Les Centrafricains retenaient leur souffle depuis que la Cour constitutionnelle s’était prononcée, le 27 novembre, sur l’éligibilité des candidats aux législatives. La cour avait alors mis à l’écart plusieurs personnalités appartenant à des groupes armés, ou encore poursuivies ou condamnées pour crimes de guerre. L’opinion publique se demandait quelle décision la plus haute juridiction du pays allait prendre concernant l’ancien président François Bozizé, candidat aux élections présidentielles du 27 décembre. De graves accusations de crimes internationaux pèsent en effet contre ce dernier, même s’il demeure très influent.
Siégeant en audience publique, le 3 décembre, la Cour constitutionnelle présidée par la juge Danielle Darlan a décidé d’exclure de la course l’ex-homme fort de Centrafrique. « Sur le critère de bonne moralité, le candidat fait l'objet d'un mandat d'arrêt international lancé contre lui le 31 mars 2014 par le Tribunal de grande instance de Bangui pour assassinats, arrestations, séquestrations, détentions arbitraires et tortures, enlèvements, exécutions judiciaires et extrajudiciaires », a rappelé la juge. François Bozizé « fait l’objet de sanctions de l’ONU », a-t-elle ajouté. Les Nations-unies l’accusent d’avoir joué un rôle clé dans la formation des milices anti-balaka qui se sont rendues coupables, en 2013 et 2014, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ayant surtout visé des membres de la communauté musulmane. Sur cette base, la candidature de Bozizé est invalidée. Et la décision de la Cour constitutionnelle n’est pas susceptible d’appel.
Bozizé, déni et pardon solennel
Pendant la lecture de l’arrêt, l’ancien président se trouvait à Kaga-Bandoro, dans le nord du pays, officiellement en pré-campagne électorale. Putschiste récidiviste, rentré d’exil fin 2019 presque en catimini, le général Bozizé porte allègrement ses 74 ans. L’ancien président avait pris le chemin de l’étranger en 2013, après dix ans au pouvoir et après avoir été renversé par la Séléka, une coalition de groupes armés dominée par des musulmans et qui est elle-même accusée d’avoir commis des crimes internationaux. Malgré les graves accusations portées contre lui et les sanctions onusiennes, Bozizé était perçu comme le seul candidat pouvant faire le poids face au sortant Faustin Archange Touadéra.
Le 27 janvier, lors de sa première rencontre avec la presse après son retour au pays, Bozizé avait nié tout lien avec les crimes reprochés aux anti-balaka. « Les événements concernant les anti-balaka se sont déroulés en mon absence et tout le monde le sait », avait-il déclaré, en annonçant qu’il allait demander à l’Onu de lever les sanctions prises à son encontre. « Aujourd'hui, la situation a considérablement évolué et il ne me paraît absolument pas juste que je sois contraint de subir ces sanctions à perpétuité », avait-il argumenté. Pesant ses mots, il avait demandé « solennellement pardon » pour « toutes les erreurs commises de [sa] part et tous les torts commis aux uns et aux autres qui auraient pu résulter de [son] action à la tête du pays ». Malgré cela, les sanctions avaient été maintenues par l’Onu l’été derrnier.
Non aux candidats des groupes armés
A Bangui, beaucoup craignent que l’ancien chef de l’Etat ne reprenne les armes pour en rajouter au calvaire d’un pays dont plus de la moitié du territoire est sous la coupe de groupes armés. « On ne sait pas ce qu’il mijote dans l’arrière-pays. Ici, les gens ont déjà peur », confie à Justice Info une journaliste centrafricaine basée dans la capitale, pourtant calme.
Une coalition des organisations de la société civile et des associations de victimes avait appelé la Cour constitutionnelle à invalider les candidatures de Bozizé et de personnalités ayant des liens avec des groupes armés. Ainsi, le général Bozizé n’est pas le seul à en subir les conséquences. La Cour tient à écarter de la présidentielle tous les membres de groupes armés, leur seule présence, dit-elle, portant « gravement atteinte à la sincérité du vote ». Ainsi élimine-t-elle également de la course Armel Ningatoloum-Sayo, chef du groupe armé « Révolution-Justice – aile Sayo », également exclu des élections législatives.
Le 27 novembre, la Cour constitutionnelle avait déjà invalidé une douzaine de candidatures aux élections législatives – qui se tiennent à la même date – pour motifs d’appartenance à des groupes armés. Parmi ces personnalités, figurent trois candidats qui s’étaient présentés sous les couleurs du Mouvement Cœurs unis (MCU), le parti du président Touadera, et trois chefs anti-balakas.