Augustin Ngirabatware est le gendre d’un homme d’influence au Rwanda dans les années 1990, Félicien Kabuga – aujourd’hui le plus célèbre des accusés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) encore en fuite. Né en 1957 dans la commune Nyamyumba, en préfecture de Gisenyi (nord du Rwanda), docteur en sciences économiques de l’Université de Fribourg (Suisse), il enseigne à l’Université nationale du Rwanda (UNR) avant d’être nommé ministre du Plan en 1990. Réputé rigoureux, ce membre du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND) est apprécié par les bailleurs de fonds du Rwanda et même, fait rarissime à l’époque, par l’opposition naissante. Il gardera son portefeuille dans le gouvernement intérimaire formé le 8 avril 1994, deux jours après l’assassinat du président Juvénal Habyarimana.
Après avoir fui son pays en juillet 1994, l’économiste rwandais travaille pour des instituts de recherche au Gabon et en France. En marge de ces travaux scientifiques, il publie en août 2006, aux éditions Sources du Nil, un livre critique sur le fonctionnement du TPIR, intitulé « Rwanda : le faîte du mensonge et de l’injustice ». Dans son ouvrage, Ngirabatware, qui se sait recherché par la justice internationale, affirme que le tribunal d’Arusha a été « mis sur pied par l’Onu sur de fausses prémisses » et « ne peut pas rendre justice » selon un résumé présenté par l’éditeur à la sortie du livre.
Accusé de répandre « l’évangile du génocide »
En 2007, l’ex-ministre est arrêté à Francfort, en Allemagne, puis transféré au siège du TPIR, à Arusha, en Tanzanie, un an plus tard. Son premier procès s’ouvre sur le fond en septembre 2009. Ngirabatware est inculpé d’entente en vue de commettre le génocide, génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, et crimes contre l’humanité (viols notamment). Dans sa déclaration d’ouverture, le procureur Wallace Kapaya soutient que l’ex-ministre a tenu « plusieurs réunions » dans sa région natale de Gisenyi en 1994 « pour répandre l’évangile du génocide », en insistant à plusieurs reprises pour qu’aucun Tutsi ne survive. Le juriste tanzanien l’accuse d’avoir distribué des armes aux miliciens Interahamwe, dans sa commune natale Nyamyumba.
Le procureur ne s’arrête pas là. Il ajoute que Ngirabatware a abusé de ses fonctions pour détourner, au profit de la milice Interahamwe, des fonds octroyés par différents bailleurs tels la Banque Mondiale, les États-Unis et la Belgique. Il aurait « utilisé ses connexions, son pouvoir politique et son niveau d’éducation » dans le cadre d’une « entreprise criminelle commune » visant à détruire en tout ou en partie le groupe ethnique tutsi, allègue Kapaya. En sa qualité de ministre du Plan, universitaire reconnu et gendre de Kabuga, lui-même parent par alliance du président Juvénal Habyarimana, l’accusé aurait été « un maillon indispensable de cette entreprise criminelle », assène enfin le procureur.
Dépositions « contradictoires ou mensongères »
Imperturbable, en costume et cravate, l’ex-ministre suit attentivement la déclaration du procureur, échangeant parfois des propos avec son équipe de défense conduite par le Britannique Peter Herbert. Après le défilé des témoins du procureur, la défense s’ouvre le 16 novembre 2010. « Je vous demande de conclure à l’innocence de mon client car c’est cela qu’il mérite. Le peuple du Rwanda a besoin de justice », déclare d’emblée Me Herbert. « Augustin Ngirabatware ne craint pas les éléments de preuve, ne craint pas un procès équitable, ne craint pas ceux qui le poursuivent et comprend la nécessité pour les dirigeants de répondre de la souffrance de leur peuple », concède l’avocat britannique. « Ce qu’il craint, c’est un tribunal qui plie sous la pression et qui pourrait avoir peur d’acquitter par crainte des répercussions politiques. C’est cela qu’il craint », affirme Me Hebert, dans sa déclaration liminaire de près d’une heure et demie.
Après avoir dénoncé une accusation basée sur « des dépositions contradictoires » ou « délibérément mensongères », l’avocat insiste sur l’alibi de son client pour la période du 6 au 12 avril 1994. L’ex-ministre se serait alors rendu selon l’accusation au domicile de son père dans la commune Nyamwumba pour superviser une distribution d’armes. « Nous avons des témoins d’alibi très forts sur ce point », annonce l’avocat, trouvant, par ailleurs cette allégation « aussi ridicule que de suggérer que Tony Blair se soit rendu en personne en mission de bombardement de l’Irak ». Ngirabatware affirme avoir cherché refuge, après l’assassinat du président Habyarimana, d’abord au camp de la garde présidentielle à Kigali, puis à l’ambassade de France, toujours dans la capitale, avant de s’envoler vers le Burundi. « Je ne suis pas sorti de Kigali entre le 6 et le 8 avril 1994. Tout cela est faux, entièrement faux, voire impensable », proteste l'ex-ministre lors de son témoignage le 26 novembre 2010.
Présentation de nouveaux faits
Le jugement de la chambre de première instance tombe le 20 décembre 2012. Ngirabatware est déclaré « coupable de génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et le viol ». Selon la chambre présidée par le juge tanzanien William Hussein Sekule, l’ex-ministre a incité, aidé et encouragé les miliciens de sa commune natale de Nyamyumba à tuer leurs voisins tutsis et à violer les femmes tutsies en avril 1994. Ce qui lui vaut une peine de 35 ans d’emprisonnement. Cependant, le 18 décembre 2014, la chambre d’appel l’acquitte du chef « viol constitutif de crime contre l’humanité » et réduit la peine à 30 ans de prison.
Protestant de son innocence, Ngirabatware refuse de s’avouer vaincu. Dans une requête déposée le 8 juillet 2016 devant le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), qui assure les fonctions résiduelles du TPIR, l’ex-dirigeant demande un nouveau procès, expliquant disposer de nouveaux faits l’exonérant de toute responsabilité dans les crimes pour lesquels il a été condamné. Le 19 juin 2017, le MTPI y fait droit. « C’est la première fois que le Mécanisme fait droit à une demande de révision d’un jugement final », souligne le MTPI dans un communiqué.
Équipe de défense arrêtée au Rwanda
Initialement programmé pour février 2018 dans un premier temps, le nouveau procès sera reporté deux fois. D’abord pour permettre à la nouvelle avocate de la défense, Diana Ellis, de se plonger dans le volumineux dossier. Puis début septembre 2018, alors que les audiences sont annoncées pour la fin du mois, cinq Rwandais, dont Dick Prudence Munyeshuli, un avocat qui travaillait comme enquêteur au sein de l’équipe de défense de Ngirabatware, sont arrêtés dans leur pays. Ils sont accusés par le procureur du MTPI d’avoir suborné ou cherché à suborner et intimider des témoins pour obtenir des déclarations favorables à l’ex-ministre. L’arrestation entraîne un nouveau report de l’ouverture du procès.
Les audiences démarrent donc enfin ce 16 septembre, après le rejet par la chambre d’une requête de l’accusation demandant que le procès attende que soit d’abord rendu le jugement dans l’affaire Munyeshuli. Les débats qui dureront jusqu’au 27 septembre, vont se dérouler devant une formation de cinq juges conduits par l’ex-président du MTPI, le juge Theodor Meron dont un certain nombre de décisions ont irrité les autorités rwandaises. Kigali reproche au magistrat américain d’avoir accordé la libération anticipée à de nombreux condamnés et d’être à l’origine de réductions de peine en appel.