Dans un arrêt salué lundi comme « une décision historique » par Reporters sans frontières (RSF), la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a ordonné le vendredi 05 juin à l’Etat burkinabè de rouvrir l’enquête sur l’assassinat en 1998 du journaliste Norbert Zongo et ses trois compagnons.
Cette Cour, dont le siège se trouve à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, a par ailleurs ordonné aux autorités de Ouagadougou de verser des réparations financières à hauteur de 25 millions de francs CFA (environ 38 000 euros) à chacun des conjoints, 15 millions à chacun des enfants et 10 millions à chacun des parents de Zongo et ses compagnons.
Le fondateur et directeur de publication de l’hebdomadaire L'Indépendant, avait été assassiné alors qu'il enquêtait sur l'implication présumée du frère du président de l’époque, François Compaoré, dans la mort en détention de son chauffeur en 2000. L'affaire avait été classée par un non-lieu en 2006, une décision qui avait scandalisé la société civile et les défenseurs des droits de l'homme.
Le jugement de la Cour africaine « marque un tournant important dans l'affaire Zongo qui n'a que trop souffert de l'impunité tolérée par la justice burkinabè pendant toutes ces années », a déclaré Cléa Kahn-Sriber responsable du bureau Afrique de Reporter sans frontières.
Pour elle, l’arrêt de la Cour africaine « met une pression supplémentaire sur les autorités du pays pour concrétiser les promesses de justice faites lors de la transition de novembre 2014 » après le soulèvement populaire qui a chassé du pouvoir le président Blaise Compaoré.
Reporters sans frontières, qui estime que ces réparations « soulignent enfin la reconnaissance des souffrances subies » par les victimes, espère que les que les nouvelles autorités du pays « vont saisir cette occasion de réparer cette injustice qui n'a que trop duré ».
Un franc symbolique
Selon RFI, la ministre burkinabè de la Justice Joséphine Ouédraogo a assuré dimanche que le dossier était déjà rouvert à la demande des familles et du gouvernement, et l’instruction en cours. « Je pense que c’est normal que la Cour africaine s’inquiète aujourd’hui de la situation, mais en fait le dossier a été rouvert depuis le mois de janvier, a affirmé la ministre. « L’instruction se poursuit et maintenant l’autre aspect, ce sont les pénalités à payer à la famille. Evidemment, l’Etat prend acte de cette décision et nous allons voir comment il faut procéder», a-t-elle ajouté.
L’arrêt de la CADHP a par ailleurs été saluée par le Mouvement burkinabè des droits de l'Homme et des peuples (MBDHP) qui lutte depuis 1998 aux côtés des familles pour faire la lumière sur ces assassinats. « Au-delà des réparations pécuniaires que nous avions demandées, ce qui nous satisfait surtout c’est la décision de la Cour qui ordonne à l’Etat burkinabè de reprendre les investigations en vue de rechercher et juger les coupables », a déclaré à RFI Chrysogone Zougmoré, président du Mouvement.
Cette organisation, qui s’était portée partie civile dans l’affaire, s’est vu allouer par la Cour africaine un franc symbolique.
L’Etat burkinabè dispose d’un délai de six mois à compter de la date du jugement pour soumettre à la Cour un rapport sur l’état d’exécution des décisions prises dans l’arrêt.
A la chute de Blaise Compaoré en novembre dernier, le président de la transition, Michel Kafando, avait fait des promesses sur la lutte contre l’impunité, laissant espérer une réouverture rapide du dossier.
Le Burkina Faso occupe la 46e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2015 établi par Reporters sans frontières.
Les nouvelles autorités du Burkina Faso avaient également promis d’exhumer les corps de l’ancien président Thomas Sankara et ses douze compagnons assassinés en octobre 1987 lors du coup d’Etat qui avait porté Blaisé Compaoré au pouvoir.
Les restes du corps présumé du capitaine Sankara ont été exhumés le 26 mai, première étape de la nouvelle enquête sur son assassinat.