La Suède semble enfin vouloir affronter les abus commis au fil des siècles à l’encontre de ses minorités. Alors qu’une Commission vérité et réconciliation est à l’œuvre depuis juin 2020 pour les Tornédaliens, une minorité d’origine finlandaise, le Parlement sami devrait lancer fin septembre ou début octobre une mission préparatoire à l’ouverture d’une deuxième commission vérité.
« La commission vérité, nous n’y sommes pas encore », tempère Matti Berg, député sami chargé du groupe qui travaille au sein du Parlement sami (Sametinget) sur cette commission vérité. « Nous allons commencer par examiner les conditions pour la mise sur pied d’une telle commission. On va démarrer par un dialogue avec les habitants de Sapmi (Laponie), du nord au sud, et discuter de quel mandat on donnerait à une telle commission. Car c’est pour les gens que l’on fait ça, pour les Samis, pas pour des politiciens ou pour le Parlement sami. »
Anders Kråik, éleveur de rennes, député sami et l’un des quatre membres du groupe de travail aux côtés de Matti Berg, est clair : « Si le projet de commission vérité ne sert qu’à éclairer l’histoire, ça n’a pas de sens pour nous. Il faut renforcer nos droits et donner aux Samis l’influence sur les décisions prises sur les terres sami, au lieu de nous dire d’aller devant les tribunaux en cas de litige avec des compagnies minières. »
Commission vérité et réconciliation pour les Tornédaliens, projet de Commission vérité pour les Samis, cette subite ébullition a longtemps maturé en Suède. Elle prend source dans le travail de l’Église luthérienne, au début des années 1990, pour inclure les Samis dans la vie paroissiale, à une époque où l’Église se préparait à se séparer de l’État. Ce qui fut fait en 2000. Dans la foulée, l’organisation de jeunesse sami Sáminuorra se lance la première, en 2007, dans le projet d’œuvrer en faveur d’une commission vérité. Sans succès immédiat.
2016, un Livre blanc donne le coup d’envoi
Un coup d’accélérateur est donné en 2012, lorsque l’Église initie le projet d’un Livre blanc sur « les relations entre l’Église suédoise et les Samis », qui sera publié en deux tomes de 1.200 pages, en avril 2016. Écrit par plusieurs dizaines d’universitaires, ce Livre blanc passe en revue le rôle des pasteurs, qui furent l’un des outils de colonisation de la Laponie par la Suède à partir du 17e siècle, luttant contre les croyances des Samis – le chamanisme était combattu comme une expression diabolique – et les christianisant de force.
Ce Livre blanc a rendu évidente l’absence de remise en cause profonde de L’État suédois, alors que les instances samies et internationales, à l’instar du Conseil de l’Europe ou du rapporteur de l’Onu sur les populations autochtones, reprochent régulièrement à la Suède de ne pas faire respecter les droits des Samis en Laponie. Un territoire qui couvre plus d’un tiers de la surface du pays et où l’élevage de rennes pratiqué par les Samis est toujours plus menacé par les activités industrielles développées sans tenir compte de l’avis de ces derniers.
Le Livre blanc marque aussi le coup d’envoi d’une réflexion des Samis et des Tornédaliens pour mettre à plat les abus dont ils ont été ou sont toujours victimes. Les Tornédaliens, plus prompts à engager le processus, forment une minorité moins visible et moins connue. Ils ont obtenu le statut de minorité nationale en 1999, en même temps que les Samis, les Skogfinns (ou Finlandais de Suède), les Juifs et les Roms, tandis que leurs langues – le meänkieli, le sami, le finnois, le yiddish et le romani – étaient reconnues comme langues minoritaires.
Jusqu’en 1951, on mesurait les crânes
Pour les Tornédaliens, l’idée d’une commission vérité naît dès 2016, à l’initiative de leur Fédération. Le ministère de la Culture finance une étude préliminaire, publiée en 2018. Elle explique comment l’État suédois, à partir des années 1880, a pratiqué une politique de suédisation forcée. Ce n’est qu’en 1957 que l’interdiction de parler meänkieli pendant la récréation a été supprimée dans les écoles suédoises, tandis que les mesures de crânes, l’une des expressions les plus criantes de la politique eugéniste appliquée par la Suède à partir des années 1920, y compris sur les Samis, ont été pratiquées jusqu’en 1951.
Depuis le 11 juin dernier, la Commission vérité et réconciliation pour les Tornédaliens, les Kvènes et les Lantalainens est constituée. Elle est composée de deux historiens, un linguiste, un juriste de l’Église suédoise luthérienne spécialiste des minorités, un chercheur en droit international et deux membres de la communauté tornédalienne. Elle doit examiner la politique d’assimilation et ses conséquences pour la minorité, pour des groupes au sein de la minorité et pour les individus, diffuser de l’information sur leur histoire et soumettre des propositions pour contribuer à la réparation et promouvoir la réconciliation. Dirigée par Elisabet Fura, ancienne médiatrice en chef du Parlement et juge à la Cour européenne des droits de l’homme, la Commission doit rendre compte de ses travaux au plus tard le 16 mai 2022.
Suicides chez les éleveurs de rennes
Côté sami, le Parlement sami publie dès 2016 un rapport sur la santé psychique des Samis, alors qu’un nombre élevé de suicides est recensé parmi les jeunes éleveurs de rennes, qui considèrent leur avenir bouché et voient leurs pâturages réduits par les industries. Pour beaucoup de Suédois, leur royaume est celui d’un peuple, d’une culture, d’une histoire, d’une langue. Pour les Samis, il n’en est rien. Ils forment un peuple autochtone qui bénéficie de ce statut international, seul peuple aborigène de l’Union européenne, présent en Norvège, en Suède, en Finlande et en Russie, avec une population évaluée à plus de 100.000 personnes. Si l’élevage de rennes est leur marqueur culturel, seuls dix pour cent en vivent.
Le Parlement sami de Suède, institué en 1993 pour représenter les quelques 20 à 30.000 Samis du royaume (sur dix millions d’habitants), a organisé fin 2016 une table ronde avec des experts des commissions vérité, comme le Péruvien Eduardo Gonzalez Cueva ou l’Autrichien Gerhard Baumgartner. De cette consultation est sortie la demande sami, qui procède par étapes : en juin 2019, le Parlement sami de Suède a envoyé une demande d’aide pour une étude préliminaire à la constitution d’une Commission vérité ; au printemps 2020, le gouvernement a alloué 1,2 millions de couronnes (115.000 euros) pour cette étude.
Vérité d’abord, réconciliation plus tard
« Il existe une méconnaissance de l’histoire qui contribue aussi au racisme que l’on voit aujourd’hui en Suède », souligne la ministre suédoise de la Culture, Amanda Lind, membre des Verts. « Le gouvernement droit prendre ses responsabilités en regard des injustices qui ont été commises. Nous sommes conscients des critiques essuyées sur le plan international, de ne pas être à la hauteur des conventions. C’est pour cela qu’indépendamment de cette Commission, nous travaillons par exemple à améliorer l’accès aux langues sami ou les procédures de consultations des instances sami quand des projets les affectent. »
De fait, de nombreux procès ont eu lieu ces dernières décennies opposant des éleveurs de rennes à des compagnies minières ou à des paysans et propriétaires forestiers, voire à l’État dans un procès récent et très médiatisé sur les droits de chasse et de pêche où, pour la première fois, les Samis ont gagné devant la Cour suprême. Tous ces procès ont, au fil du temps, exposé la fragilité de la situation des Samis sur ce qu’ils considèrent comme leur territoire quand, par ailleurs, le même État suédois soutient des populations indigènes ailleurs dans le monde, ce qui vaut au gouvernement suédois d’être accusé de double langage.
« Pour les Samis, le processus en cours ne concerne qu’une commission vérité. C’est une première étape et il s’agit d’un souhait des Samis eux-mêmes », déclare Lind. L’aspect réconciliation, dit-elle, viendra plus tard, en fonction de ce qui émergera de cette première phase. « Mettre sur pied une commission est une spécialité suédoise pour enterrer les questions difficiles », souligne Matti Berg. « Nous verrons, mais nous sommes une partie de la réponse, donc à nous de faire en sorte que cette Commission remplisse une fonction. »