La semaine dernière, lors de la réunion annuelle de la Cour pénale internationale (CPI) – l'Assemblée des États Parties (AEP) – les États membres ont finalement voulu montrer qu’ils prenaient le taureau par les cornes. Ils ont convenu de nommer neuf experts chargés de réaliser un examen stratégique indépendant de la cour d'ici septembre 2020. "Cela fait longtemps qu’on le voit venir", dit Fiona McKay, de l'Open Society Justice Initiative (OSJI), une ONG, "et l'Afghanistan a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase".
Le 12 avril dernier, une chambre préliminaire de la CPI a refusé au procureur l'autorisation d'ouvrir une enquête en Afghanistan – enquête qui pourrait potentiellement viser des allégations de torture par la CIA sur plusieurs sites dans le monde – au motif que ce n'était pas "dans l'intérêt de la justice". Cette décision avait profondément choqué les défenseurs de la justice internationale. Ironiquement, l'appel interjeté contre cette décision était entendu à La Haye au moment même où la CPI y tenait sa grande réunion annuelle.
En avril, quatre anciens présidents de l’AEP de la CPI avaient demandé une évaluation indépendante de la Cour, la décision sur l’Afghanistan ayant fait suite à une attaque déterminée de l'administration Trump contre la CPI. Les quatre diplomates faisaient valoir que la Cour ne pouvait pas se permettre une telle décision. "C'est un moment malheureux pour la Cour de paraître moins résiliente qu'elle ne le devrait. Bien qu'elle ait été la cible d'attaques politiques dès sa création, le climat actuel est particulièrement défavorable. Alors que près des deux tiers des États membres des Nations Unies ont adhéré au Statut de Rome, certains des pays les plus puissants ne l'ont pas fait. La Russie, la Chine et les États-Unis ont non seulement décidé de rester à l'écart de la CPI, mais ils font preuve, à des degrés divers, de mépris ou d'hostilité à l'égard de la Cour", écrivirent-ils.
Le traumatisme de la décision sur l'Afghanistan
De vive voix, l'un des signataires, Christian Wenaweser, ambassadeur du Lichtenstein à l'Onu et président de l'AEP de 2008 à 2011, est encore plus direct sur certains des problèmes auxquels la Cour est confrontée, notamment "l'absence de culture d'entreprise, l'imprévisibilité des délais, parfois une décision est prise, on la lit et [vous voyez que] cela prend neuf mois et vous vous demandez pourquoi car mes stagiaires pourraient la rédiger en cinq jours".
Plus prévisible, la conseillère juridique principale de l'Union africaine, l'ambassadrice Namira Negm, s'est également montrée cinglante dans son évaluation de la performance actuelle de la Cour : "A-t-elle réussi dans son travail ? Non. Nous avons des dossiers faibles au Bureau du Procureur et le résultat est que des personnes ont été acquittées pour manque de preuves ou parce que l'affaire n'a pas été bien menée. Quant aux chambres, sur des questions juridiques claires, elles jouent avec le règlement. Pourquoi a-t-on renvoyé l'affaire de l'Afghanistan ? Personne ne le sait. Si ce n'est pas de la politique, je ne sais pas ce qu'est la politique."
La plupart des observateurs ont accueilli favorablement l’expertise annoncée, convenant qu'il s'agit, à tout le moins, d'un moment logique pour réexaminer l'institution. Kip Hale, avocat spécialisé dans les crimes internationaux, déclare : "Il y a des problèmes systémiques, tant dans le processus judiciaire qu’au bureau du procureur, qui exigent un examen externe à caractère systématique. L'engagement de l'AEP en est la dernière étape critique, qui montrant le soutien politique qui le sous-tend". Lorraine Smith van Lin, conseillère à l’ONG Redress, acquiesce. "La CPI, en tant qu'institution, est une "adolescente" et nous savons à quel point les adolescents sont inconstants. Quand tout se passe à merveille, tout le monde dit : pourquoi tout bouleverser. Alors, oui, il faut le faire maintenant, après la décision sur l'Afghanistan", dit-elle.
La cupidité des juges
Certains s'inquiètent pourtant des motivations qui sous-tendent l'examen. "Je ne suis pas sûr que cela se fasse pour les bonnes raisons", explique Patryk Labuda, de la Fletcher School of Law and Diplomacy et de l'Académie de Genève. "La décision sur l'Afghanistan a fait comprendre à tout le monde que nous avions un grave problème. Mais je pense que certains facteurs ne sont pas particulièrement convaincants : le fait qu'il y ait eu des acquittements ne devrait pas être un problème en soi", souligne-t-il, faisant référence à deux autres décisions vécues comme des camouflets pour la procureure de la CPI, les acquittements de l'ancien vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, et de l'ancien Président ivoirien, Laurent Gbagbo.
Un autre facteur ayant fait monter à ébullition l'insatisfaction devant la piètre performance de la CPI fut la révélation à l'ASP de 2018 que les juges faisaient pression pour être mieux payés, malgré des salaires de près de 200 000 euros par an. Depuis lors, le président de la CPI, Chile Eboe-Osuji, n'a manqué aucune occasion de mentionner la question de la rémunération des juges lors de sessions à huis clos avec, entre autres, des ONG à court d'argent. La semaine dernière, il a fait de même lors de la session extraordinaire de l'AEP consacrée à l'examen stratégique, soulignant à quel point il pensait que lui et ses collègues étaient mal payés, et que les commentateurs avaient tort de penser que les juges se souciaient plus de leurs privilèges que de leur travail. En fait, a-t-il souligné, les juges ont été contraints de porter l'affaire devant un tribunal parce que les États membres n'avaient pas traité la question. C'était une parfaite illustration des relations tendues entre la "direction" et les "travailleurs" de la mine à la CPI.
La balle aux experts
Des experts ont donc été appelés à la rescousse. Pour structurer ce qui doit être traité, le Bureau de l'AEP a établi une matrice à leur intention, qui constitue un document de référence sur trois sujets : gouvernance, pouvoir judiciaire, enquêtes et poursuites. Les neuf experts – dont les éternels Richard Goldstone et Hassan Jallow, anciens procureurs, Mohamed Chande Othman, ancien chef des poursuites et président de la Cour suprême de Tanzanie, et le juge Iain Bonomy – sont invités à fournir "des solutions pratiques, réalistes et concrètes". Pour financer leur mission, un excédent budgétaire de 2017 d'environ 300 000 euros sera utilisé, puis complété par les Etats si nécessaire.
En septembre, la Cour et les États recevront des recommandations et chacun d'entre eux décidera, lors de l'AEP de 2020, comment les appliquer. "Nous insistons fortement sur le fait que l’examen doit être complet, sinon s’il ne couvre que certains aspects, il sera partisan", explique Christian Wenaweser.
En campagne
Dans ce contexte, l'élection d'un nouveau procureur, alors que Fatou Bensouda achève son mandat de neuf ans en juin 2021, n’a pas été un sujet principal à l'ordre du jour de cette session. 144 personnes ont déposé leur candidature. Quelle que soit celle qui sera choisie, elle devra appliquer les leçons des experts. Dans les coulisses, on dit que c'est "le tour de l'Europe de l'Ouest" de détenir le poste, après qu'une Africaine et un Latino-Américain aient eu leur chance. Le prince héritier en attente semblait être le Belge Serge Brammertz, actuel procureur du Mécanisme résiduel international pour les tribunaux pénaux (MITP), l'organe ayant succédé aux tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Il était régulièrement présent aux manifestations parallèles à l'ASP et confirmait sa candidature avec un sourire confiant, qualifiant le poste à pourvoir de "stimulant".
La nomination et l'élection des juges constituent un autre sujet clé en ligne de mire, en partie parce que six juges seront élus lors de la prochaine session de l'AEP, apportant du sang neuf dans le système. Un récent rapport de l'OSJI a conclu que "des facteurs politiques favorisent trop souvent les relations et l'opportunisme politiques plutôt que la transparence et le mérite. Cette pratique porte préjudice aux juges de la CPI et, par conséquent, à la Cour dans son ensemble". "Il est fondamental d'avoir les bons juges, et c'est là que les États doivent intervenir et trouver les bons candidats", dit McKay. Elle souligne que "presque tous les États qui ont pris la parole lors de la session extraordinaire de l'AEP ont dit : nous, les États, avons aussi la responsabilité de regarder notre rôle et pas seulement la performance du tribunal".
Les États contrôlent
Les États nomment et élisent les juges. Wenaweser admet qu'ils doivent partager la critique. Les États "ne choisissent certainement pas les bons juges. Nous ne donnons pas assez d'argent non plus. Je ne pense pas que nous donnons suffisamment de soutien politique à la CPI. Et il y a les questions de coopération", dit-il. (Cette année encore, les États membres ont rejeté les demandes financières de la Cour et lui ont accordé une augmentation budgétaire inférieure à 1%. Tout un message.) Et certains voudraient que l'examen mette un peu plus l'accent sur les responsabilités des États.
"J'espérais que la méthodologie ferait en sorte que l'ASP fasse l'objet d'un examen minutieux de son mode de fonctionnement", explique Kip Hale. Labuda fait remarquer que les États ont après tout peut-être fait pencher la balance de l'examen en leur faveur à travers le choix des experts. Ils sont "très centrés sur l'État", analyse-t-il. "C’est important d’avoir l'adhésion des États, mais je pensais que certains États seraient plus ouverts à des voix extérieures et plus critiques ; il semble que les États conservateurs l'ont emporté."
Hale est d'accord que "les signes pointent dans la mauvaise direction". Mais il espère "que ces neuf personnes prendront le taureau par les cornes et construiront un processus partant de la base." McKay prévient déjà : "Nous ne devrions pas penser que ces experts trouveront les seules solutions."