Fabien Neretse est resté impassible, assis dans le box des accusés, vêtu d'un costume sombre, cravate et chemise blanche, écoutant un long verdict accablant qui ne l’a épargné que pour deux meurtres dont le procureur lui-même demandait l'abandon.
Les jurés ont suivi la droite ligne tracée par le procureur fédéral, Arnaud d'Oultremont. Pas de place aux doutes dans cet arrêt rendu le 19 décembre dans la soirée par la cour d'assises de Bruxelles où, malgré l'heure tardive, le public était présent en nombre. Deux journées complètes de délibération ont été nécessaires aux douze jurés pour faire le tri parmi la centaine de témoignages entendus en six semaines.
Coupable de crimes à Mataba et à Kigali
Fabien Neretse est reconnu coupable d'avoir créé, entretenu et financé une milice d'Interahamwe dans son village natal à Mataba (Nord-Ouest du Rwanda), où il s'était installé dès la mi-avril 1994. Cette milice avait tué Anastase Nzamwita près de Mataba, en mai 1994, et Joseph Mpendwanzi, un opposant politique hutu, près de Muvuba, le 19 juin 1994, ainsi qu'un nombre indéterminé de personnes qui sont restées non-identifiées ou mal identifiées. Pour ces meurtres, il est reconnu coupable de crimes de guerre.
Une vingtaine de témoignages se recoupaient solidement concernant l'enlèvement de Joseph Mpendwanzi par des Interahamwe. Tous relataient qu'il avait été débusqué dans une maison où il se cachait, puis emmené par les miliciens, ligoté, et transporté dans la benne du pick-up de Fabien Neretse, conduit par ce dernier lui-même. L'explication de l'accusé, selon laquelle son véhicule était en fait réquisitionné et qu'il avait tenté de dissuader les ravisseurs de Mpendwanzi d'emmener cet homme, n'a pas convaincu. Les jurés ont tout bonnement qualifié son récit d' « invraisemblable ».
Fabien Neretse est aussi reconnu coupable d'avoir dénoncé ses voisins du quartier Nyamirambo, à Kigali, le 9 avril 1994, avant qu'il ne quitte la capitale pour Mataba. Des faits bien moins limpides que ceux décrits à Mataba. Il s'agissait de démontrer que Fabien Neretse avait contacté les militaires pour les avertir que plusieurs familles tutsies dans son voisinage s'apprêtaient à fuir. Les familles Sisi, Gakwaya et Bucyana s'étaient rassemblées dans la parcelle des Sisi et avaient déjà chargé les voitures de leurs bagages lorsque militaires et miliciens Interahamwe ont fait irruption. Ils ont abattu onze personnes, dont la Belge Claire Beckers, épouse d'Isaïe Bucyana, et tenté d'en tuer trois. Fabien Neretse est reconnu coupable de neuf des onze meurtres et des trois tentatives de meurtre, tous qualifiés une fois encore de crimes de guerre.
Avec l’intention de détruire les Tutsis
La tâche s'avérait délicate car il n'y avait aucune trace d'un appel téléphonique passé par Fabien Neretse à des autorités militaires et personne ne l'avait entendu dire aux militaires que lesdites familles étaient sur le point de fuir. Mais les jurés ont sauté le pas. Ernest Gakwaya, qui a perdu sa femme et sa fille dans l'attaque, avait déclaré avoir vu Neretse montrer du doigt la maison des Sisi aux militaires. Et Régine Bategure, rescapée de la fusillade, avait affirmé que « quelqu'un de chez Neretse » était présent avec les militaires. Selon les avocats de Neretse, ces témoignages isolés ou ces preuves indirectes posaient le doute : « Ça fait 25 ans qu'on cultive la rumeur que c'est Fabien Neretse qui a appelé les militaires. Mais après 18 ans d'enquête on n'a pas un témoin qui peut confirmer que c'est lui qui les a appelés. C'est une rumeur ! La rumeur fausse les choses et elle blesse », avait martelé l’avocat Jean-Pierre Jacques, avançant qu'une autre piste avait été complètement délaissée par l'enquête, celle d'Evariste Nyampame, un major des Forces armées rwandaises (FAR) qui vivait dans ce même quartier et avait vue sur la parcelle des Sisi.
Reste le crime de génocide. C'est la première fois qu'un accusé devait en répondre en Belgique et il est déclaré établi par la cour. Les jurés devaient décider si Fabien Neretse avait commis tous ces meurtres en étant animé de l'intention de détruire l'ethnie tutsie. Pour cela, ils ont tenu compte des quelques témoignages rapportant des propos tenus par Neretse, selon lesquels il fallait « poursuivre la traque des Tutsis jusque dans les collines », ou rapportant des instructions qu'il donnait aux Interahamwe, notamment qu'il ne fallait pas « s'épuiser à creuser des trous mais conduire les Tutsis tués à la rivière Nyabarongo ».
Le faux pas de l’accusé
Au cours du procès, Fabien Neretse a persisté à dire qu'il avait sauvé des Tutsis, qu'il était très ami avec son voisin Evariste Sisi et qu'il n'était plus un homme influent au parti au pouvoir, le MRND, depuis qu'il avait été évincé de son poste de directeur de l'OCIR-Café, l’organisme paraétatique gérant la vente et l'exportation de café. Mais il n’a pas convaincu les jurés. Un événement l'a sans doute perdu : une fausse déclaration du fils de Joseph Mpendwanzi qu'il a déposée lui-même à la cour. « Monsieur Neretse Fabien, moi, j'accepte de te rétablir dans tes droits car je sais bien que tu es victime d'une injustice », disait le document, signé de Jean-Paul Mpendwanzi, auquel était jointe une copie de sa carte d'identité. Le présumé auteur, entendu comme témoin par la cour, a vivement démenti avoir déclaré une telle chose, lui qui a été témoin direct de la capture de son père par les Interahamwe, véhiculés par Neretse.
Interrogé par la présidente du tribunal, l’accusé avait répondu que l'écrit lui avait été remis par « des gens au Rwanda » dont il ne pouvait pas citer les noms sans mettre en péril leur sécurité... Une explication qui a laissé la cour perplexe. En plaidoirie, la partie civile n'a pas hésité à dénoncer des « pratiques mafieuses ». « Nous avons assisté à une défense que je qualifierais de propagande génocidaire. Des témoins ont été préparés avant leur audition, par l'accusé. Il ne s'agit pas seulement d'acheter les témoins, il y aussi les menaces, les pressions sur les témoins et les faux », avait vilipendé l’avocate Michèle Hirsch.
Vingt-cinq ans après les faits, Fabien Neretse est donc reconnu coupable dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Avant que le jury se retire pour délibérer, il avait eu ces derniers mots : « Je ne cesserai de dire que j'avais beaucoup d'amis tutsis. Je pense que c'est par l'éducation et la compréhension de notre histoire qu'on pourra lutter contre les injustices et ma condamnation ou mon acquittement n'y changera rien. »