C’est un texte relativement court de douze pages, conçu pour mettre en place une nouvelle institution en République centrafricaine (RCA), dont l’origine remonte au Forum de Bangui de 2015 et considérée comme l'un des piliers de l'accord de paix du 6 février 2019. Bien que le délai de trois mois prévu après la signature de l'accord ait été largement dépassé, les dispositions visant à élaborer le projet de loi ont été respectées, avec l'organisation de consultations nationales « populaires » dans les sept grandes régions administratives. Au total 1.977 participants issus de différentes composantes de la société (religions, minorités, partis, etc.) ont pu être consultés, et les travaux ont été compilés dans un rapport, qui a servi de base pour la rédaction du projet de loi.
Dans les grandes lignes, les conclusions du rapport ont été conservées par le projet de loi, dont Justice Info a pu se procureur une copie. Selon ce projet, qui doit encore être débattu et adopté par l’Assemblée nationale, la Commission vérité justice réconciliation et réparations (CVJRR) sera donc une nouvelle institution centrafricaine, qui n'aura « pas de pouvoir judiciaire ». Elle jouira cependant d'une « autonomie » et d'une « indépendance d'action ». Son mandat sera de quatre ans (prorogeable un an), et elle sera composée de onze commissaires, dont au moins quatre femmes, issus des sept régions du pays, nommés par décret présidentiel après sélection par une commission. Cette commission sera composée de sept personnalités, dont une de l’assemblée nationale, une du gouvernement, trois de la société civile et deux observateurs internationaux (Nations unies et Union africaine). Ils travailleront « à temps plein » pour la Commission et se réuniront chaque semaine
Un mandat ambitieux (1959 à 2019)
La CVJRR, prévoit le projet de loi, sera organisée autour de trois organes – l'Assemblée plénière (regroupant l'ensemble des commissaires), le Bureau, et les sous-commissions. Son mandat sera d'« enquêter, établir la vérité et situer les responsabilités sur les graves événements nationaux depuis le 29 mars 1959, date de la disparition du président fondateur Barthélémy Boganda, jusqu'au 31 décembre 2019. » Et déjà, se pose la première question de l'ambition du mécanisme. Le rapport de consultations nationales avait fait le long inventaire de tous les faits à couvrir : les coups d'État qu'a connu le pays, avec ou sans le concours de forces étrangères, les interventions militaires étrangères, le recours aux mercenaires, les accords militaires et de défense, les atteintes et violations graves des droits humains, ou encore la gouvernance politique. On peut se poser la question de savoir quels pourront être les leviers de pression de la Commission pour exiger de la France, de la Russie, de la Chine, ou même des autorités nationales, qu'elles lèvent le voile sur tous ces événements.
La CVJRR devra organiser de surcroît des audiences thématiques « sur les grandes violations commises […] et le rôle joué par les institutions étatiques ou privées, telles que l'armée, la police, la justice, l'éducation, le secteur financier, les médias, les partis politiques et leurs mouvements affiliés, les confessions religieuses, les associations, les groupes armés et autres organisations ». Or son temps est compté - 5 ans au maximum. D'où peut-être l'absence de mention précise des angles historiques d'investigation au sein du projet de loi, que précisait le rapport de consultations. Pour les chercheurs et historiens, la volonté de « faciliter la collecte et l'archivage des vestiges et des données des conflits armés en RCA » fait cependant partie des mesures prévues par le projet de loi.
Côté réparations : les notions reprises dans le texte législatif sont issues du rapport de consultations nationales, qui envisageait des réparations symboliques (mémorial), collectives, ou individuelles.
Si la Commission n'aura pas de pouvoir judiciaire, tout, dans la description de son travail d'enquête à venir, ressemble à s'y méprendre à une procédure judiciaire. À commencer par le dépôt d'une « plainte » : « Sans préjudice du droit de chacun de suivre la voie des cours et tribunaux pour la défense de ses intérêts, tout groupe de personnes lésés du fait d'une violation individuelle, collective ou massive des droits de l'homme peut saisir la CVJRR par le dépôt d'une plainte. » Une plainte qui se concrétisera, va jusqu’à préciser le projet de loi, par une simple fiche, indiquant l'identité et la qualité du déclarant, ainsi que celle du ou des présumé(s) auteur(s) des violations, ainsi qu'une description des faits subis. Le déclarant pourra choisir s'il souhaite ou non comparaître en public ou à huis-clos. La Commission pourra aussi se saisir d'office, et toute procédure devant la CVJRR sera gratuite, précise encore le texte présenté au président Touadéra.
Des pouvoirs d’enquête étendus
La latitude d'action dont bénéficiera la Commission est assez intéressante. Bénéficiant d'une immunité dans le cadre de leur mandat, les commissaires pourront requérir toute personne, qui sera dès lors « déliée du secret professionnel », ainsi que les personnes « jouissant des immunités ou privilèges ». Elle pourra accéder « à toute information ou archives publiques ou privées liées à l'accomplissement de son mandat qui lui confère un pouvoir d'injonction ». Dans le même état d'esprit, elle pourra visiter avec le concours du ministère public territorialement compétent « n'importe quel lieu ou établissement », ou requérir ses services pour effectuer des perquisitions.
Par pragmatisme, le projet de loi prévoit cependant un mécanisme de conciliation entre victimes et auteurs. Si « les recommandations de la CVJRR […] dûment signifiées aux parties, leur sont opposables », et si « la réparation s'effectue selon la procédure à l'amiable avec le consentement des deux parties », ces conciliations seront « revêtues de l'autorité de la chose jugée », précise le texte qui ajoute que dans le cas où l’une des parties ne s’y conformerait pas, l’autre « est habilitée à saisir les cours et tribunaux conformément au droit commun pour obtenir l'exécution forcée ».
En matière de pardon, le projet de loi n’est pas non plus en reste. Il envisage « l'organisation d'un rituel pour certains cas de réconciliation nationale » et la possibilité d’utiliser des « mécanismes traditionnels et néo-traditionnels de réparation et de réconciliation » en indiquant par ailleurs de façon sibyline que « les victimes ont la faculté d'octroyer leur pardon dans la mesure où il est librement accordé ; sans interférence de quelconque nature. » Là encore, cette disposition interroge au regard des moyens de pression divers que peuvent subir les victimes à l'intérieur du pays, encore largement sous contrôle des groupes armés, pour accorder leur « pardon ».
Des dossiers pourront être transmis à la justice
Alors que le rapport issu des consultations nationales était relativement précis, s'agissant des possibilités de coopération entre la CVJRR et la Cour pénale spéciale ou des juridictions nationales, le projet de loi demeure assez peu précis sur ce point. La Commission, décrit le texte, « travaille avec la Cour pénale spéciale et les juridictions nationales dans la recherche de la vérité et la justice », et « peut émettre des recommandations sur le transfert des dossiers à la Cour pénale spéciale et aux autres juridictions compétentes », est-il indiqué.
Le projet de loi évoque enfin la question du nerf de la guerre, le budget de la CVJRR, mais reste là encore assez évasif. Il prévoit une dotation budgétaire inscrite au budget de l'État, même si, est-il précisé, « les partenaires bilatéraux, multilatéraux et autres peuvent également contribuer au budget ». Un point clé, tant la création effective d’une CVJRR annoncée depuis 2015 que son fonctionnement dépendront en grande partie des moyens mis en œuvre.