Ce 30 juin, la République démocratique du Congo (RDC) a fêté les 60 ans de son indépendance. Mais l'événement surprise n'est pas venu de Kinshasa. Il s'est passé à Bruxelles, dans l'ancienne puissance coloniale. Ce jour-là, dans une lettre adressée au président de la RDC, le roi Philippe a exprimé ses « profonds regrets » pour les souffrances infligées au peuple congolais à l'époque où cet immense pays d'Afrique centrale était sous tutelle belge. Il est le premier souverain régnant à exprimer de tels regrets pour la violence coloniale, loin du discours condescendant qu'avait prononcé son oncle, le roi Baudouin, le 30 juin 1960, quand celui-ci déclarait dans un discours officiel devant les représentants de la nation congolaise : « En face du désir unanime de vos populations, nous n'avons pas hésité à vous reconnaître, dès à présent, cette indépendance. C'est à vous, messieurs, qu'il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance ».
Commission vérité ou commission parlementaire ?
Le discours du roi des Belges n'est pas un signe de reconnaissance isolé. Il intervient alors que l’État belge a décidé d'ouvrir une réflexion profonde et complète sur son passé colonial, tant en RDC qu'au Rwanda et au Burundi. Le 17 juin, un accord de principe est ainsi intervenu en conférence des présidents de la Chambre (le Parlement belge) pour mettre en place une commission chargée de travailler sur le passé colonial de la Belgique. Et le 24 juin, ce processus a véritablement été enclenché par la commission des relations extérieures de la Chambre.
L'initiative, née du mouvement mondial déclenché par le meurtre de Georges Floyd, aux États-Unis, pourrait faire école dans d'autres anciennes puissances coloniales. L'objectif est de mettre sur pied, pour septembre prochain, une commission « Vérité et Réconciliation », dont les contours doivent être définis, au plus tard, le 21 juillet, jour de la fête nationale belge. La future commission prendra la forme d'une sous-commission, voire d'une commission spéciale ou d'une commission d'enquête. Selon l'agence de presse Belga, la députée Els Van Hoof, présidente de la commission des relations extérieures, a annoncé que le travail préparatoire à la future commission sera confié à deux institutions scientifiques fédérales, l'Africa Museum de Tervueren (ex-Musée royal de l'Afrique centrale) et les Archives générales du Royaume. « Le groupe de travail va déjà se réunir la semaine prochaine pour la première fois avec les premiers avis de ces deux instituts », a-t-elle déclaré le 24 juin. « Et cette semaine, vous [les députés membres de la commission des relations extérieures] allez pouvoir aussi nous donner le nom d'un expert auquel vous pensez. Il faut pouvoir démarrer rapidement pour entamer le descriptif de la mission à confier à ces experts », a-t-elle ajouté.
Deux précédents plus limités
L'initiative est marquante mais elle n'est pas la première tentative en Belgique de se pencher sur son passé colonial. De précédents travaux parlementaires ont abordé la responsabilité de l’État belge dans deux dossiers criminels commis dans ses anciennes colonies. En 2000, une commission d'enquête parlementaire avait été mise sur pied pour déterminer le rôle de la Belgique dans l'assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre élu au lendemain de l'indépendance du Congo, en 1960. La commission avait été mise en place suite à la parution du livre « De moord op Patrice Lumumba », du sociologue Ludo De Witte, qui raconte comment le célèbre homme politique congolais avait mis à mal les ambitions de l’État belge au Congo après l'indépendance. Comme le rappelle la proposition de résolution déposée par les parlementaires écologistes au Parlement (qui servira de base à la création de la future commission), cette enquête parlementaire n'avait abouti qu'à la reconnaissance d'une responsabilité morale de l’État belge dans cet assassinat. Le 1er juillet, le parquet belge a annoncé étudier la possibilité de poursuivre pour crimes de guerre les deux suspects belges encore en vie, ajoutant que la justice a demandé accès aux témoignages à huis clos recueillis par la commission parlementaire, rapporte The Guardian.
Puis, en 2018, la Chambre avait voté une résolution reconnaissant la responsabilité de l’État belge dans une autre sombre affaire de la colonisation, celle de la ségrégation d'enfants métis au Congo, au Rwanda et au Burundi. Une fois de plus, c'est la parution d'une enquête fouillée sur le sujet, qui avait poussé l’État à réagir. « Noirs-Blancs, Métis : la Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi (1908-1960) », écrit par Assumani Budagwa, raconte notamment comment des enfants nés d'un Belge et d'une Congolaise avaient été abandonnés dans des orphelinats. Peu avant la proclamation d'indépendance du Congo, nombre d'entre eux avaient été précipitamment emmenés en Belgique.
En 2018, le premier ministre de l'époque, Charles Michel, avait, au nom de l’État belge, présenté ses excuses à ces enfants métis ainsi qu'à leurs mères (voir encadré).
Les contours de la future commission devraient être beaucoup plus larges, en devant faire la lumière sur tous les aspects de l'histoire coloniale belge. Le caractère prudent du discours du roi Philippe – des regrets et non des excuses – pourrait s'expliquer afin de ne pas empiéter sur le travail d'enquête que doit mener la future commission. Il constitue néanmoins un geste symbolique supplémentaire en faveur d'un travail de fond sur l'histoire coloniale, et le signe que l’État belge entend désormais s'y attaquer.
UNE PLAINTE POUR CRIME CONTRE L’HUMANITÉ DÉPOSÉE CONTRE L’ÉTAT BELGE
Cinq femmes qui font partie de ces enfants métis nés au Congo ont décidé de déposer plainte contre l’État belge, estimant que les excuses présentées par le Premier ministre Charles Michel en 2018 n'étaient pas suffisantes, ont révélé trois médias belges, la RTBF, Le Soir et Le Vif, le 24 juin. L'audience d'introduction aura lieu le 10 septembre prochain. Les plaignantes réclament chacune à l’État une somme provisionnelle de 50.000 euros, dans l'attente de la désignation d'un expert qui évaluera le préjudice moral subi. « Demander pardon c'est facile. Mais j'aimerais que l’État sache qu'il nous a détruites moralement, physiquement. Chaque personne a droit à son identité et nous, on n'en a pas », a déclaré au Soir l'une des plaignantes.
Sous l'administration coloniale, dès 1908 et jusqu'en 1960, de nombreux enfants métissés ont fait l'objet d'une ségrégation au Congo. Ces enfants étaient nés de l'union d'hommes belges qui, au début de la colonisation, arrivaient seuls et vivaient, hors lien de mariage, avec des femmes congolaises appelées « ménagères ». Quelque 12.000 « enfants du péché » ont été arrachés à leur foyer originel et placés dans des orphelinats qui étaient gérés par des missionnaires, où ils étaient considérés comme des « enfants de l’État ». Sur base de pièces officielles, les cinq plaignantes comptent rappeler que les enfants métis étaient, jusqu’en 1960, retirés à leur famille africaine pour être placés dans ces orphelinats. Elles rappelleront que non seulement les enfants métis étaient mis à l'écart mais que des fonctionnaires de l’État belge et des agents territoriaux recherchaient dans les villages certains de ces enfants qui avaient échappé jusque-là au rapt, pour les arracher à leurs mères et les placer, comme les autres, dans les orphelinats.