Amnesty International a appelé de nouveau la Cour pénale internationale à lancer des poursuites pour crimes de guerre contre des hauts gradés de l'armée nigériane impliqués dans la lutte contre Boko Haram, estimant avoir réuni assez de preuves dans un rapport publié mercredi, et aussitôt réfuté par l'armée.
Le porte-parole de l'armée nigériane, Chris Olukolade a accusé, dans un communiqué, l'organisation de défense des droits de l'homme de vouloir servir des intérêts politiques avec ce rapport "partisan et inventé" et a soutenu, pour sa part, qu'"aucune accusation n'a été étayée de preuves suffisantes contre ceux qu'Amnesty International cherche tant à condamner".
Pour compiler ce document de 133 pages intitulé "Des galons sur les épaules, du sang sur les mains", Amnesty dit avoir réalisé plusieurs centaines d'entretiens, notamment avec des membres des forces armées nigérianes, et avoir eu accès à des documents du ministère nigérian de la Défense.
"Les forces armées nigérianes ont procédé à plus de 1.200 exécutions extrajudiciaires. Elles ont arrêté de manière arbitraire au moins 20.000 personnes, en grande majorité de jeunes hommes et des adolescents, et ont commis d'innombrables actes de torture", dit le rapport.
"Des centaines, si ce n'est des milliers de Nigérians ont été victimes de disparitions forcées. Et 7.000 au moins sont mortes de faim, par manque de soins médicaux, ou des suites de conditions de surpopulation" carcérale, ajoute le texte.
Amnesty "estime que ces actes (...) constituent des crimes de guerre", et "désigne nommément cinq hauts gradés de l'armée en charge des opérations dans le nord-est du Nigeria depuis 2012 et deux chefs d'état-major de l'armée et deux chefs d'état-major de la Défense, dont la responsabilité individuelle et hiérarchique serait engagée et devraient faire l'objet d'une enquête".
L'organisation, qui dit avoir remis les noms de ces personnes à la Cour pénale internationale (CPI), précise que les chefs d'état-major cités, basés à Abuja, "devraient faire l'objet d'une enquête quant à leur responsabilité hiérarchique potentielle pour des crimes commis par leurs subordonnés, étant donné qu'ils savaient ou qu'ils auraient dû savoir que des crimes étaient commis, et qu'ils n'ont pas pris les mesures appropriées".
La CPI a déjà ouvert une enquête préliminaire sur l'insurrection de Boko Haram, qui a déjà fait au moins 17.000 morts depuis 2009 selon Amnesty.
Le tribunal a estimé, par le passé, ne pas avoir de preuves suffisantes pour poursuivre l'armée nigériane quant à des violences systématiques commises à l'encontre de civils dans le cadre de la contre-insurrection.
Mais cette fois, "Amnesty estime que les preuves contenues dans ce rapport et soumises, en parallèle, au bureau du procureur de la CPI, sont suffisantes pour rouvrir le dossier".
Si ce nouveau rapport comporte de nouvelles accusations d'abus de la part des soldats nigérians dans le nord-est, le sujet n'est pas nouveau.
Amnesty, mais aussi Human Rights Watch et d'autres sources, dont l'AFP, ont déjà apporté la preuve d'exactions sommaires, de détentions arbitraires et de tortures en détention d'islamistes présumés au Nigeria.
"L'armée nigériane n'encourage ni ne ferme les yeux sur les violations des droits de l'Homme et aucun crime avéré ne restera impuni", a réagi le porte-parole de l'armée, Chris Olukolade.
"Il est regrettable que l'organisation (Amnesty) se soit contentée de rassembler des noms d'officiers haut gradés, dans une tentative délibérée de salir leur réputation autant que l'image de l'armée", a-t-il ajouté.
Si l'ancien président Goodluck Jonathan et son administration ont souvent été critiqués pour ne pas accorder de procès en bonne et due forme aux membres présumés de Boko Haram, le nouveau président Muhammadu Buhari, investi la semaine dernière, s'est engagé à améliorer "les mécanismes légaux et opérationnels pour que des mesures disciplinaires soient adoptées contre les violations avérées des droits de l'homme par les forces armées".