Surnommé Simba (Le Lion, en swahili), Germain Katanga, ancien commandant de la milice des Forces de résistance patriotique en Ituri (FRPI), en République démocratique du Congo (RDC), a été jugé par la Cour pénale internationale (CPI) qui l’a condamné à 12 ans de prison, en mars 2014. Il a été reconnu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour avoir contribué, selon le jugement, à détruire le village de Bogoro lors d’une attaque ayant fait environ 200 morts, en 2003.
Détenu depuis 2005 en RDC, transféré à La Haye en octobre 2007 et renvoyé en décembre 2015 dans son pays pour y purger le reste de sa peine, Katanga devait sortir de prison en janvier 2016, grâce à une réduction de peine accordée par la CPI pour sa bonne conduite et les regrets exprimés à l’endroit des victimes. Mais l’ancien chef milicien, qui avait intégré en 2004 les rangs de l’armée régulière avec le grade de brigadier général, n’est pas sorti de sa cellule de prison. La justice militaire congolaise a décidé de le poursuivre à son tour.
« Pourquoi ça traîne ? »
Annoncée avec tambours et trompettes, l’ouverture de ce second procès de Germain Katanga a eu lieu le 3 février 2016 devant la Haute cour militaire, à Kinshasa. Or, plus de trois ans après, les juges militaires ne sont toujours pas entrés dans le fond du dossier. Et l’accusé et ses avocats ne cessent de dénoncer irrégularités et violations des droits de la défense.
A l’audience du 16 février 2018, Katanga avait déjà pris la parole devant la cour pour faire valoir ses droits. « Nous sommes à quelle étape du procès ? Nous sommes dans le fond de l'affaire ou encore dans les préliminaires ? », avait-il demandé, droit dans son uniforme des Forces armées congolaises, épinglé de ses épaulettes de général. « Pourquoi ça traîne ? », avait-il poursuivi. Avant d’ajouter respectueusement : « Avançons. »
Cela n’a rien changé. La défense a donc demandé une remise en liberté provisoire. Mais cette requête a été rejetée le 25 avril dernier. Les juges ont justifié leur décision par la gravité des allégations et le fait que l’accusé n’a pas de résidence connue à Kinshasa. Le 6 juin, lors d’une nouvelle audience, l’avocat de la défense Peter Ngomo Milambo a tenté de revenir à la charge, avec des pièces attestant que des députés de l’Ituri étaient prêts à accueillir Katanga en cas de libération provisoire. En vain.
« Ce procès est politique »
Dépité, l’avocat parle de motivations politiques. « Le mobile politique, ça ne peut pas manquer », réagit-il, interrogé par JusticeInfo à la sortie de l’audience. « On ne saurait comprendre que notre client ait passé plus ou moins 15 ans en détention. C’est une première dans l'histoire de notre pays qu’un détenu soit gardé pendant 15 ans avant de passer devant le juge et qu’on lui refuse la liberté provisoire sous prétexte qu’il n’a pas de résidence à Kinshasa. Il y a de la mauvaise foi et une haine de la part des instructeurs du dossier. »
A l’ouverture du procès, en février 2016, la Cour avait constaté que personne ne s’était constitué partie civile contre Katanga. « Cela montre que les autorités ne sont pas encore prêtes pour l'ouverture de ce procès », avait alors commenté à l’AFP Junior Safari, de l'Association congolaise pour le respect des droits humains. « Ils ont précipité l'action pour clouer Katanga, pour qu'il ne rentre pas dans sa base », avait affirmé l’activiste, dont l’ONG est basée en Ituri, une région riche en or, dans le nord-est de la RDC. Même si l’ancien rebelle n’a pas d’ambitions politiques affichées, il n’en reste pas moins une figure populaire et un important leader d’opinion au sein de la communauté des Lendu.
Aujourd’hui, le président de la société civile de l’Ituri, Jean-Bosco Lalo, dénonce une injustice. « Poursuivre encore Katanga en RDC après les poursuites de la CPI, c'est une tracasserie judicaire, une mauvaise foi, c'est injuste. Nous estimons que Katanga a déjà payé pour ses erreurs et pour ses crimes », déclare-t-il à JusticeInfo. « Ce procès est politique, ce sont des poursuites à connotation politique, on ne comprend pas pourquoi on doit poursuivre quelqu'un qui a purgé une dizaine d'années [de prison] à La Haye. » Commentant l’enlisement de l’affaire, il dénonce « une discrimination dans le traitement de tous les dossiers de l’Ituri, on ne sait pas pour quel but ».
De vieilles inquiétudes
A Kinshasa, Germain Katanga est poursuivi avec Floribert Njabu, Sharif Manda et Pierre-Célestin Mbodina, qui avaient témoigné pour sa défense au cours du procès devant la CPI. Dès l’annonce du procès, l’organisation Human Rights Watch (HRW) avait demandé, dans un communiqué publié le 23 décembre 2015, que Katanga et ses trois co-accusés « soient jugés de façon équitable et rapide ». HRW avait notamment expliqué que le procès devant la CPI avait révélé des éléments d’information « sur le rôle de hauts responsables politiques et militaires en RD Congo et en Ouganda, dans l'orientation stratégique et le soutien financier et militaire au FRPI et à d’autres milices, au cours du conflit en Ituri en 2002-2003 ». L’ONG ajoutait qu’au moins l’un des trois coaccusés « a témoigné au sujet du rôle du président Joseph Kabila dans le soutien aux forces rebelles à l’époque du conflit en Ituri ». HRW prévenait du risque que ces procédures nationales contre ceux ayant révélé le rôle de hauts dirigeants congolais « ne soient pas transformées en un procès de représailles politiques ».
Comme pour répondre à ces préoccupations, le général-major Timothée Mukuntu, qui conduit l’équipe du procureur dans cette affaire, avait déclaré à l’audience du 7 mai 2016 : « Nous ne poursuivons pas le général Katanga sur la base de motivations politiques [mais] pour des crimes graves commis en Ituri entre 2002 et 2006, autres que ceux pour lesquels il a été condamné par la CPI. » Katanga doit notamment répondre du rôle qu’il aurait joué dans l’assassinat de neuf casques bleus du Bengladesh, en 2005, en Ituri.
Retour à la CPI
A l’époque, la présidence de la CPI avait autorisé la RDC à poursuivre Katanga, dans une décision rendue le 7 avril 2016, deux mois après l’ouverture du procès. La CPI agissait pour la première fois en vertu de l’article 108 du statut de Rome, qui prévoit qu’un Etat détenant une personne condamnée par la CPI doit requérir l’autorisation de la Cour s’il a l’intention de la traduire en justice pour « un comportement antérieur à son transfèrement dans l’État chargé de l’exécution » de la peine.
L’ancien avocat de Katanga devant la CPI, le Britannique David Hooper, a donc maintenant décidé de se ressaisir du dossier. Dans une requête adressée le 30 janvier 2019 au président de la CPI, il a demandé le réexamen de cette autorisation. « Malgré la longue période qui s’est écoulée, il n’y a eu aucun progrès dans les poursuites », fait observer Me Hooper. « Aucune Présidence raisonnable n’aurait donné son accord à la RDC pour engager des poursuites si elle avait pu connaître les conséquences de la décision », poursuit-il. « Nous avons la nette impression que la RDC est incapable ou réticente à faire progresser l’affaire portée à son encontre, préférant le laisser en détention sans le juger », plaide l’avocat.
Le combat judiciaire de Katanga est désormais mené sur deux fronts. Et ce dossier congolais – l’une des trois seules condamnations enregistrées par la cour internationale – revient hanter la CPI.