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Élégant, respectueux et sûr de lui, Paul Gicheru s'est présenté tel qu’en lui-même - un avocat renommé de la province d’Eldoret, à l’Ouest du Kenya - lors de sa comparution vendredi à la Cour pénale internationale (CPI) par liaison vidéo depuis l'unité de détention de Scheveningen aux Pays-Bas, où il s’est rendu la semaine passée. Il a profité de l'occasion pour tenter de faire taire les rumeurs selon lesquelles il aurait été contraint de quelque manière que ce soit de se présenter à La Haye et qu'il allait plaider non coupable : "Je n'ai pas l'intention d'admettre les accusations... Les allégations qui m'ont été lues ne sont pas vraies. Elles sont fausses".
Mais le mal a déjà été fait au Kenya. Que Gicheru - qui était parvenu à déjouer la CPI en 2017 en obtenant une décision de la Haute Cour du Kenya s’opposant à l’exécution d’un mandat d’arrêt émis par la Cour de La Haye – veuille maintenant venir de son plein gré à La Haye, dépasse l’entendement pour la plupart des commentateurs. Les rumeurs vont bon train, y voyant un lien avec l'actuelle début de campagne électorale où l’on retrouve le président et le vice-président du Kenya, qui ont eu chacun leur temps sur le banc des accusés à La Haye et s'en sont sortis avec une réputation à peine écornée. Les spéculations font certes vendre les journaux. Mais toute information que Gicheru pourrait être prêt à fournir à la CPI sur le président Uhuru Kenyatta ou le vice-président William Samoei Ruto relève de la pure spéculation. Ce ne serait que s'il disposait de nouvelles preuves spécifiques que le procureur pourrait tenter de convaincre les juges de rouvrir l'une ou l'autre des affaires kenyanes.
Corruption ou tentative de corruption de six témoins de l'accusation
Pour l'instant, l’affaire Gicheru - qui a exercé le droit pendant les deux dernières décennies à Eldoret, la base politique de Ruto – se résume donc aux accusations de corruption ou de tentative de corruption de six témoins de l'accusation, dont la majorité étaient cités à charge contre Ruto. "Le mandat d'arrêt donne des chiffres très précis auxquels l'accusation a fait référence en ce qui concerne les sommes qui auraient été offertes, allant jusqu'à environ 47.000 dollars américains. Cela indique qu'il est possible que l'accusation ait une sorte de trace écrite des transactions", analyse le journaliste kenyan Tom Maliti du IJ Monitor.
Ce développement ravive les souvenirs des affaires kenyanes à la CPI et l'acrimonie qui les entourait. Elles ont été émaillées de multiples drames, comme celui, au début des procédures, de la spéculation fébrile autour des noms des responsables présumés des morts, des tortures, des pillages et des déplacements massifs de différents groupes ethniques dans la violence qui a eu lieu après les élections contestées de 2007. Puis il y a eu la façon dont les tentatives de poursuites de la CPI ont été utilisées par de hauts responsables politiques kenyans pour se présenter comme des guerriers anti-néo-coloniaux luttant contre un tribunal étranger.
Gicheru : un éclairage de plus sur les errances des poursuites ?
Le plus grave pour le tribunal et pour la réputation du bureau du procureur fut l’effondrement honteux des dossiers d’accusation. Une étude a été demandée au procureur de la Cour résiduelle de Sierra Leone, Belinda Hollingsworth, et rendue publique peu avant la réunion annuelle des Etats parties à la CPI, il y a un an. Elle administre à l'enquête un sérieux coup de fouet, en particulier aux responsables du bureau du procureur et au premier procureur Luis Moreno Ocampo. Son successeur, Fatou Bensouda, a fait précéder la publication du résumé critique d'une longue liste d'améliorations qui, selon elle, ont été apportées. Ocampo a regretté dans une réponse écrite que les experts ne s'étaient pas concentrés "sur l'interférence des autorités kenyanes avec les témoins". L’étude, selon les avocats de la défense, justifie leur approche et révèle une stratégie de poursuite qui "fermait délibérément les yeux sur les failles de son propre dossier". Les autorités kenyanes, de leur côté, ont déclaré qu'elles confirmaient les multiples problèmes soulevés concernant "l'identification et la collecte de preuves, l'identification des suspects, la manipulation des témoins et les pratiques d'influence inappropriée exercées sur des intermédiaires".
La procédure Gicheru va rouvrir ces blessures. Les accusations dont il fait l'objet sont au cœur des tourmentes auxquelles les juges de la CPI ont été confrontés. Dès le début, il y a eu des tentatives évidentes de saper l'autorité du tribunal. Dans le procès Ruto et Sang, se souvient Maliti, "le premier témoin qui a témoigné a été la cible d'une campagne menée sur les réseaux sociaux pour révéler son identité... En plus de cela, il y a aussi des allégations de corruption ou de tentatives de corruption de certains témoins de l'accusation. Tous ces éléments combinés, ont déclaré les juges, ont contaminé l'affaire à un point tel qu'il leur était impossible de faire une évaluation équitable des preuves, car il leur était difficile d'évaluer si un témoin témoignait sincèrement ou non. Et donc, ils ont clôturé l'affaire".
Si cette nouvelle affaire de corruption ouverte à la CPI va très probablement donner du grain à moudre aux politiciens kenyans, il est par contre bien peu probable qu'elle parvienne à dissiper le brouillard autour de la question de savoir qui porte la responsabilité des violences qui ont déplacé des dizaines de milliers de personnes, après les élections de 2007 au Kenya.
ASYMMETRICAL HAIRCUTS
Ce podcast a été publié dans le cadre d'un partenariat entre Justice Info et Asymmetrical Haircuts, un podcast sur la justice internationale produit depuis La Haye par les journalistes Janet Anderson et Stephanie van den Berg, qui conservent un contrôle et une indépendance totale sur le contenu du podcast.
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