La présidente, Sophie Leclercq, suit la chronologie des charges, manifestement déterminée à ne pas s’écarter des faits précis jugés par la cour d’assises de Bruxelles. Fabien Neretse était-il un militant engagé du MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement) ? « Je suis étonné d’entendre que j’étais un homme puissant du MRND », répond l’accusé, resté assis en raison de ses problèmes de santé. Veston impeccable, moustache grisonnante et lunettes à monture épaisse, Neretse ne cache pas son éducation et s’exprime avec une extrême politesse. « J’ai bien été membre mais à l’époque du parti unique », dit-il, ajoutant que s’il avait été important, il n’aurait pas perdu en 1992 son poste de directeur de l’office national du café, l’OCIR-café. « J’ai entendu à la radio que j’étais remplacé sans que l’on me dise ce qui m’était reproché. Le multipartisme se mettait en place et certains partis plaçaient des pions. J’ai été affecté au ministère de l’Industrie, puis j’ai quitté l’administration pour ouvrir mon bureau d’études privé ».
Mais selon les enquêteurs, lorsque se déclenche le génocide, en avril 1994, Neretse fait toujours partie d’un comité de décideurs dans sa région natale de Ruhengeri (Nord). « Je voudrais que l’on différencie comité et conseil préfectoral. Les membres du conseil étaient nommés, tandis que les membres du comité étaient des techniciens élus par la préfecture pour suivre des projets de développement », tient-il à préciser, sans démentir. Quant aux meetings du MRND, il les boude après février 1992, dit-il. « Je ne pouvais pas contribuer à un parti qui m’avait écarté ».
Neretse, ami des victimes ?
La présidente cite les crimes qui font que le procès se tient en Belgique : les assassinats de membres de trois familles tutsies parmi lesquelles figure une femme belge, dans le quartier de Nyamirambo à Kigali. Onze personnes sont alors tuées – dont une ressortissante belge, Claire Beckers, son mari Isaïe Bucyana, leur fille Katia, ainsi qu'une dénommée Colette Sissi. Tous des voisins de Neretse, que l’on accuse d’avoir dénoncé ces personnes aux militaires qui les ont tuées.
« Mon épouse et moi étions très amis des Sissi », assure le vieil homme à la barre. Ces derniers les aident dit-il à trouver un logement en 1992, quand il quitte son logement de fonction de l’OCIR-café. « Colette Sissi a appelé mon épouse pour dire ‘venez à côté de chez nous, il y a une maison qui s’est libérée’. C’était un quartier de standing moyen, essentiellement occupé par des Tutsis. Moi je m’en foutais. J’avais de très bonnes relations avec les Tutsis. Mes enfants n’ont même jamais su à quelle ethnie ils appartenaient. » Il précise : « Quand [Evariste] Sissi s’est exilé avec son fils, j’étais le seul à oser soutenir son épouse, Colette. J’ai risqué ma vie. J’ai reçu des lettres de menaces. Je ne comprends pas pourquoi Sissi dit aujourd’hui que je n’étais pas son ami. »
Sur le plan du quartier projeté sur écran à l’audience, Neretse désigne sa maison, qui se trouve à côté de celle des Sissi. Celle des Bucyana-Beckers était la maison d’après. Plus loin, on voit celle des Gakwaya. Toutes des victimes directes ou indirectes de Neretse, selon l’accusation.
La tuerie a lieu le 9 avril 1994. Depuis deux jours, les massacres de Tutsis ensanglantent Kigali. Les trois familles tentent de partir en convoi, pour rejoindre un camp de la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda. « Nous avons entendu quelqu’un crier ‘vous êtes du FPR’ [les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais, Ndlr] et nous avons entendu des coups de fusil », raconte Neretse. En bon voisin, il affirme s’être occupé, avec d’autres, le 10 avril, d’inhumer les corps des victimes et d’aider les rescapés. « Nous leur avons donné à manger et à boire pendant que nous organisions les obsèques », dit-il. Onze personnes sont tuées ce jour-là, mais il n’a vu que sept corps. Le corps d’Isaïe Bucyana, notamment, n’était pas parmi ceux-là, assure-t-il.
« Je n’ai pas été témoin d’une tuerie à Mataba »
Deuxième volet du procès : les crimes commis à Mataba, la ville natale de l’accusé, dans la préfecture de Ruhengeri. Neretse s’y rend le 16 avril. Selon l’acte d’accusation, il y dirige une milice Interahamwe formée de gardiens de l’école ACEDI-Mataba (association pour la Culture, l’Éducation et le Développement intégré) qu’il a fondée en 1989. Cette milice aurait perpétré de nombreuses tueries dans cette région, dont les meurtres de Joseph Mpendwanzi, un Hutu de l’opposition dont les deux enfants sont partie-civile au procès, et d’Anastase Nzamwita, ancien employé à l’OCIR-café tué par des Interahamwe dont un serait venu de l’école ACEDI-Mataba, selon un témoin au procès. Nzamwita a été frappé à mort et jeté dans la rivière Nyabarongo.
« Quand je suis arrivé à Mataba, la région ne comptait pas beaucoup de Tutsis. Les tueries étaient presque terminées. Tous ceux qui devaient être tués l’ont été, m’avait-on dit. Je n’ai pas été témoin d’une tuerie à Mataba », raconte à la cour Neretse. Qui précise un peu plus tard qu’il a toutefois vu « des gens en poursuivre d’autres » sur la colline. Il explique qu’il a engagé du personnel supplémentaire pour veiller à la sécurité de l’école ACEDI-Mataba à la suite d’une agression d’élèves Tutsis par des élèves Hutus extrémistes, en 1993. Ces nouveaux gardiens, des jeunes hommes de la région, n’ont pas formé une milice Interahamwe, assure-t-il, contestant les témoignages affirmant que cette milice était logée à l’école, et qu’il l’entretenait.
« Pour quelle raison de nombreux témoins mentiraient ? », le bouscule la présidente. Neretse se dit « étonné » de leurs déclarations. Mais il a une explication. « Certains professeurs de l’école n’ont pas toléré que je fasse venir des gardiens. Des professeurs qui ont participé aux troubles de 1993. Ils avaient alors reçu un blâme. ACEDI-Mataba est une des rares écoles du pays où il n’y a pas eu de morts. Parce qu’il y avait ces gardiens. Comment les gardiens pouvaient abandonner des élèves pour aller dans les collines ? Ce n’est pas possible », dit-il, en ajoutant : « Si je n’étais pas arrivé à Mataba, il y aurait eu des dizaines de morts. » Du reste, selon Neretse des témoins se trompent : certains meurtriers qu’ils citent n’ont jamais été des gardiens de l’école ACEDI-Mataba.
Le procès s’est poursuivi avec l’audition de témoins dits « de contexte », puis des enquêteurs et juges d'instruction. Vendredi, des proches des victimes et deux rescapés doivent venir témoigner de la fusillade du 9 avril, dans le quartier Nyamirambo.