A Bamako, dans la capitale malienne, les réactions à l’évocation du nom d’Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud passent d’un léger silence à une moue qui semble dire : « Al Hassan qui ? » Le procès de celui qui aurait été le commissaire de la police islamique de Tombouctou il y a huit ans se tient depuis juillet dernier à quelque 6,500 kilomètres de là, devant la Cour pénale internationale (CPI) à la Haye, aux Pays-Bas. Et il apparaît comme la dernière roue d’un carrosse qui peine à rouler devant les Bamakois.
Depuis plusieurs semaines, l’attention médiatique nationale est tournée vers la politique et la transition découlant du coup d’état militaire qui a eu lieu en août dernier. Mais bien avant cette période particulière pour le pays, la presse locale s’intéressait déjà peu au procès, au grand dam des défenseurs des droits de l’homme. Peu sont ceux qui, dans la cité des trois caïmans comme on appelle Bamako, connaissent « Al Hassan ». Pourtant à 1000 km au nord, dans la ville de Tombouctou, il est connu de tous. Selon la CPI, il est suspecté d’y avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité lors de l’occupation de la ville par les djihadistes, entre le 1er avril 2012 et le 28 janvier 2013. Il aurait été membre d’Ansar Eddine, un groupe armé salafiste djihadiste, et commissaire de facto de la police islamique. Il aurait également été associé au travail du Tribunal islamique à Tombouctou et est suspecté d’avoir participé à l’exécution de ses décisions.
Pacte de la peur à Tombouctou
A Tombouctou, la « Perle du désert », l’anonymat est un prérequis pour évoquer le procès « Al Hassan ». La crainte des représailles empêche les langues de se délier, et les blessures de ces sinistres mois d’application de la loi islamique demeurent vives. L’ancien « commissaire de la terreur », âgé de 43 ans, est originaire d’un village situé à une vingtaine de kilomètres de Tombouctou. Sa famille et des proches à lui se trouvent en ville et une grande partie de la population garde la réserve, afin de ne pas être identifiée par ces derniers. Plusieurs années après les faits, les habitants vivent toujours sous le poids de l’omerta, pour leur sécurité.
Pourtant, certains ont décidé de briser ce pacte de la peur. Yehia Ahma Cissé, par exemple, a décidé de mener le combat de front. En 2012, son fils aîné a été tué par les djihadistes. Depuis, meurtri dans sa chair, il se bat pour « la justice ». Il est président d’une coordination qui regroupe plusieurs associations de victimes, « huit, rien que dans la ville de Tombouctou », tient-il à préciser. Il assure que la coordination n’a pas encore été contactée pour fournir des témoignages, même s’il reconnaît que certains craignent de se prêter à cet exercice. « Nous avons des personnes prêtent à témoigner, j’en fais partie » assure-t-il. Mais entre la crainte et l’illettrisme des victimes, les associations de défense des droits de l’homme ont bien du mal à convaincre. « Compte tenu de la situation précaire, il va de soi que les victimes ont peur », justifie Drissa Traoré, coordinateur d’un projet commun entre l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). A travers cette initiative, un avocat malien a été désigné pour être l’un des représentants légaux des victimes lors du procès.
Internet, un luxe
Le procès « Al Hassan » demeure pourtant très peu suivi. La CPI a bien mis en place un dispositif afin de le rendre accessible aux Maliens. La Section de l’information et de la sensibilisation de la Cour, avec le soutien du bureau de la CPI au Mali, a organisé une formation pour les médias et la société civile. « La section a produit et continuera de produire pendant toute la durée du procès des programmes télévisés et radiophoniques prêts à être diffusés, intitulés « Dans la salle d'audience », donnant un résumé des débats devant la Cour, des documents d'information ; des enregistrements audio avec les réponses aux questions les plus fréquemment posées par les partenaires maliens ; et des publications sur les différents réseaux sociaux de la CPI »» explique Fadi El Abdallah, porte-parole de la CPI. Certains médias locaux, dont Studio Tamani, programme radiophonique de la Fondation Hirondelle, les utilisent pour la couverture du procès. Mais ces contenus n’apparaissent pas dans les principaux médias, comme notamment la radio nationale ORTM 1.
Les audiences sont aussi retransmises en ligne avec 30 minutes de différé. Mais à Tombouctou, une bonne connexion Internet est un luxe et la population a du mal à suivre le procès. Elle s’informe davantage auprès d’un journaliste de la région qui a couvert quelques audiences à La Haye, a rédigé des articles sur le sujet et anime en prime une revue en songhoy, une des langues locales.
Un simple « exécutant »
Le relatif désintérêt pour le procès s’explique aussi, pour les Tombouctiens, par le profil de l’accusé. Même si, ici, on se départit des précautions du conditionnel pour évoquer les faits reprochés à « Al Hassan », ce dernier reste perçu comme un simple « exécutant ». Après le procès d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi, condamné par la CPI en 2016, après avoir plaidé coupable, à neuf ans de prison pour la destruction de mausolées, celui d’Al Hassan, transféré à La Haye deux ans plus tard, a un goût amer. « La population ne ressent pas ce lien avec la Cour, ce procès n’est qu’un règlement de comptes, les Occidentaux ont une dent contre quelques djihadistes, sinon les chefs d’Al Hassan ont été libérés », déclare un responsable de la société civile.
Houka Houka Ag Alhousseini, juge islamique arrêté par l’armée malienne en 2014, a ainsi été relâché en août de la même année, à la suite de négociations entre le gouvernement malien et les groupes armés du nord. Il vit aujourd’hui dans une localité proche de la ville de Tombouctou, où il est « maître coranique ». « Il est complètement libre de ses mouvements après tout ce qu’il a fait, c’est une insulte aux victimes » s’indigne un responsable local des associations de défense des droits humains. De passage à Bamako en septembre 2019 pour le lancement d’un mouvement politique, Houka Houka avait nié les faits qui lui étaient reprochés par la population, soutenant n’avoir ordonné aucune « amputation » ou « exécution ». Désireux de voir tous les responsables devant un juge, la coordination des victimes, par la voix de son président, espère néanmoins toujours que le procès Al Hassan aboutira à ce que « justice soit rendue, et les victimes dédommagées ».