Si la Cour internationale de justice (CIJ) accepte de se saisir de l’affaire, il s’agira d’une première à plusieurs titres : la première fois que la Cour entend une plainte pour génocide déposée par un pays sans différend direct entre eux ; la première fois qu'elle examine des plaintes pour génocide sans que d'autres tribunaux aient rendu leurs conclusions.
Lors d’une conférence de presse à La Haye, le ministre gambien de la Justice, Abubacarr Tambadou, explique qu’il a demandé à la CIJ de mettre en place des mesures immédiates « pour arrêter les atrocités et le génocide perpétrés par le Myanmar contre sa propre population Rohingya ». « C’est une honte pour notre génération de ne rien faire pendant que le génocide se déroule sous nos yeux. »
La CIJ statue sur les différends entre États. Le Myanmar et la Gambie sont tous deux signataires de la Convention sur le génocide de 1948, qui non seulement interdit aux États de commettre un génocide, mais oblige également tous les États signataires à prévenir et à punir le crime de génocide.
« Le monde ne peut pas rester les bras croisés »
C’est « révolutionnaire », estime Parampreet Singh, directeur adjoint du Programme justice internationale à Human Rights Watch. C’est « historique à bien des égards », renchérit Tambadou.
« Je ne suis que le visage politique de ce processus », ajoute ce dernier, en montrant l’importante équipe juridique venue des États-Unis et du Royaume-Uni, ainsi que de nombreuses ONG de défense des droits humains impliquées. Le ministre explique que la Gambie a déposé la plainte au nom de tous les membres de l’Organisation de coopération islamique (OCI), dont le représentant confirme que l'organisation – qui représente 57 pays à majorité musulmane – finance une longue entreprise, qui peut aller au-delà de six ans.
Tambadou dit avoir été influencé par son expérience personnelle ; il a visité des réfugiés rohingyas au Bangladesh en mai 2018 et écouté leurs récits. « Je pensais que ce n'était pas juste et que le monde ne pouvait pas rester les bras croisés et regarder cela se reproduire », a-t-il dit. Avant d'être nommé ministre en 2017, Tambadou travaillait au Tribunal pénal international pour le Rwanda comme procureur, après le génocide rwandais.
Akila Radhakrishan, présidente du World Justice Center, qui a participé aux efforts pour porter cette affaire devant la CIJ, notamment pour l'analyse des questions de genre, déclare à JusticeInfo que l'expérience gambienne visant à établir les droits humains et à rendre justice aux victimes depuis la chute de leur dictature a influencé la volonté du pays de monter au front.
Un petit pays avec une grande voix
Dans sa requête à la CIJ, la vice-présidente de la Gambie, Isatou Touray, décrit son État comme « un petit pays qui a une grande voix sur les questions des droits de l'homme sur le continent et au-delà ».
Lors de la conférence de presse, les militants rohingyas ont exprimé leur soulagement d'avoir enfin un tribunal au sein duquel leur expérience peut être discutée et qualifiée de génocide : « C'est un événement monumental pour la communauté rohingya, qui a tant enduré », a déclaré la militante canadien Yasmin Ullah. Elle appelle les autres nations à se joindre à la Gambie dans le processus engagé devant la CIJ.
La CIJ pourrait entendre rapidement une demande de « mesures provisoires » visant à prévenir de nouvelles violences contre les Rohingyas - une première audience est attendue le mois prochain. Mais l'affaire elle-même, et notamment toute discussion sur les réparations, pourrait prendre des mois ou des années avant d’être entendue par la Cour onusienne de La Haye.