Une mission difficile mais pas impossible, selon les concernés. Il y a quelques jours, le président a décidé d'envoyer en Ituri, comme messagers de la paix, d'anciens chefs miliciens de l'Ituri « convertis ». Les Congolais de l’Est s’en souviennent : c’était une promesse du candidat à la présidence Félix Tshisekedi. Mais depuis son arrivée au pouvoir, début 2019, les violences culminent à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les Nations unies y dénoncent des crimes graves, dans un rapport en date du 10 janvier.
« La paix n'a pas de prix. C'est une décision difficile mais il fallait la prendre pour mettre fin à ce cycle de tueries ». Jean-Marc Mazio, chargé de mission au programme de stabilisation et de la reconstruction de l'Est de la RDC (STAREC-Ituri), une initiative du gouvernement congolais, justifie ainsi l'accord passé fin février avec la Force de résistance patriotique de l'Ituri (FRPI). Par ce compromis, décrié par certains comme une prime à l'impunité des groupes armés, Kinshasa espère pouvoir enfin rétablir son autorité sur cette région troublée.
De leur côté, des membres de la FRPI et leurs alliés commencent à toucher les dividendes de ce « deal ». Germain Katanga, ancien chef de cette milice qui recrutait principalement au sein de la communauté Lendu, est en effet sorti de prison le 16 mars en application de cet accord. Sa remise en liberté a suivi celle, la veille, d'un autre ancien chef de milice, Thomas Lubanga, un fils de la communauté Hema, rivale. Les deux frères ennemis avaient été jugés et condamnés par la Cour pénale internationale (CPI).
Le 21 avril, trois autres anciens chefs de milice en Ituri étaient libérés de la prison militaire de Ndolo, à Kinshasa, où ils étaient détenus depuis plus de 10 ans. Pitchou Pierre Célestin Mbodina Iribi, Floribert Ndjabu Ngabu et Mateso Nyinga allias Kung Fu, étaient tous membres du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), une milice proche de la FRPI.
« Tshisekedi nous a demandé de sensibiliser à la paix »
Le président congolais, qui s'était rendu en Ituri en juillet 2019, est allé plus loin en recevant, le 27 avril dernier, à Kinshasa, des représentations des deux communautés Hema et Lendu conduites respectivement par Thomas Lubanga et Floribert Nzabu Ngabu. Que se sont dit le chef de l’État et les anciens chefs de milice ? « Le président a un grand souci, celui de voir la paix régner dans le pays et plus particulièrement dans la province de l'Ituri. C'est la raison pour laquelle, il nous a invités pour que nous puissions aider l’État congolais à restaurer la paix. Il nous a demandé de sensibiliser sur le terrain, d'aller mobiliser les gens pour que la province puisse retrouver la paix », a indiqué Ndjabu Ngabu, dans un entretien avec Justice Info. Ce natif de l'Ituri, qui se dit prêt à entamer cette « mission officielle dès que les conditions officielles sont réunies », est conscient de l'immensité de la tâche.
« C'est une mission difficile. Pour recoller les morceaux, il faut beaucoup de tact et des stratégies. Cela demande beaucoup d'effort. Cela demande aussi la collaboration de ceux qui sont sur le terrain », reconnaît-il, en espérant compter notamment sur les chefs coutumiers.
Les violences en cours en Ituri sont surtout imputées à un groupe dit « Codeco » dont les membres sont issus principalement de la communauté Lendu. Sans chercher à absoudre cette milice, Pierre Célestin Mbodina Iribi affirme cependant que « la communauté Lendu n'est pas à confondre avec la Codeco » qui est, selon lui, « une nébuleuse, dont on ne sait pas grand-chose », « un groupe de gens sans programme politique, ni organisation connue ».
Un conflit d’au moins vingt ans
« Notre stratégie sera peaufinée à Bunia avec les institutions, les forces vives, les communautés », poursuit-il en espérant compter sur la participation de tous, y compris des victimes. « Tout devrait tourner autour des victimes. Nous pensons que notre première attention, c'est d'abord les victimes. Nous rencontrerons les victimes, nous parlerons avec elles. Nous allons leur apporter un message de compassion pour qu'elles acceptent, dans la douleur, de donner leur contribution pour la paix. Ce sera difficile mais si nous devons nous cabrer derrière nos ressentiments, nos douleurs, la douleur continuera à embrasser l'Ituri. Il faudra que tout le monde participe à cette mission. Nous irons vers tout le monde ».
Olivier Lieke, à la tête de la chefferie de Walendu-Bindi, entité coutumière de ces ex-miliciens, salue la démarche gouvernementale. « La libération de ces ex-rebelles est un atout pour la pacification et le développement de la région. C'est encourageant de voir le gouvernement congolais les libérer. Pour nos frères, c'est un bon signe », estime le chef coutumier interrogé par Justice Info. « La détention de ces ex-chefs de groupes armés actifs dans le Walendu-Bindi handicapait le processus de pacification de la région. A chaque fois qu'on les appelait à déposer les armes, ils avaient peur de le faire, après avoir vu leurs leaders Germain Katanga et Cobra Matata arrêtés après leur reddition. Ces détentions freinaient le désarmement et la démobilisation des combattants de la FRPI. Conséquence : pendant plus de 20 ans, il n'y avait pas de développement », affirme Lieke.
Dans la communauté Hema, les perceptions différent. « Ce qui se passe en Ituri, ce n’est pas une guerre interethnique. C’est une rébellion des sujets Lendu contre l’Etat congolais », estime le professeur Pilo Kamaragi, enseignant en sociologie à l’Institut supérieur pédagogique de Bunia et vice-président de l’association culturelle Ente. « Demander si Thomas Lubanga pourra engager sa communauté dans la recherche de la paix, c’est prétendre qu’elle est en guerre. Non. Vous devez savoir que sa communauté ne se bat pas en Ituri. Ce sont des miliciens Lendu qui attaquent. On doit plutôt s’interroger : qui les arme pour qu’ils s’en prennent à l’État congolais de 2017 à ce jour ? Aujourd’hui, nous recensons soixante-huit sites de déplacés. C’est une crise humanitaire de grande envergure. On doit la stopper. »
« Tshisekedi veut l’accalmie, et non la paix »
Chober Agenonga, enseignant à l'Université de Kisangani et expert en sécurité et sociologie militaire, se réjouit de cet accord mais invite le président à rechercher les vrais commanditaires des violences actuelles. « Félix Tshisekedi doit se demander si réellement ces ex-rebelles restent populaires dans leurs communautés ? Ne va-t-on pas assister à une guerre de leadership ? Sont-ils en mesure de dissuader ceux qui sont derrière ceux qui tuent ? Et qui est derrière ces tueurs ? Qui les soutient ? Parce qu'ils sont bien équipés, bien armés. Les libérés sauront-ils convaincre ceux qui sont derrière ceux qui continuent à tuer ? »
Pour l'universitaire, le gouvernement doit s'attaquer aux causes du conflit séculaire en Ituri. « La stratégie de Félix Tshisekedi consiste à s'attaquer aux conséquences, non aux causes. Il veut l'accalmie, et non la paix. Il doit comprendre que la paix est multidimensionnelle. Et pour le cas de l'Ituri, il faut rechercher la paix dans toutes ses dimensions, en s'attaquant aux causes du conflit. C'est depuis 1911 que cette région fait face aux violences communautaires. Et depuis l'accession de notre pays à l'indépendance (1960), l'Ituri connaît chaque décennie un cycle de violences. Si les violences refont sur face, c'est parce que tous les régimes ne se sont pas attaqués aux racines ».
« Un sérieux problème de justice »
Au nombre des causes de persistance des violences dans l'Ituri, le professeur Agenonga cite l'impunité. « Dans les conflits de l'Ituri, il y a toujours eu un sérieux problème de justice. Seuls leurs leaders ont été inquiétés, poursuivis ou condamnés au nom de la responsabilité hiérarchique. Malheureusement, les miliciens de rang qui ont tué, qui ont exécuté des civils ont joui de l'impunité ». Il évoque la pression démographique, dans une région où la densité de peuplement est de 300 habitants par km2, avec pour conséquence des conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs pour le contrôle des terres. Il épingle enfin « un mauvais encadrement des programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants » qui se solde par le « retour dans la brousse » de jeunes désoeuvrés.
« Si le gouvernement de Felix Tshisekedi ne s'attaque pas à ces racines des conflits en Ituri, les ex-chefs rebelles ne feront rien de durable » conclut-il. C’est aussi l’avis du chef coutumier Lieke. « Il faut que le gouvernement songe à reconstruire les écoles, les hôpitaux et routes détruites pendant la guerre et à encadrer les jeunes désœuvrés », dit-il. « L’Etat congolais doit imposer la paix, martèle le professeur Kamaragi. Aujourd’hui, nous apprécions de voir l’armée en action. L’Etat doit traquer ces miliciens équipés, et chercher à comprendre où est-ce qu’ils trouvent leurs armes. Ce sont des groupes dangereux. Il faut les éradiquer. »
LUBANGA : « LES SOUFFRANCES DES ITURIENS VONT BIENTÔT PRENDRE FIN »
Hier jeudi 7 mai, le président de l’Union des patriotes Congolais et premier condamné de la Cour pénale internationale, pour enrôlement d’enfants soldats en 2012, a donné sa première conférence de presse d’homme libre à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. D’origine Hema, Thomas Lubanga Dyilo s’exprime sur sa participation à la stratégie pour la paix en Ituri, sa région natale, initiée par le président Felix Tshisekedi.
« Une mission a été confiée à certaines personnes de l'Ituri. Il y a des gens qui ont un lien plus au moins sociologique avec les acteurs de Codeco [groupe à l’origine des violences en cours, issu de la communauté Lendu, NDLR] qui ont été chargés de cette mission. Moi, je ne suis pas de cette équipe. Je suis en train de travailler à distance en réunissant les éléments avec lesquels je peux aider autrement le chef de l'État. »
« Peu avant que les FRPI rendent les armes et entreprennent de négocier le principe d'un pré-cantonnement avec le gouvernement, ce sont les miliciens Lendu de Codeco qui ont surgi dans le territoire de Djugu et qui s’illustrent à l'heure où nous parlons par des actes d'une barbarie inouïe qui rappellent les millénaires passés. Aujourd'hui, c'est une troisième milice, Chini ya Kilima, dont les contours et les intentions sont encore mal définis qui vient de faire son apparition en milieu Bira dans le territoire d'Irumu. »
Détermination à pacifier l’Ituri
« Dans cette situation tragique et intolérable, nous tenons à souligner l'attitude pacifique des victimes, qui appartiennent aux communautés Hema, Alur, Mbisa, Ndo Okebo et Nyali. Malgré des attaques répétées et d'une extrême violence, les membres de ces communautés préfèrent s'abstenir de prendre les armes pour se défendre non pas parce qu'elles n'en ont pas les moyens mais parce qu'elles croient en la paix et ont confiance dans le gouvernement de la République censé assurer leur protection. »
« Je voudrais les exhorter à persévérer dans cette attitude pacifique car je reste convaincu que leurs souffrances vont bientôt prendre fin. J'en suis convaincu après avoir été reçu par le chef de l'État, chez qui j'ai noté une détermination à pacifier l'Ituri et dans le meilleur délai possible. Je suis prêt à collaborer avec lui dans son projet de mettre fin à cette situation qui ne peut plus durer. »