Personne ne sort grandi, et surtout pas les témoins, de ces dix jours d’échanges d’accusations sinistres dans l’atmosphère crépusculaire du « mécanisme résiduel », pourtant flambant neuf, en charge de l’héritage judiciaire du Tribunal pénal international pour le Rwanda.
Ce vendredi 27 septembre, le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), en sa division d’Arusha, ville touristique du nord de la Tanzanie, s’apprête à rendre une décision pour son premier procès en révision. Dans la petite salle circulaire les deux parties se font face, séparées par trois membres du greffe. Dans la galerie du public, quelques rares personnes attendent. Augustin Ngirabatware a choisi d’être absent pour la lecture du jugement. Il est représenté par ses avocats, tous deux Britanniques, Diana Ellis et Sam Blom-Cooper.
Les cinq juges de la Chambre d’appel s’avancent dans le prétoire. Au centre, le juge président Theodor Meron, qui a par le passé irrité Kigali en accordant la libération anticipée à plusieurs anciens condamnés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Mais ce vendredi on le sait, nul risque de polémique. L’octogénaire américain a déjà déclaré, trois jours plus tôt : « La Chambre d’appel estime qu’au cours de l’audience, Ngirabatware n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour établir de fait nouveau. » C’est donc sans surprise que le juge Meron déclare ce 27 octobre, en fin de matinée : « La chambre décide, à l’unanimité, que le jugement reste en vigueur à tous égards. »
Accusations de mensonges…
La demande en révision était fondée sur la rétractation de quatre témoins de l’accusation, dont les dépositions avaient pesé lourd dans la condamnation de l’ex-ministre. Ils avaient signé des lettres de rétractation, lesquelles ont convaincu la Chambre d’appel d’ouvrir un nouveau procès en révision. Selon la défense, les quatre témoins avaient reconnu « avoir menti » au premier procès, suite soit à des promesses d’avantages en tant que prisonniers condamnés au Rwanda pour génocide, soit par pressions et intimidation. L’un d’eux, dont l’identité a été protégée par la Cour sous le pseudonyme « Anat », avait été condamné à la peine de mort au Rwanda. Mais, comme il l’a raconté à son retour à la barre des témoins le 16 septembre dernier, il a vu sa peine commuée et a été par la suite libéré, après son « faux témoignage » contre Ngirabatware. Un deuxième témoin, « Anan », aurait été libéré lui aussi en échange de son témoignage contre l’ex-ministre. Avant d’accepter de « mémoriser » des accusations contre Ngirabatware, il aurait été plusieurs fois privé de nourriture et tabassé dans sa prison, a déclaré la défense.
… contre accusations de pots-de-vin
L’affaire n’est pas si simple, rétorque le représentant du procureur : les rétractations écrites de ces témoins seraient elles-mêmes le fruit de pots-de-vin versés par des sympathisants de Ngirabatware, notamment par un certain Anselme Nzabonimpa, actuellement en procès devant le Mécanisme pour outrage à la Cour dans cette affaire, avec quatre autres Rwandais. Me Ellis décrit au contraire ses témoins comme « des gens honnêtes qui n’ont pas nié qu’ils ont reçu quelques sommes d’argent pour subvenir à leurs besoins, l’un étant en chômage, l’autre devant réparer sa maison qui était détruite ». Ils ont reçu cette petite monnaie, dit-elle, longtemps après avoir décidé de se rétracter, suite à « la conscience de culpabilité » d’avoir fait condamner un innocent, a-t-elle expliqué.
Mais la défense voit sa barque tanguer lorsque les deux autres témoins ayant produit des rétractions écrites, « Anam » et « Anae », désavouent, à l’audience, leurs rétractations. « Je n’ai jamais fait de fausse déclaration. Je vous dis que la déposition que j’ai faite en 2010 reste comme telle. Je n’y ajoute rien, ni n’en retire rien », affirme « Anam », prenant de court l’avocate britannique. Et les lettres de rétractation ? Elle répond n’en être pas l’auteure et explique les avoir signées sous pression et intimidation. La défense n’aura pas plus de chance avec la témoin « Anae ». « Ma déposition en 2010 était véridique et je la maintiens (…) tout ce qui est de ma rétractation m’a été imposé ».
Corrompus oui, mais quand ?
Me Ellis, qui a cité les deux dames à la barre, demande alors aux juges d’examiner leur crédibilité, le moment venu. « Elles ne devraient pas être reconnues crédibles, que ce soit au niveau de leurs dépositions en première instance ou à n’importe quel stade de la procédure », suggère l’avocate. Mais le juge Lee Muthoga s’interroge tout haut : comment juger crédibles ces deux témoins et ne pas accorder foi aux dires des deux autres, alors que tous les quatre ont reçu de l’argent. Dans la galerie publique, une question taraude les esprits : les témoins ont-ils été corrompus avant ou après le premier procès ?
Ce 27 septembre, le juge Meron et ses quatre confrères tranchent. Non pas sur cette question mais sur leur crédibilité dans le procès en révision. Les témoignages lit-il, « soulèvent de nombreux soupçons quant à leur véracité et à leur authenticité lors de l’audience en révision ». Les juges estiment en particulier que « le fait que les témoins aient reconnu avoir reçu de l’argent à peu près au moment où ils ont signé leurs lettres de rétractation et au cours de la période qui a précédé leur témoignage à l’audience en révision jette une ombre considérable sur la sincérité de leurs décisions respectives de se rétracter ».
Interrogée par JusticeInfo au sortir de l’audience, l’avocate principale de Ngirabatware, Me Ellis remet en cause le raisonnement des juges : ils auraient dû examiner, non pas les circonstances des rétractations, mais bien la véracité de celles-ci. « Les témoins ont donné des témoignages convaincants qu’ils ont maintenus jusqu’au bout, mais la Chambre d’appel n’en a pas tenu compte », se plaint-elle. Elle pense que les témoins qui ont désavoué leurs rétractations l’ont fait par crainte de représailles dans leur pays, au Rwanda. Elle affirme enfin que son client a été victime de « fabrications » et qu’à aucun moment de la procédure, on n’a tenu compte de son alibi, « qui avait pourtant valeur probante ».
Satisfaction à Kigali
Pour sa part, le procureur Serge Brammertz, dans un communiqué publié après le jugement, s’est déclaré « satisfait » que les juges aient « rejeté la tentative de Ngirabatware d’obtenir la révision de sa condamnation ». Le magistrat belge a, dans la foulée, assuré que tous ceux qui interfèrent avec les témoins seront poursuivis. Même sentiment de satisfaction pour la Commission nationale rwandaise de lutte contre le génocide, selon laquelle la démarche de Ngirabatware procédait surtout d’un plan plus large visant « à créer une jurisprudence en vue de la révision d’autres jugements définitifs prononcés par le TPIR, et casser par là leur légalité et leur légitimité ».
Maintenant que son procès est définitivement clos, Ngirabatware devrait être transféré dans un autre pays que la Tanzanie, pour y purger le reste de sa peine de 30 ans d’emprisonnement. Et, pendant ce temps, les limiers du procureur sont toujours à la recherche de son beau-père, Félicien Kabuga, souvent présenté comme l’argentier du génocide.