Le promoteur allégué de la Radio-télévision des Mille collines (RTLM) a, selon le parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), accompagné le troisième génocide du siècle, qui a emporté un million de Tutsis et D'opposants politiques au Rwanda en 1994.
Ferdinand Nahimana devrait finir de témoigner mardi après-midi pour la défense, avant le début du contre-interrogatoire du parquet.
l'homme, svelte, fin et courtois, est déterminé à prouver son innocence. Il le fera pendant plusieurs jours armé de sa dialectique professorale et de sa rigoureuse critique D'historien. "La discrimination, ce n'est pas mon genre de comportement", dira à plusieurs reprises l'accusé qui, du reste, se présente comme "un gentleman". "Discriminer autrui me révolte.", déclare-t-il.
Né le 15 juin 1950 à Gatonde (province Ruhengeri, nord du Rwanda), benjamin D'une famille D'agriculteurs comprenant neuf enfants, rien ne prédestinait Ferdinand Nahimana à inscrire son nom en lettres rouges dans l'histoire de son pays.
Fait rare à l'époque, le jeune Nahimana entre très tôt à l'école primaire. Plus tard, il est admis au petit séminaire catholique de Rwesero (centre du Rwanda), qui lui ouvrira les portes de l'université en 1971. « Mon grand frère a fait des études jusqu'à l'université.[…] Mais moi seul ai pu pousser jusqu'au doctorat », dit-il.
Retournement de la situation politique
Historien en puissance, Ferdinand Nahimana sera confronté dès son enfance aux soubresauts de son Rwanda natal. "En novembre 1959, tout autour de moi, il y a eu ce que je n'avais jamais vu jusque là : des maisons en feu, des mouvements de populations, " se souvient-il. "Sur la colline, résidait un sous-chef tutsi. Le lendemain de la fête de la Toussaint, alors que nous étions revenus de la messe, j’ai vu mon père et ses voisins accompagner le sous-chef et son entourage. Chose curieuse, on a transporté tous ses effets. Avec les enfants de ma colline, on les a suivis et à un moment donné on nous a chassés. Ils avaient accompagné le sous-chef jusqu'à la paroisse."
Ferdinand Nahimana et ses jeunes compagnons apprendront plus tard qu'il y avait eu "retournement de la situation politique", que la "Révolution
sociale" de 1959 était en marche. Les Tutsis perdaient le pouvoir au profit des Hutus, sur fond de violences.
Ferdinand Nahimana se souvient également que, dans la foulée de ce changement politique, un de ses enseignants a été nommé "bourgmestre" de Gatonde. Un néologisme qui aura du mal à s'imposer aux usagers habitués au titre "umutware" que portait le sous-chef chassé.
Le pays allait désormais connaître des tensions ethniques et des violences cycliques qui s'accentuaient au rythme des attaques des "Inyenzi", les réfugiés tutsis opposés à la nouvelle république pro-hutue. Nahimana aura néanmoins la chance unique de rester à l'abri de ces tensions, à l'ombre du presbytère.
"J'étais privilégié puisque J'étudiais dans cette région du Buganza nord [Rwesero] où il y avait un mélange hutu-tutsi très prononcé. Cette région, de par sa situation géographique, était loin des incursions des Inyenzi […], loin des foyers de tension ethnique", dit-il.
"Dans notre séminaire, il n y 'a jamais eu de heurt ethnique", explique Ferdinand Nahimana, ajoutant :"l'une des choses que nous apprenaient nos enseignants, c'était de prier ensemble, de travailler ensemble". Manifestement désappointé par une question sur la composition ethnique des étudiants et du corps professoral au séminaire de Rwesero, l'accusé a fini par lâcher : "depuis que je me trouve dans ce Tribunal, J'ai été forcé à raisonner à travers le prisme ethnique".
Vive le sport
A l'université, Ferdinand Nahimana découvrira une institution minée par un autre type de tension: le régionnalisme. "Quand J'entre à l'université en
1971, la question la plus flagrante, c'était le régionalisme", témoigne-t-il. "Les Tutsis que je rencontrais ne me classaient pas suivant mon ethnie, ils
me classaient suivant ma région D'origine et moi, je faisais de même." Ferdinand Nahimana saura transcender ces clivages en s'adonnant au sport. Il
sera enrôlé dans la première équipe de basketball de l'université, où il se fait de nombreux amis, Hutus et Tutsis.
C'est dans cette université que le surprennent "les événements de 1973" au cours desquels plusieurs étudiants tutsis ont été chassés du campus, à l'instigation du "comité de salut". Nahimana se défend vigoureusement D'avoir appartenu à ce comité. Il pointe plutôt un doigt accusateur vers certains de ses condisciples. Parmi eux figure notamment Pasteur Bizimungu, devenu premier président du Rwanda après le génocide de 1994, aujourD'hui en prison pour avoir tenté de créer un parti D'opposition.
Le deuxième personnage est non moins célèbre. Il s'agit de Léon Mugesera, qui en 1992 prononça un discours incendaire anti-tutsi. Ferdinand Nahimana a indiqué que le campus universitaire avait été attaqué par des étudiants venus des écoles secondaires voisines, auxquels s'étaient joints quelques personnes venus de Butare.
"Je venais du nord, je n’avais pas D'assises au sud et j’étais pris pour un Tutsi [l'accusé se réfère à sa physionomie]. Et J'aurais pris le risque de m'aventurer dans la ville de Butare ?", répond-il à ceux qui l'accusent D'avoir participé aux attaques contre le campus. "C'est une situation révoltante que nous avons vécu à ce moment là", se rappelle-t-il, indiquant que sur la vingtaine D'étudiants qui étaient avec lui en deuxième année D'histoire, seuls trois ont survécu.
Ferdinand Nahimana terminera son premier cycle universitaire en octobre 1974 et partira l'année suivante au Canada pour préparer une maîtrise. Sa bourse D'études offerte gracieusement par l'Agence canadienne de développement international (ACDI) s'inscrivait dans le cadre D'un projet plus large de "rwandisation" du corps enseignant de l'université de Butare. C'est ainsi qu'en 1977 avec, dans ses valises, une thèse sur l'implantation des missions catholiques au Rwanda de 1900 à 1930 et un contrat de travail en poche, il rejoint l'université de Butare comme professeur assistant.
Il gravira ensuite tous les échelons de la hiérarchie académique devenant notamment vice-.doyen de la faculté des Lettres en 1978 et "premier doyen rwandais de cette faculté" en juin 1980. Universitaire à la plume facile, Ferdinand Nahimana écrira plusieurs ouvrages et articles qui font autorité dans l'historiographie rwandaise. "Je pense que J'étais le second [à publier autant] après [l'abbé Alexis] Kagame", a déclaré Ferdinand Nahimana.
Admirateur du président Habyarimana
Ferdinand Nahimana ne cache pas son allégeance à l'ancien président Juvénal Habyarimana, laquelle transparaît notamment dans un de ses livres: "Conscience chez nous, confiance en nous". Ferdinand Nahimana déclare qu'en "universitaire lucide", il est certes opposé à certaines pratiques caractéristiques du parti unique comme la limitation de la liberté D'expression, mais que de manière générale il était demeuré "admirateur du président Habyarimana en ce qui concerne son
idéologie de développement". "J'ai mis en exergue la moelle de cette idéologie politique de développement : paix, unité et développement", explique-t-il.
"Conscience chez nous, confiance en nous" analyse le discours politique de certains chefs D'Etat africains dont le Tanzanien Julius Nyerere, le Zambien
Kenneth Kaunda et le Rwandais Juvénal Habyarimana. Ferdinand Nahimana a indiqué avoir rencontré à plusieurs reprises Juvénal Habyarimana lors de cérémonies officielles ainsi qu’à l’occasion "d’une fête colossale D'anniversaire pour les cinquante ans" du chef de l'Etat rwandais, à son domicile de Karago (Gisenyi, ouest du Rwanda).
Ferdinand Nahimana dément cependant avoir fait partie du cercle des proches de l'ex-président connu sous l'appelation de "l'akazu" (petite maison). "Jamais je n'ai été dans les secrets de la famille Habyarimana", a-t-il dit.
En dehors de ses activités académiques, Ferdinand Nahimana a occupé plusieurs autres fonctions au sein de l'administration publique, la plus importante étant la direction de l'Office rwandais D'information (ORINFOR), poste qu’il a occupé de fin décembre 1990 à fin avril 1992. Il aurait été limogé sur insistance de l'ancien premier ministre Dismas Nsengiyaremye qui l'accusait D'avoir censuré un de ses communiqués de presse.
Création de la RTLM
l'idée de la création D'une radio indépendante, qui deviendra la RTLM, lui sera soufflée "aux mois de septembre-octobre 1992" par deux de ses anciens collaborateurs à l'ORINFOR. En leur compagnie, Ferdinand Nahimana va contacter l'homme D'affaires Félicien Kabuga, qui sera plus tard élu président du comité D'initiative de la société RTLM: Ferdinand Nahimana sera pour sa part nommé président de la commission technique et programmes.
"En tant qu’ancien directeur de l'ORINFOR, je connaissais les maisons qui fournissaient les équipements. Je me suis adressé aux maisons allemandes et
belges." Ferdinand Nahimana a affirmé que si la RTLM a été créée pour permettre au parti du président Habyarimana, le Mouvement républicain national pour la
démocratie et le développement (MRND), de faire entendre sa voix, elle n'aurait sans doute pas vu le jour si la rébellion à dominante tutsie, le Front patriotique rwandais (FPR), n'avait pas eu sa propre radio de propagande.
"Si la radio Muhabura n'avait pas existé, et ne faisait pas sa grande propagande pour le FPR en cachant ses atrocités, en disant que le côté attaqué était fautif, je crois que la RTLM n'aurait pas été créée" a déclaré en substance Ferdinand Nahimana.
l'accusé a affirmé que "les actionnaires de la RTLM n'ont pas agi en cachette" réfutant par là la thèse de la conspiration en vue du génocide soutenue par le parquet.
Parmi les principaux actionnaires il a cité le président Habyarimana, Félicien Kabuga, et l'ex-ministre Joseph Nzirorera, tous membres du MRND. Nahimana a toutefois indiqué que malgré cette structure politiquement colorée de l'actionnariat, "jamais la société RTLM ne s'est considérée comme appartenant au MRND mais s'est inspirée de son idéologie" de paix, D'unité et de développement.
AT/CE/FH (ME-0923A )