions profondes, Jallow est reconnu pour avoir fait de la TRRC un projet entamé dans le plus grand scepticisme et devenu, depuis, l'émission la plus populaire à la télévision.
Alagie Barrow, enquêteur principal
Les audiences publiques de la Commission vérité sont le fruit du travail considérable accompli en coulisse par les enquêteurs. Ce sont eux qui écrivent la mélodie qui finira par être jouée devant le public.
Alagie Barrow dirige cette équipe d'enquêteurs. De toutes les personnes nommées à la tête de la TRRC, Barrow est la plus controversée. Ancien capitaine de l'armée des Etats-Unis, où il s'était installé en 1994, Alagie est le symbole d’une résistance par tous les moyens contre la dictature de Yahya Jammeh. Ecœuré par les violations des droits de l'homme commises sous Jammeh, il s'était joint à quelques Gambiens, en grande partie basés aux États-Unis, pour attaquer le siège de la présidence gambienne, en décembre 2014. La tentative de coup d'État fut déjouée et Barrow prit la fuite. Mais trois personnes furent tuées pendant l'attaque.
A son retour aux États-Unis, Barrow est arrêté et inculpé en vertu de la loi américaine sur la neutralité pour planification de coup d'État dans un pays ami. Il plaide coupable et est condamné à 6 mois de prison.
La nomination de Barrow à la TRRC a suscité une grosse controverse parmi les Gambiens qui l'accusent d’avoir fait partie d'une tentative antidémocratique de renverser un gouvernement par les armes.
Ces critiques soulignent que Barrow est en conflit d’intérêt. Ils affirment que les trois personnes qui ont été tuées par des soldats gambiens au cours de l'attaque feront l’objet d’une audience propre devant la TRRC et qu'il s'agit d'une affaire sur laquelle l'enquêteur principal ne peut enquêter. (Certains suggèrent qu'il pourrait se récuser et laisser son adjoint enquêter sur ce dossier.)
La TRRC a défendu sa nomination en affirmant que Barrow possédait des qualifications uniques pour ce poste. Barrow semble être aussi déterminé qu'il est ouvertement critique à l’encontre de tout ce qu'il considère être mauvais, quelles que soient les conséquences ou les opinions de la société.
Né dans un petit hameau appelé Jah Kunda à Jarra, à quelque 130 kilomètres de Banjul, Barrow est titulaire d'un diplôme en justice pénale de l'Université d'État du Tennessee et titulaire d'une maîtrise en sécurité nationale de l'Université militaire américaine de Charles Town (Virginie occidentale).
Essa Faal, conseil principal
Les enquêtes et les audiences de la TRRC sont dirigées par l'avocat principal Essa Faal. Jusqu'à sa nomination, on savait peu de choses sur Faal en Gambie malgré sa belle carrière d’avocat. Aujourd'hui, Faal est un nom connu de tous.
Faal commence sa carrière au ministère de la Justice en 1994, l'année où Yahya Jammeh renverse le gouvernement de Dawda Kairaba Jawara. Fin 1997, il est nommé premier secrétaire puis conseiller juridique à la Mission permanente de la Gambie auprès de l'Organisation des Nations unies, à New-York.
En janvier 2000, Faal est nommé à l’Onu comme spécialiste des affaires judiciaires. Il est affecté à l'administration provisoire de l’Onu au Timor oriental, où il contribue à la réorganisation du secteur judiciaire. Il sera ensuite promu procureur général adjoint par intérim pour les crimes graves, puis chef des poursuites en 2002.
En janvier 2005, Faal rejoint l'Organisation internationale de droit du développement, basée à Rome, où il conçoit, supervise et dirige la mise en œuvre de programmes de bonne gouvernance et de réforme du secteur de la justice pour les pays en développement dans le monde entier.
Un an plus tard, il rejoint la Cour pénale internationale (CPI) où il travaille aux enquêtes sur la situation au Darfour, au Soudan, qui aboutissent à l'inculpation par la CPI du président du Soudan de l'époque, Omar Al-Bashir.
Fall est par la suite nommé avocat général dans le dossier du Darfour. Avant de procéder à un basculement de carrière où il passe de la chasse aux présumés responsables à la défense de ces derniers. De mars 2011 à septembre 2016, devant la CPI, Faal est co-conseil principal de la défense dans les affaires contre les dirigeants kenyans Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta, William Ruto et le général Muhammed Hussein Ali.
Faal devient également conseil du Libyen Saif Al Islam Kadhafi devant la CPI, et de Charles Ghankay Taylor, ancien président du Libéria, devant le mécanisme résiduel du Tribunal spécial pour la Sierra Leone.
Ses détracteurs disent que, si un désir de justice a amené Faal à défendre les victimes du Darfour et des Philippines devant la CPI, c'est une belle rémunération qui l'a amené à défendre Kenyatta, Taylor et d'autres. Dans une récente interview accordée à la plateforme gambienne en ligne Kerr Fatou, Faal répond qu'il est avocat et qu'il est juste que chacun puisse bénéficier de la présomption d'innocence qu'il mérite. Il décrit le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, comme un homme "intéressant".
Il ne fait pas de doute qu’Essa Faal est revenu différent en Gambie, en homme plus expérimenté et connu internationalement. Il se rend à la TRRC au volant d’une Cadillac Escalade ou d’une Porsche Cayenne noire. Il est toujours éloquent et très bien préparé. Ses interrogatoires sont robustes, bien qu'il puisse être décrit par certains comme arrogant. Faal défend son intraitable technique d’interrogatoire comme une partie vitale de son travail visant à obtenir de vraies réponses de la part de personnes qui ne semblent pas coopérer.
Dans tout ce que Faal estime être la bonne chose à faire, il est souvent considéré comme peu tolérant envers la dissidence. Il qualifie les avocats critiques de sa prestation d’"avocats de salon". Il a également fermement répliqué aux critiques à son encontre après qu’il eut offert un lopin de terre à un témoin de la TRRC.
Car à la TRRC de Gambie, non seulement les gens suivent attentivement les débats, mais ils recueillent des fonds pour certaines victimes ayant perdu d'importantes ressources matérielles et humaines. Deux personnes ont jusqu'à présent bénéficié d'une telle collecte de fonds privée. L'un d'eux est Mafugie Sonko, un soldat qui a passé 9 ans en prison sans comparaître une seule fois devant un tribunal, et fut le 27e témoin à comparaître devant la Commission.
Par le biais du "go-fund-me" sur les médias sociaux, Sonko a reçu 175 000 dalasi (3 500 dollars). Alors que l'argent lui était remis à la TRRC, l'avocat principal Essa Faal a annoncé qu’il offrait à Sonko un terrain. Cela a suscité des critiques de la part de ceux pensant que la TRRC ne devrait pas permettre d’être le lieu où sont remis de tels dons, car cela pourrait être interprété à tort par d'autres victimes comme une réparation. Faal a néanmoins défendu son action comme un acte de bonne volonté qui devrait être imité. "Je ne vais pas m'excuser pour ça", a-t-il cinglé. Ses proches disent qu'il est connu pour ses dons généreux, une chose pour laquelle, dit-il, "les Gambiens sont connus".