"Je ne pardonnerai jamais à ceux qui ont tué mon frère. Il a demandé pardon et personne n'a voulu l'excuser. Il a été tué comme un animal et je ne suis pas prête à pardonner." Le 11 décembre, le plaidoyer chargé d'émotion d'Yvonne Balthilde, plaignante dans l'affaire 0134, a clôturé le travail de la Commission vérité, réconciliation et unité nationale (TRNUC) des Seychelles pour 2020. Pendant deux heures, Bathilde a raconté la mort de son frère, Antoine Joubert, un prisonnier évadé, abattu par les forces de sécurité le 24 septembre 2003 dans le district ouest de l'Anse Louis, sur l'île principale de Mahé.
Joubert purgeait une peine de vingt-cinq ans au moment de sa mort. Mais Balthilde a souligné que, bien que son frère ait été impliqué dans des activités criminelles depuis son adolescence, sa mort prématurée à l'âge de 27 ans était injustifiée. Elle a accusé des militaires d'avoir torturé Joubert alors qu'il était sous leur garde au quartier général de l'armée à Bel Eau, à la périphérie de la capitale, Victoria. "Son corps était criblé de balles. Ils lui ont tiré dessus à neuf reprises. Comment pouvez-vous faire cela à une personne qui avait auparavant demandé pardon ?", s'est exclamée Balthilde devant la commission. Cette mère de quatre enfants a demandé à la commission de rechercher la vérité sur la mort de Joubert. "Certaines personnes qui ont témoigné devant cette commission ont tenté de justifier le coup d'État, en disant qu'il avait conduit à la prospérité du pays. Mais est-ce que nous tuions des gens avant le coup d'État ? Est-ce que nous tuions des gens juste parce que nous en avions envie ?", a-t-elle déploré.
Cette histoire s'ajoute aux nombreux autres récits douloureux entendus au cours des quinze derniers mois par cette première commission vérité et réconciliation seychelloise, créée pour enquêter sur les allégations de violations des droits de l'homme pendant et après le coup d'État de 1977, qui a coûté la vie à plusieurs personnes, conduit au parti unique et forcé de nombreux individus à s'exiler.
Un nombre croissant de dossiers
Dans un entretien accordé à Justice Info en décembre, Gabrielle McIntyre, présidente de la TRNUC, précise qu'avec la dernière session en 2020, la Commission a commencé à entendre la preuve dans environ 182 dossiers. Ce nombre devrait passer à 256 en 2021, annonce-t-elle, avec 126 dossiers en cours de détermination sur leur recevabilité à première vue, les plaignants n'ayant pas encore déposé les informations nécessaires à la Commission pour prendre une décision.
Les plaignants devant la TRNUC sont au nombre de 496 au total pour un pays qui compte plus de 98 000 habitants. Leurs plaintes portent sur des meurtres, des disparitions, l'acquisition illégale de terres de propriétaires privés, des formes de victimisation dont la privation du droit au travail ou des licenciements injustifiés, ainsi que des persécutions politiques. Sur les 496, 321 ont été jugés recevables à première vue, 27 irrecevables, tandis que 22 se sont retirés et 126 autres restent en attente d'une décision de recevabilité.
Le travail de la commission consiste à écouter des témoins mais aussi à analyser divers documents, le cadre juridique pertinent et les normes applicables en matière de droits de l'homme. Elle doit se préparer à accorder des amnisties, des réparations et des indemnisations.
Manque d'accès
Le manque de preuves tangibles dans la plupart des dossiers a été un sujet de préoccupation tout au long de l'année. "La tâche de la Commission n'est pas facile", explique McIntyre, "la plupart des demandes d'accès aux preuves documentaires ne sont pas satisfaites car les dossiers ont été perdus, endommagés ou détruits". La localisation des témoins et des suspects au niveau national ou à travers le monde a également constitué un défi. "À ce jour, la Commission a envoyé plus de 1700 lettres à des plaignants, des témoins et des suspects et elle aura entendu le témoignage de plus de 500 personnes", ajoute McIntyre.
Pendant trois mois, entre août et novembre 2020, la TRNUC est restée silencieuse en raison de la pandémie de Covid-19 et des élections présidentielles et législatives qui se sont déroulées du 22 au 24 octobre. McIntyre explique que la Commission avait initialement pris la décision de ne pas siéger pendant la période électorale afin de ne pas influencer les résultats des élections. L'idée initiale était que, pendant cette période, la TRNUC travaillerait sur des lignes d'enquête dans les affaires en cours et chercherait à finaliser sa décision sur la recevabilité prima facie de toutes les plaintes déposées devant elle. Mais "le volume des affaires en cours, associé au fait qu'un certain nombre de personnes devant comparaître devant la Commission avaient demandé à être entendues à huis clos, a conduit la Commission à décider de programmer des audiences à huis clos", explique-t-elle. Les raisons de ces séances non publiques vont de "l'état de santé, une préoccupation pour le bien-être d'autrui, ou la crainte de comparaître en public et de subir les retombées négatives des médias sociaux".
La vérité manquante des responsables
La commission vérité a été créée en septembre 2018, par la promulgation d'une loi soutenue par le gouvernement dirigé à l'époque par l'ancien président Danny Faure et par le Linyon Demokratik Seselwa (LDS), un parti d'opposition majoritaire à l'Assemblée nationale. En octobre dernier, le bloc d'opposition dirigé par Wavel Ramkalawan a conquis le pouvoir par une victoire écrasante, obtenant une majorité des deux tiers à l'Assemblée nationale, et instaurant ainsi un nouveau gouvernement pour la première fois en 43 ans.
Nichole Tirant Gherardi, une avocate qui est également la médiatrice (ombudsman) du pays, pense qu'il est "très peu probable" qu'une administration LDS conteste l'existence de la TRNUC "puisque c'était leur bébé en premier lieu". Elle souligne que le véritable enjeu sera la "capacité ou l'incapacité de la Commission à déterminer la "vérité" de tous ces témoignages, dans un climat où tant de "coupables" ne se sont pas manifestés pour expliquer le "pourquoi et le comment" des récits de nombreux plaignants".