C’est le dernier grand peuple autochtone d’Europe, et il défend ses droits. Considérés comme un peuple premier, ils représentent une attraction touristique pour de nombreux visiteurs férus de randonnées en raquette, d’aurores boréales ou de villages du père Noël. Les Samis – souvent appelés « Lapons », un terme péjoratif signifiant « porteur de haillons » en Suédois – constituent un peuple autochtone de 80 000 à 100 000 individus répartis sur les territoires les plus vierges de quatre pays (Norvège, Finlande, Suède, Russie – principalement la péninsule de Kola). Mais les Samis ont été et restent discriminés et ils exigent, de la part des États, reconnaissance, excuses et réparations. La Norvège a montré l’exemple, créant une commission vérité et réconciliation en 2017, dont les travaux sont en cours. En Suède, le projet est en gestation. La Russie est à la traîne. Tout indique que les Samis de Finlande auront leur commission vérité et réconciliation avant la fin de l’année.
Le Canada a été pour eux une source d’inspiration et d’encouragement, comme le soulignait le professeur Jean-Pierre Massias lors de l’université d’été organisée en France en juillet sur le thème « Peuples autochtones et justice transitionnelle » par l’Institut francophone pour la justice et la démocratie. Ainsi Marie Wilson, commissaire à la Commission vérité et réconciliation canadienne, s’est rendue en février 2018 à Inari, la capitale des Samis finlandais, pour partager une expérience qui comprend de nombreuses similitudes : il ne s’agit pas de gérer une transition de la guerre à la paix, ni de la dictature à la démocratie, mais de reconnaître et de faire cesser, dans un État moderne, des violations graves parmi lesquelles on retrouve de troublantes parentés : internements forcés en pensionnats, désappropriation des terres et des cultures, viols et nombreuses formes de discriminations individuelles ou collectives contre des citoyens historiquement considérés comme étant de seconde zone.
Tuomas Aslak Juuso, vice-président du Parlement sami de Finlande, a participé aux négociations pour la création de cette commission vérité. Il raconte : « Je pense que l’exemple canadien a déclenché chez les représentants samis la volonté politique. C’était la partie cruciale pour nous de faire le saut et de croire en ce genre de processus. Le modèle de l’Afrique du Sud n’est pas très pertinent pour nous, dans un pays qui est très paisible et où les droits humains fondamentaux sont garantis pour les Samis, ce qui est bien sûr différent de l’Afrique du Sud [du temps de l’Apartheid]. » La proposition initiale est venue du Parlement sami, qui existe en Finlande depuis 1974 mais n’est reconnu par la Constitution que depuis 1995. Il siège à Inari.
avoir une société plus forte
Tuomas Aslak Juuso, qui était lui-même éleveur de rennes avant de devenir un activiste et d’en venir à la politique, décrit une lente et récente prise de conscience de leurs droits par les Samis. Cela fait moins de dix ans, dit-il, que des plaintes arrivent devant les tribunaux. Pourquoi maintenant ? « Je me pose la question. L’information est devenue plus accessible, notre peuple connaît mieux ses droits, des Ongs sont venues de l’étranger… les gens commencent à utiliser cela. »
À Helsinki comme à Inani, on ne semble pas vouloir travailler dans l’urgence. Les négociations pour la création de la commission vérité durent depuis plus de quatre ans. « Il s’agit de construire un pont entre deux peuples, poursuit le vice-président du Parlement sami. Aujourd’hui, même dans une société démocratique moderne, il est difficile d’établir cette compréhension. La minorité est toujours dans une position différente et son message est écrasé par la société majoritaire, les médias, etc. Il s’agit de créer un outil de communication entre deux peuples. Il ne s’agit pas seulement de mieux respecter les droits et d’identifier les points conflictuels, mais aussi d’aider le gouvernement à établir une relation solide avec la population afin d’avoir une société forte. Quand il n’y a pas de conflits, il y a bien sûr une société bien meilleure. »
Consultations préalables
Le cabinet du Premier ministre a désigné l’an passé une experte, qui a mené des consultations auprès de la communauté sami, sur leurs territoires, du 2 mai au 29 juin 2018. Un budget a été adopté pour 2019, par le Parlement finlandais, d’un montant de 1,5 million d’euros pour l’établissement d’une Commission vérité et réconciliation. L’annonce officielle de sa création serait imminente.
« Ce sera une décision politique, et non une loi, qui allouera des fonds à cette commission qui relèvera très probablement du ministère de la Justice », précise Tuomas Aslak Juuso. La commission fonctionnera sur une base volontaire. Elle aura accès aux archives de l’État et pourra interroger d’anciens responsables, mais elle ne pourra pas les forcer à témoigner. Et le volet « vérité » de la commission l’emportera sans doute sur la « réconciliation », si ses commissaires suivent le rapport publié à l’issue des consultations.
Le gouvernement a en effet dû modifier son narratif en route, de nombreux Samis rejetant farouchement l’idée qu’il puisse s’agir, d’emblée, d’un processus de réconciliation. Les Samis souhaitent d’abord que soient établis les faits. « L’éventualité que le gouvernement présente ses excuses au peuple indigène sami durant ou après le processus n’est pas une attente en soi, si l’intention est simplement de l’offrir en tant que soi-disant geste symbolique sans contenu concret », prévient le rapport. La transparence y est de mise, et les propos des Samis interrogés lors des consultations – retranscrits en préservant leur anonymat – ne sont pas édulcorés. « Pourrait-on modifier cela en une simple commission de sensibilisation, en oubliant la réconciliation ? interpelle un Sami. Je connais les anciens de notre région et pour eux, c’est sûr, cela serait vu comme la dernière des violations. »
« Le peuple sami a été éliminé »
Durant les consultations, poursuit le rapport, « les expériences vécues par les Samis dans les pensionnats ont été particulièrement abordées, ainsi que la déperdition de la langue et de la culture qui en a résulté ». Mais l’un des plus importants sujets pour ce peuple traditionnellement nomade va être territoriale, comme le détaille l’une des personnes consultées. « La zone samie est la zone samie, mais les Finlandais l’interprètent de telle sorte qu’une zone samie est une zone où il y a des points où les Sámis vivent ici et là. Par exemple, la loi sur les forêts est fondée sur le fait que toute la région est propriété de l’État. Il n’y a que quelques zones où [l’on reconnaît] des habitations samis. Et une telle interprétation a rongé les fondements de tout le peuple sami. Le peuple sami a été éliminé. Dans tous les sens du terme. »
Les travaux de la commission devraient remonter jusqu’à l’indépendance de la Finlande, en 1917, l’ancienne puissance coloniale étant la Russie voisine. L’écriture et la reconnaissance de leur histoire va être un autre enjeu central pour les Samis, comme l’expliquait l’un de ceux consultés en 2018 : « C’est comme si notre histoire avait été effacée parce que, quand on va dans un musée, il y a des peintures rupestres, mais il n’est pas dit qu’elles ont été réalisées par les Samis. Et puis les Finlandais se sont approprié l’archéologie. Les Samis sont comme des moineaux qui viennent d’atterrir ici. Il n’y a rien, au niveau de l’histoire, de l’éducation et de la science que l’on ne nous ait pris. »
Pas de commission transnationale
La question est en effet à la fois nationale et transnationale pour les Samis, dont certains leaders auraient souhaité une commission vérité commune à tout leur territoire. Un Conseil sami existe bien, qui regroupe des représentants des quatre pays sur lesquels ils vivent. Mais pour les États, cela serait revenu à encourager les velléités autonomistes récurrentes du peuple sami. Par ailleurs, la commission vérité norvégienne traite à la fois des violations commises contre les Sami et contre une deuxième minorité, d’origine finnoise, les Kven. Des contacts officiels sont prévus, cependant, entre les commissions norvégienne et finlandaise sur des questions et des violations ayant une dimension transfrontalière.
Un grand défi pour la commission finlandaise, prévoit Tuomas Aslak Juuso, va être de communiquer ses propositions dans une forme « acceptable et compréhensible » par la société finlandaise et par le Parlement d’Helsinki, sans quoi elles ne pourront devenir effectives. Un autre défi majeur va être, selon lui, de « permettre aux témoins de partager leurs récits de façon à ce que les commissaires aient accès à la vérité de façon complète et compréhensible ». Les Samis de Finlande parlent en effet trois langues différentes, dont deux ont un faible nombre de locuteurs, et donc de traducteurs. La future commission devrait disposer de cinq commissaires, dont trois sélectionnés par les institutions samies et deux par le gouvernement. Son président, dont le nom n’est pas connu, aura la lourde responsabilité de mettre en confiance les deux côtés de la société. Son mandat détaillé sera rendu public lors de l’annonce officielle de sa création, d’ici la fin 2019.