La ville d'Asaba est la capitale de l'État du Delta, riche en pétrole, dans la région sud-sud du Nigeria. Elle se trouve sur la rive ouest du fleuve Niger. Elle n'est pas bien connue au-delà du Nigeria, mais elle a encore de puissantes résonances pour les Nigérians en raison des événements qui s’y sont déroulés au cours de la première année de la guerre civile du pays, en octobre 1967. Les troupes du gouvernement fédéral qui poursuivaient l'armée biafraise sont entrées dans la ville et, en trois jours, ont massacré au moins un millier de personnes. La ville a été laissée en ruines et les survivants traumatisés.
Ces événements restent marqués au fer rouge dans le cœur des gens. Lorsque le Nigeria est revenu à un régime civil en 1999, après des décennies de gouvernance militaire, un organisme appelé Commission d'enquête sur les violations des droits humains - le « Oputa Panel » - a reçu quelque 10 000 plaintes concernant des abus qui y ont eu lieu entre 1966 et 1999. Parmi celles-ci, figurait le massacre d'Asaba. Bien peu de cas ont été examinés en profondeur. Le résultat est que le mécontentement est resté profond.
Le massacre est encore mal reconnu et reste une question très sensible. Selon les historiens Elizabeth Bird et Frazer Ottanelli, le massacre est peu connu car il a été couvert à l'époque. Ils affirment que cela a été fait avec la connivence des alliés et des bailleurs de fonds du Nigeria, comme le gouvernement travailliste britannique de Harold Wilson. Le fait que le commandant militaire dont les soldats ont commis les atrocités, Muritala Muhammed, soit devenu le chef de l'État nigérian en 1975 a permis de continuer d’occulter la vérité.
La guerre civile nigériane a éclaté en juillet 1967 lorsque les Igbos de plusieurs États de l'Est, qui étaient principalement chrétiens, ont formé une république dissidente du Biafra en réponse aux massacres perpétrés par les troupes du gouvernement dominé par le Nord (d’ethnie Hausa). On estime que plus d'un million de personnes sont mortes au cours de ce conflit qui a duré trois ans, la plupart d'entre elles souffrant de malnutrition en raison d'un blocus économique. Les combats ont pris fin en janvier 1970, mais les tensions entre les populations chrétiennes et musulmanes dans certaines régions du Nigeria persistent.
Le massacre d’Asaba a été la pire atrocité de la guerre civile. Il fait partie de la mémoire populaire. Mais, comme pour beaucoup d'événements de la guerre civile, il n'est pas enseigné dans les écoles nigérianes. Il y a plusieurs années, l'ancien chef du gouvernement fédéral pendant la guerre civile, le général Gowon, a présenté des excuses pour les atrocités commises lors d'une visite privée à Asaba. Mais aucun autre acte n'a suivi. Les militants estiment qu'il est temps que le massacre soit officiellement commémoré. Ils affirment que l'emplacement évident pour une commémoration permanente est la maison historique du parc Mungo d'Asaba.
Le projet de mémorial
La maison du parc Mungo est une structure en bois préfabriquée datant de 1886. On pense que c'est le dernier bâtiment existant ayant appartenu à la Compagnie royale du Niger. La responsabilité du bâtiment a été assumée par la Commission nationale des musées et des monuments du Nigeria en 1997, mais sans financement du gouvernement, la Commission n'a pas pu le rénover ni développer le projet.
Pour certains, la construction d'un mémorial serait bénéfique pour les habitants de la région. Comme le soulignent Bird et Ottanelli, d'autres pays d'Afrique de l'Ouest découvrent la valeur du patrimoine culturel. Par exemple, au Ghana, la promotion active de ses sites du patrimoine mondial a renforcé le prestige national et a apporté des revenus touristiques considérables.
En revanche, le Nigeria est à la traîne.
La réconciliation n'est possible que lorsqu'elle est scellée par une prise de conscience, des remords et une volonté de réparation, aussi symbolique soit-elle.
En 2017, une commémoration du 50e anniversaire a eu lieu à Asaba, en présence du prix Nobel Wole Soyinka, qui a déclaré que la réconciliation n'est possible que lorsqu'elle est scellée par une prise de conscience, des remords et une volonté de réparation, aussi symbolique soit-elle. Le gouverneur de l'État était présent, mais aucun représentant de l'administration fédérale n’est venu, ce qui témoigne de la position d’un gouvernement, qui considère préférable d’oublier la guerre avec le Biafra dans l'intérêt de l'unité nationale.
Dans ces conditions, la lutte en faveur d’un mémorial risque de se poursuivre encore pendant un certain temps.
Jon Silverman, professeur de recherche sur les médias et la justice pénale, Université de Bedfordshire.
Cet article, légèrement modifié et traduit en français par Justice Info avec l'accord de l'auteur, est republié depuis The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.