Dossier spécial « CPI cherche procureur désespérément »

Exclusif : la liste des candidats potentiels au poste de procureur de la CPI

La procédure d’élection du troisième procureur de la Cour pénale internationale demeure chaotique et pleine de suspense. Faute de consensus sur l’un des quatre candidats sélectionnés fin juin, le bureau des 123 États parties à la Cour adopte une nouvelle feuille de route. Treize candidats pourraient désormais être en lice. Le favori, Serge Brammertz, a décidé de quitter le navire. Justice Info publie en exclusivité la liste des prétendants potentiels (notre encadré).

Exclusif : la liste des candidats potentiels au poste de procureur de la CPI
Après de longues tergiversations, treize candidats pourraient encore prétendre au poste de procureur de la CPI. Le procureur belge Serge Brammertz a finalement jeté l'éponge. © JusticeInfo.net
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Le 13 novembre, le bureau de l’Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé « l’extension » de la liste des candidats au poste de procureur. Les États actent ainsi l’absence de consensus en faveur de l’un des quatre prétendants sélectionnés par un comité spécial, fin juin. L’Irlandais Fergal Gaynor avait semblé arriver en tête des consultations, selon le délégué d’un État membre, mais il n’a pas emporté une adhésion assez large pour faire consensus. Pas plus que les trois autres prétendants : le procureur canadien Richard Roy, la juge ougandaise Susan Okalany et l’avocat américano-nigérian Morris Anyah.

Ces quatre candidats restent aujourd’hui potentiellement en lice, mais s’ajoutent désormais à leurs noms ceux qui avaient été présélectionnés, en avril 2020, par ce même Comité, formé d’ambassadeurs et appuyé d’experts, chargé d’identifier les meilleurs candidats. Quatorze prétendants au total ont donc été invités à confirmer, ou non, leur candidature. La présidente du Comité, Sabine Nölke, leur a demandé d’indiquer si, « sur le principe », ils étaient toujours dans la course et de répondre au plus tard le 17 novembre. Elle doit désormais leur transmettre l’évaluation du Comité sur leur propre candidature. Une évaluation « non négociable », assène Nölke dans son courrier aux candidats, dont Justice Info a pris connaissance. Après quoi ils devront de nouveau confirmer leur candidature.

Le retrait du favori Serge Brammertz

Considéré comme l’un des favoris, le procureur belge Serge Brammertz a finalement renoncé cette semaine, indiquent deux sources à Justice Info. Lors d’une rencontre avec la presse ayant suivi l’arrestation, mi-mai, du fugitif rwandais Félicien Kabuga, Serge Brammertz constatait que « la CPI a de gros, gros problèmes qui doivent être résolus », et que cette responsabilité dépassait le seul procureur. « Nous savons tous que ce n’est pas en remplaçant le pilote d’une voiture cassée qu’elle va gagner la course », ajoutait cet amateur de vitesse. A l’été 2019, Brammertz, actuellement procureur du Mécanisme ayant succédé aux tribunaux de l’Onu pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, avait déjà longuement hésité à se lancer dans la course. Sollicité par plusieurs États européens et par des ONG, il avait conditionné sa candidature à la possibilité d’avoir les mains libres pour mettre sur pied une nouvelle équipe à la tête du bureau du procureur, seule condition, pensait-il, pour réformer une politique pénale qui jusqu’ici n’a pas fait ses preuves. Face à la presse, il avait aussi évoqué ceux qui font « des carrières à vie » à la CPI. Un diagnostic partagé par les experts chargés, ces derniers mois, d’ausculter le fonctionnement de la Cour. Dans ses conclusions, rendues fin septembre, cette équipe conduite par le juge sud-africain et ancien procureur international Richard Goldstone, préconise de limiter les contrats offerts aux fonctionnaires de la Cour, comme le pratiquent plusieurs organisations multilatérales. Au bureau du procureur, indique une source proche de la Cour, « certains voudraient déjà discréditer le rapport » et obtenir des États qu’ils n’adoptent pas les réformes proposées, notamment sur ce point. Cette autre bataille n’en est qu’à ses prémices et s’annonce rude. Elle pèse aussi sur l’élection en cours.

Au cours des dernières semaines, les États ont bataillé sur les modalités de la nouvelle feuille de route. Les candidats remis en selle seront interrogés par les États et les ONG, lors d’auditions retransmises en direct sur Internet et dont les dates n’ont pas encore été fixées. Avant leur entretien, ils auront eu le temps de consulter les 330 pages du rapport des experts. Entre-temps, cinq représentants des cinq groupes géographiques représentés au sein de l’Assemblée, devront être désignés. Ils seront chargés de conduire des négociations avec chaque État et de faire rapport au président de l’Assemblée et au chef du groupe de travail à New-York. Si au terme de ces négociations, aucun prétendant ne fait consensus, les États pourront alors présenter leurs propres candidats. L’élection est prévue lors de la seconde partie de l’Assemblée des États parties, qui devrait se dérouler à New York du 17 au 23 décembre.

Une campagne sous l’ombre du mouvement #MeToo

Jamais une élection n'aura autant fait débat. Peu après la publication de la nouvelle feuille de route, Danya Chaikel, qui a travaillé pour l’ONG Atlas, puis aujourd’hui pour Women’s Initiatives for Gender Justice, twittait le 17 novembre avoir « reçu des plaintes de mauvaise conduite au sujet de 3 (potentiels) candidats ». « Les États qui ignorent ces questions jouent avec le futur de la Cour », rebondissait sur Twitter Eric Witte, de l’ONG Open Society Justice Initiative. Interrogée par Justice Info, Danya Chaikel explique avoir « reçu des plaintes confidentielles », mais assure ne pas chercher à « pointer » ou « discréditer » l’un des candidats. « La réalité est que ces plaintes peuvent être vraies, et alors nous courons le risque d’élire un prédateur (sic) comme prochain procureur de la CPI. » La juriste veut pousser les États à mettre sur pied un mécanisme permettant de recevoir de tels signalements sur les candidats, de donner à ces derniers la possibilité de répondre aux allégations, tout en protégeant les plaignants.

La feuille de route arrêtée par les États parties indique que le président de l’Assemblée des États parties, assisté des représentants régionaux chargés de mener les négociations bilatérales, « tiendra des consultations informelles avec les États parties, les fonctionnaires de la CPI et la société civile », notamment sur « la haute moralité des candidats ». La question a pris une dimension centrale dans la campagne à l’élection, où des rumeurs et allégations de harcèlement sexuel ou moral ont visé plusieurs candidats.

L’élection du troisième procureur de la CPI impose dès lors un constat, avant même sa conclusion : elle se sera déroulée dans un climat délétère. Certaines ONG soupçonnent les États de jeux troubles, tandis que les délégués des États tentent d’élire le ou la procureur(e) qui assurera le succès justifiant l’investissement - politique et financier - dans la Cour, et une capacité de prévision sur ses actions. Les récentes sanctions de l’administration américaine de Donald Trump contre la Cour ont suscité des inquiétudes. Parallèlement à cela, planent d’autres enjeux, plus anciens, comme ceux qui avaient prévalu à l’élection des deux premiers procureurs.

Passe-droits et jeux politiques

Le Statut de la CPI prévoit une élection à bulletin secret et à la majorité absolue. C’est à l’issue de la campagne disputée pour l’élection du premier procureur de la CPI, en 2002-2003, que le président de l’Assemblée des États parties, à l’époque le Jordanien Zeid Al Hussein, avait proposé de désigner le procureur par consensus. « Un processus qui réduisait l’indépendance accordée aux États par un scrutin secret », déplore le chercheur Christopher Mahony, qui a enquêté en profondeur sur les circonstances de cette élection et les interférences américaines sur la Cour.

Le 21 avril 2003, l’Argentin Luis Moreno Ocampo avait été élu. Or, très vite, ceux qui l’avaient fait élire seront gratifiés de postes au sein de son bureau. Silvia Fernandez de Gurmendi, représentante de l’Argentine aux Nations-unis, devient en effet sa cheffe de cabinet (ce qui ne l’empêchera pas de présider la Cour dix ans plus tard). Elle enrôle comme consultants les deux principaux soutiens à la campagne d’Ocampo, raconte le professeur Morten Bergsmo dans « Historical Origins of International Criminal Law » : le Canadien Andras Vamos-Goldman, délégué à Rome et la Britannique Elizabeth Wilmshurst, conseillère juridique adjointe du ministère des Affaires étrangères du Royaume-uni jusqu’en mars 2003. Gavin Hood, l’un des délégués britanniques lors des négociations, rejoint également le bureau du procureur. Après son départ, il deviendra officier de liaison entre les agences de renseignements et de sécurité britanniques et américaines, avant de rejoindre la très controversée société de collecte de données Palantir. Daryl Robinson, l’un des délégués canadien, est aussi recruté au bureau du procureur, tout comme le juriste Fabricio Guariglia, actif délégué argentin à Rome, aujourd’hui directeur de la division des poursuites.

Moralité douteuse

En décembre 2011, l’élection de Fatou Bensouda, adjointe d’Ocampo pendant huit ans, avait conduit à préserver l’héritage d’un procureur argentin qui n’avait pas coché toutes les cases de « haute moralité » : agression sexuelle sur une journaliste sud-africaine actée par le tribunal de l’Organisation internationale du travail, possession de comptes offshore, manque criant d’indépendance dans sa politique pénale. Quant à Silvia Fernandez de Gurmendi, elle est aujourd’hui sur les rails pour prendre la tête de l’Assemblée des États parties. A l’ordre du jour des prochaines années : la mise en œuvre des recommandations de l’expertise Goldstone.

Dans « Integrity in International Justice », ouvrage dirigé par Morten Bergsmo et Viviane Dittrich et publié cette semaine, les auteurs estiment « extrêmement difficile d’instaurer une culture de l’intégrité dans une cour internationale si de hauts fonctionnaires s’en tirent (…) sans sanction ». Après les révélations publiées il y a trois ans par plusieurs journaux sur le fonctionnement de la Cour et les conflits d’intérêts impliquant Luis Moreno Ocampo, l’enquête interne ouverte à la demande de Bensouda s’était soldée par le limogeage de deux employés, sans toucher son prédécesseur et ancien patron. Selon les auteurs, « les juristes internationaux semblent enclins à croire aux effets civilisateurs du droit international dans les relations internationales », mais « les organisations internationales ne réussiront pas à remplir leur mandat à moins que la norme d’intégrité ne soit protégée au sein des organisations ».

Sous ces auspices, la course électorale continue.

LES TREIZE CANDIDATS POTENTIELS

Voici les treize candidats potentiels au poste de procureur de la Cour pénale internationale.

  • L’avocat britannique Karim Khan
  • L’avocat et juge irlandais Fergal Gaynor
  • La procureure française Brigitte Raynaud
  • La procureure irlandaise Gemma Moran
  • Le juge et ancien procureur espagnol Carlos Castresana Fernandez
  • Le procureur général de Palerme Francesco Lo Voi
  • Le procureur allemand Christian Ritscher
  • La procureure générale d’Estonie Lavly Perling
  • Le procureur australien Lloyd Babb
  • La juge ougandaise Susan Okalany
  • Le procureur canadien Richard Roy
  • L’avocat nigérian Morris Anyah
  • Le procureur canadien Robert Petit