La grande salle feutrée aux tons pourpres de la cour d'assises de Bruxelles est comble. Régine Bategure, aujourd'hui âgée de 41 ans, entame le récit. En avril 1994, Régine et son petit frère Emmanuel Nkaka vivent avec leur oncle Isaïe Bucyana, la femme de celui-ci, Claire Beckers, et leur cousine Katia, fille cadette du couple. La famille habite une maison du quartier Nyamirambo à Kigali, comme d'autres familles d'origine Tutsie.
Le 7 avril 1994, lendemain de l'attentat sur l'avion du président Juvénal Habyarimana, les massacres ont commencé dans la capitale rwandaise. Le 8, la famille reçoit la visite de miliciens Interahamwe. Ils cherchent Isaïe disent-ils. « Ils sont venus et ont saccagé la maison. Ils ont pris des choses, ont demandé de l'argent... Et ils ont dit : 'quand on reviendra on vous tuera'. Claire a ensuite essayé de contacter la Minuar [Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda, Ndlr]. Là, on lui a répondu de, si on avait les moyens, venir les rejoindre », raconte Régine d'une petite voix, sans doute impressionnée par la solennité de la salle d'audience.
« Ils ont pillé la maison, cassé, volé de l'argent, des montres... Et ils ont violé Katia devant Claire », explique ensuite Martine Beckers, qui fait le récit aux jurés des dernières conversations téléphoniques avec sa sœur, Claire Beckers. « Des histoires horribles quoi », s'exclame-t-elle, secouée d'un rire nerveux. Partie civile au procès, Martine Beckers a contribué aux avancées de l'enquête menant à Fabien Neretse. « En rentrant du Rwanda en septembre 1994, j'ai déposé plainte. Puis chaque fois que j'avais des informations, je les communiquais à la police », dit-elle.
« Quelqu’un de chez Neretse était là ! »
Le 9 avril, les familles Bucyana, Sisi et Gakwaya décident de former un convoi pour se réfugier au camp de la Minuar. Mais les préparatifs sont interrompus par l'arrivée d'un véhicule avec à son bord des militaires et des Interahamwe. « Je ne sais plus combien ils étaient mais beaucoup. Il y avait aussi avec eux un garçon qui s'appelait Emmanuel. Il vivait chez notre voisin [Fabien Neretse] », poursuit Régine.
Les questions de la cour fusent. Comment savait-elle que cet homme s'appelait Emmanuel ? « C'est le nom que j'ai entendu dire ». Et comment savait-elle qu'il provenait de chez l'accusé ? « Je l'avais vu entrer et sortir de chez lui. Je ne sais pas si c'était un domestique ou autre », ajoute-t-elle. « Je ne sais pas qui exactement a averti les militaires et les Interahamwe, mais j'imagine que c'est Neretse puisque quelqu'un de chez Neretse était avec eux ». L'alerte aurait-elle aussi pu être donnée par le major Evariste Nyampame, dont le jardin donnait sur leur parcelle ? « C'est peut-être possible ! », dit-elle, précisant que les enfants du major grimpaient parfois sur le mur pour regarder chez eux. « Mais quelqu'un de chez Neretse était là ! Il est arrivé avec les militaires ! », insiste-t-elle.
« Ils nous ont sortis de la voiture, ont tout mis par terre », reprend-elle. « Ils nous ont fait asseoir dans la rue devant le portail de chez Sisi. Ils nous ont frappés avec des bâtons en fer, nous ont insultés », dit-elle. « Ils savaient que Claire était Belge et que mon cousin [fils de Claire Beckers et Isaïe Bucyana] était militaire du FPR. Ils disaient à Claire d'appeler le FPR à la radio pour qu'ils viennent nous sauver. Ils se moquaient de nous ».
Les assaillants ont ensuite emmené les victimes derrière la maison. « Ils nous ont fait asseoir en ligne. Moi j'étais en deuxième ligne. On était quand même beaucoup. Une dizaine. On a demandé qu'ils nous épargnent. Le militaire armé d'un fusil a dit non. Il a commencé à tirer sur Claire. Elle est tombée en arrière, je me suis allongée par terre, ils ont commencé à tirer sur tout le monde... Quand ils ont eu fini, ils sont partis. J'ai attendu de ne plus rien voir du tout et je me suis levée des cadavres. Je me suis dirigée vers notre maison et c'est là que j'ai vu qu'Emmanuel me suivait », détaille Régine, qui était âgée de 16 ans au moment de ces faits.
Neretse désigne la maison des Sisi
Gerard Gakwaya, qui a perdu dans la fusillade sa femme, Julienne Mukakayumba, et leur fille de huit mois, Inès Gakwaya, témoigne à son tour. « Le 9 avril, Claire Beckers venait de téléphoner à la Minuar, qui acceptait de prendre neuf personnes. Ma femme, qui portait au dos un bébé de huit mois, est alors partie en suivant Isaïe [Bucyana] », raconte-t-il. « Ma femme et mon enfant sont entrés chez les Sisi. Ils ont fermé. Ça n'a pas fait deux minutes, un pick-up Toyota rouge est arrivé avec à son bord trois personnes dont des militaires. Ces militaires se sont arrêtés chez Neretse. Il est sorti et il a montré aux militaires le domicile de chez Sisi », a relaté l'homme de 70 ans.
Régine Bategure, Emmanuel Nkaka, Gérard Gakwaya et un autre habitant du quartier Nyamirambo racontent chacun à leur tour devant la cour que Neretse était connu pour être proche des Interahamwe et organiser des meetings du MRND, le parti au pouvoir, chez lui. « Je connaissais Neretse de vue seulement. Je ne savais pas grand-chose sur lui. Je le voyais quand il y avait des manifestations des Interahamwe. Il marchait avec eux… », témoigne Bategure.
Gakwaya rapporte quant à lui un épisode précis. Le 10 avril, lorsqu'il a inhumé, avec des habitants de Nyamirambo, les corps des victimes, Neretse était présent. « Oui, oui, Neretse je l'ai vu. Il était là aussi. Quelqu'un a dit qu'il fallait détruire la maison des Sisi mais Neretse a dit non, qu'on pourrait en faire un bureau de secteur », rapporte le témoin, lorsqu’on lui demande pourquoi il a déclaré aux enquêteurs que Neretse s'était réjoui de la mort des victimes.
Le procès se poursuit avec l'audition de témoins relatifs cette fois aux crimes dont Neretse est accusé à Mataba, son village natal dans le Nord-Ouest du Rwanda.