Des cris, des ruades, des coups de pieds envoyés dans le mobilier de la salle. Accueilli dans un premier temps dans le calme, le verdict de la session criminelle de la Cour d’appel de Bangui a fait réagir les condamnés quelques minutes plus tard, le temps pour eux de réaliser qu’ils passeraient une bonne partie de leur vie derrière les barreaux. Pour tous les accusés et pour les chefs en particulier, les peines prononcées sont lourdes : Kevin Bere Bere, Romaric Mandago, Crépin Wakanam (alias Pino Pino), Patrick Gbiako, Yembeline Mbenguia Alpha, les cinq principaux leaders des groupes d'autodéfense anti-balakas de Bangassou (Sud-Est de la Centrafrique) ont chacun été condamnés à une peine de travaux forcés à perpétuité.
« Ils auraient mérité la peine de mort », avait lancé le procureur général Eric Didier Tambo lors de son réquisitoire, avant d’invoquer le « respect de la parole donnée » à la communauté internationale, pour requérir la perpétuité. La Cour l'a suivi en ce qui concerne les chefs de groupes, mais elle a allégé les peines demandées pour les 23 autres miliciens, pour lesquels il avait requis 20 ans de prison ferme. Ces derniers écopent de peines de 10 ans de prison ou de 15 ans de travaux forcés pour association de malfaiteurs, détention illégale d'armes de guerre et de munitions et assassinats. Tous sont condamnés à payer des sommes importantes aux victimes, à titre de dommages et intérêts. Leurs biens mobiliers et immobiliers seront confisqués à cet effet.
Des exactions qui écœurent (défense)
Les cinq chefs anti-balakas sont les premiers à avoir été condamnés à la fois pour crimes contre l'humanité et pour crimes de guerre, à l'issue d'un procès hors norme pour la Centrafrique. Certes, la Cour criminelle de Bangui n'a pas levé toutes les zones d'ombre qui continuent de planer sur les crimes commis à Bangassou en 2016 et 2017. Mais les débats contradictoires notamment autour d'une réunion, le 3 septembre 2016, regroupant des autorités de Bangassou (dont le sous-préfet) et des dignitaires religieux, ont permis d'en savoir plus sur la création des groupes d'autodéfense.
Un contexte historique et local invoqué tant à charge qu’à décharge. L'absence d'Etat, les incursions passées de la coalition Seleka dans la région, l'insécurité généralisée en RCA : pour les avocats de la défense, cela explique la constitution des milices locales d’auto-défense anti-balakas. « Nous ne nions pas que nos clients ont commis des exactions qui écœurent, a affirmé maître Anatole Maïtovo lors de sa plaidoirie, mais ils ont agi en tant qu'êtres humains […] Ces groupes n'étaient pas constitués pour faire le mal », insiste-t-il. Même s'il ajoute : « Ces enfants ont été à un moment dans la folie », et tente même : « Ceux qui se disent témoins ou victimes ont aussi pris les armes. »
Ils s’en prenaient à tous (partie civile)
Du côté des parties civiles, on précise. « Ce sont les autorités locales qui ont permis aux groupes d'autodéfense de se reconstituer », dit Mathias Morouba, pour qui la responsabilité de l'Etat est engagée. Oui, les hommes de la Seleka – qui ont renversé le président François Bozizé en mars 2013 – sont venus. Ils ont pillé et volé. Mais trois ans plus tard, ils n'étaient plus là au moment des faits incriminés. Et les crimes des miliciens ont dépassé tous les degrés de cruauté. « Combien de personnes ont été déchiquetées ? Ils ont mangé. Ils sont devenus des anthropophages. Ils ont rasé tout un arrondissement (l'attaque du quartier musulman de Tokoyo, le 13 mai 2017, NDLR), 723 maisons. » Me Morouba balaye même l'argument confessionnel, prenant à témoin les nombreuses victimes chrétiennes des anti-balakas. « Ils avaient l'intention de s'en prendre à tout le monde », insiste-t-il.
Photos des prévenus en uniforme et en arme, journal de bord du « général » autoproclamé Bere Bere, PV d'audition de trois ecclésiastiques, etc. Le dossier Bangassou est très fourni. Des preuves ont été apportées par la mission des Nations unies en Centrafrique, la Minusca – une enquête minutieuse ayant été menée après l'attaque d’un de ses convois à Yongofongo le 8 mai 2017, qui a coûté la mort à quatre soldats de maintien de la paix – et par des organisations de défense des droits humains. Mais c'est certainement le visionnage, à huis clos, de films contenus dans les appareils photo des inculpés qui a emporté l'intime conviction du jury. Ces images comportaient notamment, nous a-t-on rapporté, celles d'une femme enceinte éventrée, et dont le fœtus a été arraché à son ventre.
Le procès des crimes de Bangassou, de par son ampleur, sa durée et son organisation, fera sans doute date en RCA. « À travers les débats, a affirmé le procureur Tambo à l’issue du procès, on a vu que les anti-balakas n'étaient pas des libérateurs, que c'étaient des groupes de bandits, qui ont profité de l'absence d'Etat. Je pense que cette sentence aura une conséquence dissuasive. » C’est aussi l’avis de Me Morouba, pour qui les parties civiles sont « satisfaites de cette décision ». « La Cour a reconnu la culpabilité de l'ensemble des prévenus. Les victimes ont compris que la Cour les a entendus. Tous les bourreaux doivent comprendre qu'ils devront s'expliquer un jour devant la justice. »
Un procès très suivi par les Centrafricains
Tambo se félicite que les Centrafricains aient pu suivre ce procès, retransmis intégralement à la radio et à la télévision. Les parties civiles sont plus inquiètes. Les visages et les voix des victimes et témoins ont été diffusés, alors que tous ceux qui ont commis des crimes dans la région de Bangassou n'ont pas encore déposé les armes, ni été arrêtés. Pour le procureur général, cette question n'a pas lieu d'être. « Le code de procédure pénal centrafricain ne prévoit pas de dispositif de protection des témoins et des victimes. Les autres sont en cavale, ils n'opèrent plus à Bangassou à visage découvert. Aujourd'hui, la peur a changé de camp. Ils font profil bas. » Selon Tambo, certains de ces fugitifs feront l'objet d'une procédure par contumace, lors de la prochaine session criminelle.
La Cour pénale spéciale (CPS), dont le code de procédure prévoit, lui, un mécanisme de protection des victimes, n'a pas demandé le dessaisissement du dossier, comme la loi le lui aurait permis. La procédure avait été engagée avant la mise en œuvre effective de la CPS, argue-t-elle. Et concernant la protection des victimes, selon son porte-parole, Théophile Momokoama, « la CPS n'a pas vocation à remplacer les instances nationales sur ces questions mais le travail que nous effectuons pourra progressivement alimenter les réflexions, et pousser les autorités nationales à intégrer de nouvelles pratiques. »
Pour sa part, Ali Ousmane, président de la Coordination des organisations musulmanes de Centrafrique et victime des événements de Bangassou, estime qu’il y a matière pour un autre procès, devant la CPS cette fois. « La plupart des victimes n'ont pas déposé plainte. Et nous envisageons de le faire devant la CPS. Il y a des auteurs, des co-auteurs, qui sont dans la nature, qui gardent des capacités de nuisance. Ils disposent encore de nos biens. Nous voulons aussi que certaines autorités locales ou administratives, dont nous pensons qu'elles sont complices, soient inculpées. Nous avons des preuves, martèle Ousmane. Nous qualifions les actes qui se sont produits de génocide. On voulait exterminer tous les musulmans de Bangassou. »