Après la loi des armes, la justice en panne pour les FDLR

Deux semaines après la « neutralisation » brutale de Sylvestre Mudacumura par l’armée congolaise, des voix s’élèvent, au nom de la population de l’Est de la République démocratique du Congo, pour demander que justice soit rendue aux victimes en poursuivant les crimes du groupe qu’il dirigeait, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda.

Après la loi des armes, la justice en panne pour les FDLR©Lionel HEALING / AFP
Saisie d'armes ayant appartenu aux Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), lors d'une opération conjointe menée en 2009 par des soldats congolais et rwandais, à l'Est de la République démocratique du Congo.
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Mercredi 18 septembre, l’armée congolaise annonçait avoir abattu Sylvestre Mudacumura, leader des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé qui s’est fait remarquer par ses exactions massives dans les Kivus Nord et Sud, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Mudacumura [lire notre encadré] représentait une autorité morale et une figure respectée au sein du mouvement FDLR, dont il a été l’un des piliers depuis sa création, après le génocide rwandais de 1994. Il a été abattu à l’âge de 65 ans.  

Une « unité spéciale de l’armée congolaise a localisé et neutralisé de manière définitive » le chef militaire des FDLR au cours d’une opération qui s’est déroulée de nuit dans le groupement de Bwito du territoire de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu, a précisé sur RFI le porte-parole de l’armée, le général Léon Richard Kasongo. Toutefois, l’armée congolaise n’aurait pas effectué cette opération seule, selon les informations recueillies par Kivu Security Tracker (KST) un projet conjoint du Congo Research Group, basé au Centre de coopération internationale de l’Université de New York, et de Human Rights Watch. Se trouvaient notamment sur zone les forces de Nduma Défense of Congo Rénové (NDC-R) de Guidon Shimiray – qui fait l’objet d’un mandat de la Cour pénale internationale (CPI) – avec lesquelles l’armée collabore dans le cadre des opérations dites « Sokola II » visant à traquer les combattants des FDLR. Et, toujours selon KST, qui mentionne deux sources militaires congolaises et deux sources de la société civiles, des éléments des forces spéciales rwandaises était présents aux côtés des militaires congolais lors de l’opération. Celle-ci s’inscrirait dans le cadre d’une politique de rapprochement avec Kigali, qui veut toujours la tête des leaders des FDLR en vue d’écarter une éventuelle menace à sa sécurité. Interrogé par JusticeInfo, NDC-Rénové a refusé de commenter cette information. Le président Congolais a démenti dans un entretien au journal Le Monde la participation du Rwanda à l’opération, reconnaissant toutefois qu’il y a « partage de renseignements » avec Kigali.

Une opération au sacrifice de la justice

Pour Faustin Kambale, chercheur au Centre de recherches sur l’environnement et les droits humains (Credho) basé à Rutshuru, l’une des villes où sont actifs les FDLR, « c’est bien de neutraliser Mudacumura, mais cela aurait été plus bénéfique de l’arrêter et le présenter devant la justice pour aider les victimes à connaître la vérité sur les crimes que commettent les FDLR, cela aurait également aidé les services de sécurité à démanteler les collaborateurs de ces rebelles qui demeurent toujours capables d’endeuiller le Kivu ». « Le dossier FDLR est complexe », complète Jackson Bwahasa, chercheur en dynamique des conflits au Centre d’études juridiques appliquées de l’Université catholique du Graben, située à Butembo. Tuer Mudacumura, c’est une solution qui arrange ceux qui auraient eu à collaborer avec lui et qui ne veulent pas risquer d’éventuelles révélations au cours d’un procès » analyse-t-il. L’avocat Gilbert Kyatsinge, ancien conseiller juridique de l’ex-chef de guerre Antipas Mbusa Nyamwisi témoigne des difficultés rencontrées par ce dernier lorsque qu’il était ministre des Affaires étrangères. « Quand Nyamwisi a voulu régler le problème des FDLR par la voie diplomatique, il s’est buté à l’absence de volonté politique de la part des dirigeants de l’époque (courant 2008, sous la présidence de Joseph Kabila, Ndlr). Nous avions effectué des missions dans le Sud de Lubero pour tenter d’obtenir la reddition de hauts cadres des FDLR, y compris Mudacumura, malheureusement on a connu de sérieux blocages. C’est peut-être cette absence de volonté politique qui a bloqué l’arrestation de Mudacumura », explique-t-il.

Un « criminel » s’en va, le besoin de la justice reste

L’homme était en effet, depuis juillet 2012, recherché par la CPI pour de nombreux actes de crimes de guerre commis entre 2009 et 2010 au Nord-Kivu. L’organisation Human Rights Watch dit avoir documenté les meurtres de plus de 700 civils par les combattants des FDLR entre 2009 et 2010.  « La plupart des victimes étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées, que les rebelles ont assassinés à coups de machette ou de bêche ou brûlés vifs dans leurs maisons. Ces attaques ont été accompagnées de viols systématiques et d’autres violences sexuelles », affirme l’ONG américaine Human Rights Watch dans un rapport.

Mais en RDC, aucune action judiciaire n’est pour le moment engagée contre les FDLR. Dans un communiqué publié au lendemain de la mort de Mudacumura, Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch plaide pour un réveil des autorités judiciaires : « La mort de Mudacumura ne devrait pas signifier que les victimes et leurs familles n’auront pas droit à la justice. Les chefs des FDLR encore en activité devraient quand même être poursuivis en justice et les victimes devraient recevoir réparation ». C’est aussi le souhait de Nacharlom Kasyano, membre du Noyau de paix de Rutshuru. « La justice ne doit pas se contenter de la neutralisation de Mudacumura. On doit cesser de présenter ce groupe rebelle comme étant affaibli. Non. Sans Mudacumura, les FDLR continuent de commettre des crimes. Cela continue à Kaseguru, Busanza, Binza où ces rebelles règnent en maîtres », déclare-t-il.

Le député Prince Kihangi, président de la commission politique, sécuritaire, administrative et juridique à l’Assemblée provinciale du Nord Kivu (le parlement régional, Ndlr) appelle aussi à agir pour remettre les victimes dans leurs droits. « Il y a des orphelins, des veufs qui souffrent toujours. Ce n’est pas parce que Mudacumura est ‘neutralisé’ que le groupe des FDLR a cessé d’exister. Non. Le groupe existe, et demeure redevable et responsable des crimes. La justice nationale et internationale doivent agir pour que les nouveaux responsables du groupe viennent répondre des crimes causés au Kivu. Il n’y a pas que les citoyens qui doivent saisir les juridictions. La RDC a le droit de saisir les juridictions internationales pour obtenir justice et réparation pour ses citoyens », plaide le député, également avocat au barreau de Goma.

Efforts politiques et diplomatiques nécessaires

Pour endiguer de façon durable les crimes des FDLR, son confrère Me Kyatsinge pense qu’il faut, au-delà du volet militaire et judiciaire, privilégier le volet politique et diplomatique en vue d’obtenir la reddition et le désarmement des combattants hutus rwandais. « Aussi longtemps que l’on privilégie des actions militaires et judicaires, ces rebelles resteront sévères envers les populations, et les crimes continueront d’être commis. Il faut par moment accorder la chance aux efforts visant à obtenir la reddition et le désarmement des FDLR », recommande-t-il. 

Sylvestre MudacumuraQUI ÉTAIT SYLVESTRE MUDACUMURA ?

Ancien petit séminariste, Sylvestre Mudacumura est, comme la grande majorité des officiers rwandais de l’époque, diplômé de l’École supérieure militaire de Kigali. Ce fils du nord a évolué dans différentes unités des Forces armées rwandaises (FAR), notamment au sein du bataillon de la Garde présidentielle dont il fut, un temps, chef des opérations. Envoyé au front contre les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), Mudacumura se voit confier le commandement d’un bataillon dans l’est du Rwanda. Après le génocide, en juillet 1994, il se réfugie dans l’ex-Zaïre, avec d’autres membres des FAR, fuyant l’avancée du FPR. Dans les forêts congolaises ils créent l’Armée de libération du Rwanda, qui deviendra plus tard les Forces combattantes Abacunguzi (FOCA), la branche armée des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). En 2003, il est porté à la tête du haut commandement des FOCA après la défection du général Paul Rwarakabije, aujourd’hui à la retraite au Rwanda. 

La mort du commandant en chef des FOCA vient après celle du chef politique des FDLR, Ignace Murwanashyaka, décédé en avril 2019 en Allemagne, de mort naturelle. Murwanashyaka, originaire du sud du Rwanda, était poursuivi devant la justice allemande en relation avec ses responsabilités au sein des FDLR. Deux autres ex-hauts responsables des FDLR, parmi lesquels le porte-parole du mouvement, La Forge Fils Bazeye, de son vrai nom Ignace Nkaka, sont actuellement jugés au Rwanda, après leur extradition de Kinshasa en décembre dernier, dans ce qui constitue d’un des derniers actes de la présidence de Laurent-Désiré Kabila. Un seul responsable des FDLR a été arrêté par la Cour pénale internationale, Callixte Mbarushimana, ex-secrétaire exécutif de l’organisation, qui a été libéré en décembre 2011, la Cour ayant estimé qu’elle ne disposait pas suffisamment de charges à son encontre.