La condamnation du chef de milice congolais Bosco Ntaganda par la Cour pénale internationale (CPI), le 8 juillet, sur tous les chefs d’accusation dressés contre lui, y compris pour viol de civils et de combattants au sein de ses propres troupes, est saluée comme une étape importante dans la poursuite des auteurs de violences sexuelles et un succès pour une stratégie de poursuites plus représentative.
Dans une rare et éclatante victoire pour la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, les trois juges de la chambre de première instance ont décidé à l'unanimité que Ntaganda, 45 ans, était coupable des 18 chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité dont il était accusé. Dans le résumé du jugement lu par le juge Robert Fremr, Ntaganda a été décrit comme un "dirigeant clé" de la milice de l'Union patriotique du Congo (UPC), dont la contribution a été au cœur d'un plan commun pour chasser tous les Lendu, un important groupe ethnique en Ituri, de certains lieux de la partie orientale de la République démocratique du Congo (RDC). "En plus de ses ordres directs de cibler et de tuer des civils, M. Ntaganda a approuvé la conduite criminelle de ses soldats par sa propre conduite", ont déclaré les juges.
Violences sexuelles et éventail complet des atrocités
Ntaganda a été reconnu coupable de six chefs différents de viol et d'esclavage sexuel. L'affaire entre dans l'histoire puisque Ntaganda devient le premier commandant à être condamné pour des violences sexuelles et des viols commis par ses troupes contre des membres de la même force. Les juges ont conclu qu'en plus de la violence sexuelle contre les civils, il était "pratique courante" que les femmes membres de l'UPC soient violées pendant leur service. Les victimes comprennent au moins trois filles mineures. Rosemary Grey, de la faculté de droit de l'université de Sydney, et Indira Rosenthal, de l'université de Tasmanie, écrivent dans un blog sur le site IntLawGrrls.com que "sur le long chemin de la responsabilité pour crimes sexuels et sexistes, [ce jour] marque un tournant pour la CPI".
D'autres observateurs soulignent que cette affaire est également importante pour la CPI si l'on considère la portée des accusations. Dans des dossiers antérieurs sur la RDC, la procureure a été largement critiquée pour avoir porté des accusations très étroites. "Plusieurs fois, j'ai rencontré des victimes et des témoins au Congo qui ont été très surpris par les condamnations minimales, par exemple contre Thomas Lubanga qui n'a été accusé que de recrutement d'enfants soldats", explique à JusticeInfo.net la militante des droits humains Anneke van Woudenberg, qui a enquêté sur les crimes de Ntaganda pour Human Rights Watch depuis 2003, l'a interrogé deux fois sur les violations des droits humains et a été témoin de l’accusation dans ce procès devant la CPI. Dans un autre dossier congolais contre Germain Katanga, un seul massacre avait été jugé. Jean-Pierre Bemba, homme politique congolais et chef de milice, n'a été inculpé d'aucun crime commis par ses troupes en RDC, mais seulement jugé pour des atrocités commises en République centrafricaine voisine, où sa milice n'a opéré que pour une durée limitée.
Cette affaire a finalement représenté toute la gamme de l’expérience des victimes congolaises et toute la gamme des brutalités qu'elles ont endurées. C'est ce qui rend cette affaire importante.
"Si vous regardez les autres procès des Congolais devant la CPI, celui-ci est différent parce qu'il a couvert de multiples incidents et de multiples crimes", analyse Van Woudenberg. "Cette affaire a finalement représenté toute la gamme de l’expérience des victimes congolaises et toute la gamme des brutalités qu'elles ont endurées. C'est ce qui rend cette affaire importante", selon Van Woudenberg.
Satisfaction et préoccupation en Ituri
"Nous sommes satisfaits de voir Bosco Ntaganda être reconnu coupable des crimes commis en Ituri", a déclaré Xavier Maki, coordinateur de l'organisation de défense des droits humains Justice Plus, basée à Bunia, capitale de l'Ituri. "C’est ce que les victimes ainsi que les communautés attendaient depuis bien longtemps. Nous attendons qu’une peine conséquente soit prononcée, et que la réparation soit décidée en faveur des civils qui ont subi ces atrocités. Nous voudrions qu’il y ait des réparations collectives, parce que ces crimes n’ont pas touché seulement les individus, mais aussi et surtout toute la communauté. Ce verdict, nous le considérons également comme une mise en garde à l’encontre des instigateurs des violences intercommunautaires en Ituri. Ce signal fort émis par la Cour pénale internationale pourra dissuader ceux qui veulent empêcher le vieux conflit interethnique de cesser, et cela pourra ainsi contribuer à la baisse des tensions, et par conséquent à la pacification."
Suite à ce conflit qui demeure, nous sommes tentés de croire que la Cour n’a poursuivi que des fretins, et épargner des gros poissons, instigateurs de ces crimes.
L'avocat Jean Bosco Lalo, président de la société civile de l'Ituri, a également exprimé sa satisfaction, mais semble beaucoup moins convaincu du pouvoir dissuasif d'un tel verdict. "une chose nous inquiète : malgré la poursuite et les sanctions à l’encontre de Thomas Lubanga, Germain Katanga, Mathieu Ngudjolo, et maintenant Bosco Ntaganda, présentés comme les auteurs des crimes vécus dans le passé en Ituri, la situation sur le terrain ne s’améliore pas, la guerre et l’insécurité grandissante demeurent. Depuis 2018, nous connaissons encore de sérieuses violences intercommunautaires en Ituri, notamment dans la région de Djugu. Nous pensons qu’il y a des vrais auteurs de crimes qui courent encore et sont libres de toute action. La Cour ne devra donc pas se contenter du travail jusque-là réalisé. Elle doit aller plus loin, jusqu’à démanteler tous les réseaux des manipulateurs et auteurs intellectuels en vue d’aider à la pacification de l’Ituri. Suite à ce conflit qui demeure, nous sommes tentés de croire que la Cour n’a poursuivi que des fretins, et épargner des gros poissons, instigateurs de ces crimes."
Les nuages à venir
Aucune peine n’a encore été prononcée dans cette affaire car la procédure de la CPI prévoit la tenue d'une audience spéciale pour discuter de la peine. Il n'existe pas de délai fixe pour une telle procédure, mais dans les affaires précédentes, il s'écoulait environ trois mois entre la condamnation et le prononcé de la peine. Et ce ne sera probablement pas la fin de l'affaire. Si l'accusation peut se réjouir de sa première victoire majeure après l'acquittement de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de son "général de la rue" Charles Blé Goudé, en janvier, il est presque certain que la défense de Ntaganda fera appel.
L'un des motifs qui seront probablement soulevés est la controverse autour de la juge Kuniko Ozaki, du Japon, qui a été l'un des juges à condamner Ntaganda. En mai de cette année, la défense a déjà déposé une demande pour la disqualifier, car elle a brièvement occupé un double rôle après avoir été nommée ambassadrice du Japon en Estonie alors qu'elle siégeait encore sur le dossier Ntaganda. Après que son poste d'ambassadrice ait été pris pour cible par la défense, Ozaki a démissionné de ce poste. Mais la défense insiste sur le fait que son apparence d'indépendance judiciaire et d'impartialité a été compromise. Elle a également fait valoir que la juge pourrait avoir un parti pris contre Ntaganda, car c'est à cause de lui qu'elle a dû renoncer à son poste diplomatique. (Une assemblée plénière de juges convoquée en juin à la CPI a refusé de la disqualifier.)
L'avocat de Ntaganda, Stéphane Bourgon, tentera aussi probablement de démontrer en appel, comme il l'a fait pendant le procès, que son client a pris des mesures pour prévenir les atrocités et en punir leurs auteurs. En attendant, le bureau du procureur de la CPI peut savourer un rare succès.