Pour le gouvernement congolais, il semble que c’était le prix à payer pour rétablir la paix dans la région de l’Ituri, à l’Est du pays. Du jour au lendemain, Kinshasa a rendu leur liberté aux deux premiers ex-chefs de guerre condamnés par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Thomas Lubanga est sorti de la prison de Makala dimanche 15 mars, à l’heure pour assister en habits blancs à une messe dite pour l’occasion à la paroisse Notre-Dame de Fatima. Le lendemain lundi 16 mars, Germain Katanga a pris la même porte de sortie que celui qu’il avait auparavant suivi à la CPI, et côtoyé à la prison de La Haye.
Livré à la CPI en 2007, deux ans après son arrestation à Kinshasa, Germain Katanga, surnommé Simba (le lion, en swahili), a été condamné en 2014 à douze ans de prison pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour avoir contribué, selon le jugement du tribunal de La Haye, à détruire le village de Bogoro (Ituri) lors d’une attaque ayant fait environ 200 morts, en 2003. Renvoyé en décembre 2015 dans son pays pour y purger le reste de sa peine, Katanga aurait dû sortir de prison en janvier 2016, grâce à une réduction de peine accordée par la CPI pour sa bonne conduite et aux regrets qu’il a exprimé à l’endroit des victimes. Mais Simba est resté derrière les barreaux. À Kinshasa, la justice militaire congolaise a décidé de le poursuivre, à son tour, pour « crime de guerre, crime contre l'humanité et participation à un mouvement insurrectionnel » dans la région aurifère de l'Ituri. Les poursuites ouvertes contre Katanga en février 2016 auraient été abandonnées pour permettre sa libération surprise.
Dans l’histoire de la justice internationale, le nom de Lubanga restera gravé comme celui du premier condamné de la CPI. Il a été arrêté en 2006, et transféré à La Haye la même année. Six ans plus tard, en 2012, il a été condamné à quatorze ans de prison pour enrôlement d’enfants soldats dans un conflit communautaire qui a ravagé l’Ituri au début des années 2000. En décembre 2015, tout comme son compatriote Katanga, Lubanga est transféré de La Haye vers Kinshasa pour y purger la fin de sa peine. Jusqu’à leur libération, près de cinq ans après.
Destins liés, dans la paix comme à la guerre
Lorsqu’il a été libéré, Lubanga, lui, était à la fin de sa peine. Aucune nouvelle poursuite n’était engagée contre lui. « Mais à Kinshasa, sa libération n’était pas une priorité, moins encore à l’ordre du jour », dit sous couvert d’anonymat un cadre de l’Union des patriotes congolais (UPC), le parti politique fondé en 2001 par Lubanga. Tout indique que la libération des deux anciens frères ennemis n’est pas une coïncidence. Elle résulte de l’accord de paix signé, le 28 février dernier, entre le gouvernement congolais et la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI), un puissant groupe armé dont Katanga avait été le chef. Cet accord, dont Justice Info a obtenu une copie, stipule qu’en contrepartie du cessez-le-feu et de la reddition des combattants de la FRPI, le gouvernement s’engage à « examiner les cas des officiers de la FRPI encore aux arrêts pour prendre des mesures appropriées y compris leur libération ». Interrogé par Justice Info, un membre de l’ONG ACIAR qui a facilité les négociations précise qu’à part le cahier des charges soumis au gouvernement en novembre 2017, la FRPI lui a adressé une liste de ses anciens leaders détenus dans plusieurs prisons. « Sur cette liste manuscrite des prisonniers emblématiques à libérer, que la FRPI nous avait remis lors des négociations, figurait Germain Katanga », témoigne le négociateur.
« La libération de Katanga était considérée comme un geste de bonne foi de la part du gouvernement congolais, dans la mise en œuvre de l’accord de paix », corrobore Xavier Maki, secrétaire exécutif de l’ONG Justice Plus basée à Bunia, chef lieu de l’Ituri. C’est donc d’abord Katanga, un fils de l’ethnie Lendu, qui devait sortir de prison à l’issue de ces négociations. Mais la décision risquait de provoquer un séisme en Ituri, auprès de l’ethnie Hema (avec laquelle les Lendu se sont affrontés entre 1999 et 2003), exaspérée de voir son fils Lubanga croupir en prison. Les avocats de Katanga ont eux-mêmes, disent-ils, été surpris par ces décisions de libération. « Ce n’est ni une libération provisoire ni une libération définitive. Notre client a bénéficié d’une mesure extra-muros. C’est juste une faveur qu’on lui a faite. Et il le fallait aussi pour Lubanga, pour l’équilibre, puisque si on libère l’un et on laisse l’autre, cela ne passera pas aux yeux des communautés », déclare à Justice Info Peter Ngomo Milambo, l’un des avocats de Katanga.
« La justice c’est aussi la réconciliation »
Entre 1999 et 2003, l’Ituri a fait face à une guerre civile qui a opposé les ethnies Lendu et Hema. Christian Mbojima, avocat et enseignant en droit à l’Université de Bunia, estime pourtant que la libération de ces deux acteurs peut déclencher un processus de réconciliation entre les deux ethnies. « Katanga et Lubanga sont des personnalités qui maitrisent les enjeux des conflits armés de l’Ituri, pour en avoir été des acteurs. À la CPI, ils ont eu l’occasion de se serrer la main. Et leur libération déclenche un processus crédible de pacification de l’Ituri », gage Mbojima, par ailleurs porte-parole des élites de l’ethnie Lendu-Bindi.
« Leur libération c’est d’abord un résultat de l’accord entre la FRPI et le gouvernement. C’est aussi un acte qui vise le rapprochement de communautés jadis en conflit, parce que ces deux personnalités sont des acteurs clés du processus de pacification de l’Ituri. La justice, c’est aussi la réconciliation. Voilà pourquoi la communauté de l’Ituri salue leur libération » renchérit Maki, de l’ONG Justice Plus.
La réparation, l’autre face de la justice
Cependant, des voix s’élèvent pour demander à l’Etat congolais de ne pas écarter la question des réparations attendues par les victimes, suites aux condamnations à la CPI. En effet, en mars 2017, la CPI a octroyé à 297 victimes de Katanga 250 dollars américains de « réparation symbolique », alors qu’en juillet 2019, Lubanga a été condamné à payer 10 millions de dollars pour indemniser 425 victimes. « Le Fonds au profit des victimes de la CPI peut engager des processus de réparation. Mais je crois que les deux acteurs doivent aussi s’impliquer dans la dynamique de réparation. Lors de la demande de réduction de sa peine (à la CPI), Lubanga s’était engagé à devenir un élément clé dans la réconciliation des communautés de l’Ituri, pour demander des excuses à toutes les victimes. Et avec ça, je crois que la question de réparation peut suivre son cours normal, c’est une face importante de la justice », souligne Maki.
Interrogés sur cette question des réparations par Justice Info, ni Katanga ni Lubanga n’a souhaité faire des commentaires, indiquant se reposer encore à Kinshasa, après le calvaire de la prison. Chacun dit envisager de faire un déplacement dans leur Ituri natale, dans un délai qui reste à préciser.