Les réparations sont des mesures visant, dans la mesure du possible, à faire en sorte qu'un auteur reconnaisse et répare le préjudice qu'il a causé à une victime. La CPI et quelques autres juridictions pénales internationales (notamment au Cambodge et au Sénégal) ont permis aux victimes de demander réparation à une personne condamnée. Mais peu de victimes ont bénéficié jusqu'ici de telles mesures, car une condamnation est nécessaire pour pouvoir demander réparation. Et lorsqu'une condamnation est obtenue, la mise en œuvre ou la politisation des réparations pose des défis auxquels la CPI ne peut échapper. Dans la pratique, les victimes ne reçoivent souvent jamais de réparations ou attendent des années.
A la CPI, seules trois affaires ont à ce jour atteint le stade de la réparation, dont deux en République démocratique du Congo (RDC) et une au Mali. Les trois ont été confrontées à des difficultés de mise en œuvre. La première décision dans l'affaire Thomas Lubanga (RDC) a été rendue en août 2012, mais elle a fait l'objet de procédures judiciaires extensives. La dernière décision a été rendue hier, jeudi 18 juillet (notre encadré). La lenteur des procédures fait que dans cette affaire des victimes âgées de moins de 15 ans au moment des crimes en 2003, sont maintenant trentenaires.
Dans ces trois dossiers, les régions concernées continuent de souffrir de l'insécurité et des conflits. Les affaires Lubanga et Katanga (RDC) sont fondées sur des crimes commis pendant le conflit de l'Ituri en 2002-2003, mais des violences récentes ont empêché le versement intégral des réparations. Il y a aussi eu des tensions communautaires lorsque certaines victimes obtiennent réparation et d'autres non, comme dans l'affaire Lubanga qui portait uniquement sur des enfants soldats pouvant prétendre à réparation, mais pas sur les personnes qui ont été leurs victimes par meurtre, torture et viol. Au Mali, dans l'affaire Al Mahdi, la violence continue également de compliquer la mise en œuvre des réparations.
Le financement est un autre problème. Plus de 1,5 milliard d'euros ont été consacrés aux enquêtes et aux poursuites à la CPI depuis sa création, mais le financement des réparations n'a été que de quelques millions, en raison de l'indigence des condamnés et des ressources limitées du Fonds au profit des victimes. S'il est essentiel de garantir le droit à un procès équitable et l'administration de la justice, il semblerait que la communauté internationale accorde plus d'attention à la rémunération des avocats qu'à la garantie de recours effectifs pour les personnes les plus touchées par les pires crimes connus de l'humanité.
Réparations sélectives
Les auteurs n'ont souvent pas de biens identifiés à saisir qui pourraient être utilisés à des fins de réparation. A la CPI, les réparations doivent être ordonnées au moyen de financements collectés par le Fonds au profit des victimes, les trois condamnés ayant tous été déclarés indigents. Ainsi dans l'affaire Lubanga, aucune indemnisation financière n'a été ordonnée. Dans l'affaire Germain Katanga (également en RDC), seulement 250 dollars ont été accordés à chaque victime, et dans l'affaire Ahmad al-Faqi al-Mahdi (Mali), des mesures économiques individuelles combinées avec des mesures collectives et symboliques visent à maximiser des ressources limitées. Les États et autres contributeurs contribuent à peine à hauteur de 3,5 à 4,5 millions d'euros par an au Fonds au profit des victimes de la CPI, dont le coût de fonctionnement s'élève désormais à plus de 4 millions d'euros.
D'autres approches ont été adoptées par certains tribunaux, face à un financement, à une capacité et à un mandat limités. Ainsi les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) ont limité les réparations aux seules mesures morales et symboliques. Des formes limitées de réparations ont plutôt été financées et conçues par des acteurs de la société civile et des donateurs, qui ressemblent davantage à des activités de consolidation de la paix et de prestation de services qu'à des réparations. A contrario, dans l'affaire Hissène Habré devant les Chambres extraordinaires africaines (CAE), seule une indemnisation a été accordée, le tribunal sénégalais n'ayant pas compétence pour ordonner au gouvernement tchadien l'exécution de mesures collectives. Bien qu'un Fonds spécial ait été créé par l'Union africaine pour faciliter l'octroi des réparations attribuées par les CAE – qui s’élèvent à un total de 123 millions d'euros – ce fonds n'a pas encore été mis en œuvre.
Admissibilité limitée
La sélectivité des auteurs et des crimes devant la CPI limite nécessairement l'éligibilité des victimes. Même dans des cas comme celui de Dominic Ongwen (Ouganda), qui couvre quelque soixante-dix chefs d'accusation, ces charges ne concernent que quatre zones : Odek, Lukodi, Pajule et Abok. La sélectivité signifie que tous les crimes ne seront pas reconnus et poursuivis. Dans cette affaire, par exemple, des victimes de crimes pourtant similaires se trouveront exclues de toute réparation éventuelle si Ongwen est condamné, comme les victimes des massacres de Barlonyo ou d'Obalanga où des centaines de civils ont été tués.
Cette approche crée nécessairement une hiérarchie de la victimisation. Dans l'affaire Katanga, impliquant un massacre à Bogoro en RDC le 24 février 2003, les victimes ne sont pas éligibles pour les violations commises avant ou après cette date. L'affaire Al Mahdi s'est concentrée sur la destruction de biens culturels à Tombouctou, et non sur d'autres violations, y compris les violences sexuelles, la torture et les meurtres commis dans la région. La CPI en tant que telle ne peut offrir de réparation intégrale, mais seulement une forme plus modeste de réparation aux victimes.
Il convient aussi de noter que les réparations ‘judiciaires’ ne sont pas une solution suffisante pour les victimes. Justice et réparation sont intimement liées à la manifestation de la vérité et à la prévention de la récurrence des violences, qui, pour être durables et globales, doivent venir de la volonté du pays concerné et relève avant tout des États.
Les programmes nationaux de réparation prévoient normalement une reconnaissance plus inclusive du préjudice subi par les victimes, qui ne dépend pas d'une condamnation pénale et de la charge de la preuve plus lourde de l'absence de doute raisonnable. Cela se reflète dans les Principes fondamentaux des Nations unies concernant le droit à un recours et à réparation de 2005, en ce sens que quiconque a subi une violation flagrante des droits de l'homme ou une violation grave du droit international humanitaire a droit à réparation, que l'auteur soit « identifié, arrêté, poursuivi ou condamné ».
Assistance, pour remédier à l'absence de réparation ?
Face à l'échec de l'affaire Jean-Pierre Bemba (République centrafricaine), la soumission finale des victimes à la CPI a mis en lumière leur « profonde déception et leur désespoir de ne pas recevoir justice ». L'assistance fournie par le Fonds au profit des victimes, en l’absence de réparations, est présentée comme une bonne nouvelle pour la justice pénale internationale, offrant directement réparation aux personnes les plus touchées. Toutefois, l'assistance est un programme non judiciaire à court terme qui ne répond qu'aux besoins humanitaires de base des victimes, tels que le micro-financement, certaines mesures de réadaptation médicale et de sensibilisation de la communauté, mesures qui ne permettent pas de remédier comme il convient au préjudice subi par les victimes ou de reconnaître leur existence. Dans l'affaire Bemba, le Fonds a annoncé qu'il offrirait une assistance d'un montant d'un million d'euros aux victimes de l'affaire, mais ce montant est inférieur aux réparations qu'elles auraient reçues si l'affaire n'avait pas été close par un acquittement.
Toutefois la CPI n'est pas un tribunal de réparation. Comme l'ont déclaré les juges Christine van den Wyngaert et Howard Morrison dans la décision d’acquittement en appel de Bemba, « il n'incombe absolument pas à la Cour pénale internationale d'assurer l'indemnisation de tous ceux qui subissent un préjudice en raison de crimes internationaux. Nous n'avons pas le mandat, et encore moins la capacité et les ressources, de fournir cette aide à toutes les victimes potentielles dans les cas et situations relevant de notre compétence... »
Les États doivent intensifier leurs efforts
Cette bonne nouvelle concernant la réponse au sort des victimes s'inscrit parfaitement dans l'imagerie de la CPI et des victimes sauvées par la communauté internationale et satisfaites de la condamnation de l'auteur. Cependant, cela ne signifie pas grand-chose sur le terrain, où les victimes continuent de vivre avec les conséquences des crimes internationaux et où le gouvernement est impassible ou incapable de remplir ses obligations. Dans le même temps, offrir des réparations en tant que services ou mesures collectives fait abstraction des droits des victimes et risque de faire que la justice devienne une activité d'assistance humanitaire.
Comme le souligne Nader Diab à propos du tribunal hybride en RCA, il est nécessaire que les réparations soient examinées au début de la procédure et non à la fin. A la CPI, il convient d'accorder une plus grande attention à la réorientation de l'assistance fournie par le Fonds d'affectation spéciale pour des assistances intérimaires durant les procédures, ainsi qu’à un engagement accru dans des programmes nationaux de réparation en étudiant la complémentarité des réparations, ce que le Fonds d'affectation spéciale de la CPI fait déjà en Côte d'Ivoire. En outre, il faut améliorer l'identification, la coopération et l’utilisation des avoirs des auteurs de crimes, entre la CPI et les États.
Si la communauté internationale souhaite agir sérieusement au sujet des réparations pour les victimes de crimes internationaux, il faut envisager la création d'une commission administrative ou d'une instance de règlement des demandes de réparation internationale pour mobiliser les ressources des auteurs individuels, des entreprises, des autres organisations responsables et des États. C'est essentiel, du fait du nombre limité de réparations fournies par la CPI et de la nécessité d'une plus grande appropriation de la part des États pour permettre l'octroi de réparations.
LUBANGA : ENFIN UNE DÉCISION FINALE
L'accusé a été condamné il y a plus de sept ans, en mars 2012. Il a fallu ce temps pour que la CPI parvienne à une décision finale sur les réparations dans l’affaire Thomas Lubanga Dyilo, ancien chef du groupe rebelle de l'Union des patriotes congolais, reconnu coupable d'avoir enrôlé des enfants de moins de 15 ans et de les avoir utilisés dans un conflit armé dans le district de l'Ituri en République démocratique du Congo. Il purge une peine de 14 ans de prison.
Les juges de la cour d'appel ont confirmé pour l’essentiel, hier 18 juillet, la décision de première instance. Ils ont rejeté à l'unanimité l'appel de la défense et confirmé le montant de l’indemnisation, fixé à 10 millions USD. « Il y a un certain soulagement, estime Lorraine Smith van Lin de l’ONG REDRESS, que la Cour n'ait pas réduit le montant. » Il s’agit de la réparation la plus élevée attribuée à la CPI. 10 fois celle de l'ancien chef rebelle congolais Germain Katanga, fixée à 1 million USD. Dans l’affaire du Malien Ahmad al-Faqi al-Mahdi, condamné pour l’attaque de monuments religieux et historiques, elle s’élève à 3,18 millions USD.
Quelque 425 victimes ont déjà été identifiées. Les juges d'appel ont répondu positivement aux représentants des victimes, qui ont fait valoir qu’un « nombre important » était exclu. Luke Moffett de l'Université Queen's de Belfast (lire son Opinion) se félicite du rejet par ce juge de « l'application inégale des critères d'admissibilité qui leur sont appliqués ». Toutes les victimes jugées inadmissibles – soit 48 personnes – peuvent maintenant s'adresser au Fonds au profit des victimes (TFV). « C'est une petite victoire, mais une victoire quand même », dit Smith van Lin. « Il est possible que beaucoup d'autres victimes se manifestent maintenant », anticipe Moffett, « peut-être des centaines ou des milliers d'autres ».
En 2016 et 2017, les juges ont approuvé le plan du Fonds, qui prévoit des réparations collectives symboliques pour les ex-enfants soldats et leurs proches. Ces réparations comprennent la construction de centres communautaires, un programme de sensibilisation destiné à réduire la stigmatisation et la discrimination des enfants soldats, de la réadaptation physique et psychologique, de la formation professionnelle et des activités génératrices de revenus.
« L'accent doit maintenant être mis sur la mise en œuvre effective » souligne Smith van Lin, « nous devons aller de l'avant ». Lubanga n'étant pas en mesure de contribuer lui-même et disposant actuellement d'un budget annuel équivalent à moins de la moitié des réparations accordées, le Fonds va surtout devoir convaincre les États de mettre la main à la poche.
Par Janet Anderson, notre correspondante à La Haye.
Luke Moffett est maître de conférences en droit à l'Université de Queen's à Belfast, auteur de l’ouvrage « Justice for Victims before the International Criminal Court » (Routledge 2014), co-éditeur du « Research Handbook of Transitional Justice » (Elgar 2017), et chercheur principal pour le programme sur les « Réparations, responsabilités et victimes dans les sociétés de transition » financé par le Conseil de la recherche sur les arts et les humanités (Grande-Bretagne).