07.05.2002 - TPIR/KAMUHANDA - L’EX-MINISTRE KAMUHANDA AURAIT DIRIGE DES MASSACRES DANS UNE EGLISE

Arusha 7 mai 2002 (FH) - L’ex-ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la culture sous le gouvernement intérimaire, Jean de Dieu Kamuhanda, aurait dirigé des massacres à l’église catholique de Gishaka, en commune Gikomero (province de Kigali rural, centre du Rwanda), a affirmé le vingt-sixième témoin de l’accusation, entendu mardi devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Présenté sous le pseudonyme "GKJ" pour préserver son anonymat, le témoin est une rescapée tutsie originaire de la commune Rubungo, voisine de Gikomero où l’accusé aurait commis les crimes allégués.

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"Alors que nous étions enfermés dans l’église, nous avons entendu le vrombissement d’un moteur de véhicule, et les gens se sont exclamés : c’en est fini de nous, car Kamuhanda est arrivé !", a indiqué le témoin au cours de l’interrogatoire principal mené par le représentant irlandais du parquet, Marks Moore.
Mme GKJ a indiqué que c’est Kamuhanda qui était le chef des assaillants qui ont mené des attaques à l’eglise, "parce qu’il est venu devant eux".

Le témoin a expliqué qu’elle a pu voir l’accusé à travers la fenêtre : "C’est Cyabakanga, qui nous l’a montré, il nous a expliqué qu’il était directeur des écoles".

Arrivée à la paroisse de Gishaka en compagnie d’autres réfugiés tutsis le 11 avril 1994, Mme GKJ a indiqué que les attaques s’étaient déroulées le lendemain sous les ordres de Kamuhanda. Le témoin entendu lundi avait indiqué que les attaques ont été perpétrées le 11 avril.

"Il [Kamuhanda] a adressé la parole uniquement à ses Interahamwe [milice de l’ex-parti présidentiel MRND], il leur a dit de massacrer les gens et renvoyer ceux qui survivraient chez eux", a poursuivi le témoin.

Mme GKJ a dit qu’au cours de la nuit précédente, le curé de la paroisse avait veillé sur eux, empêchant les assaillants de tuer les gens dans l’église, et qu’ au matin "il nous a demandé de faire notre dernière prière de Notre père. Les Rwandais sont mauvais, vous allez être exterminés parce que Kamuhanda est arrivé", leur aurait dit le prélat, un missionnaire blanc, selon le témoin.

Au cours de l’interrogatoire principal, le témoin a précisé que personne n’avait été tué à l'intérieur de l’église. Elle aurait echappé au massacre en sautant par dessus les cadavres dans la cour de l’église, pour être stoppée par les assaillants, qui la frapperont avec des gourdins avant de la jeter dans un ravin, la croyant morte. "Ce sont les Inkotanyi [soldats membres de l'ex-rébellion à majorité tutsie alors en guerre contre le gouvernement] qui m’ont récupéré à leur arrivée", a dit le témoin.

Au cours du contre-interrogatoire, l’avocate guinéenne de Kamuhanda, Me Aicha Condé, a relevé une à une les contradictions entre les déclarations antérieures du témoin aux enquêteurs du TPIR et celles faites au représentant du parquet au cours de l’audience, ainsi que celles faites lors de ce contre-interrogatoire même.

La défense a notamment remarqué qu’alors que Mme GKJ avait déclaré que les tueries s’étaient perpetrées à l’intérieur de l’église, ellle a dit au prétoire que les victimes avaient été massacrés à l’extérieur.

Le témoin avait par ailleurs déclaré aux enquêteurs qu’elle n’avait pas vu l'accusé de ses propres yeux à l’église, mais qu’elle avait entendu d’autres alléguer sa présence.

Mme GKJ avait par ailleurs dit aux enquêteurs qu’elle avait été sortie du ravin par un citoyen qui l’avait soignée chez lui jusqu'à l’arrivée des Inkotanyi. Sommée de s'expliquer sur ces contradictions, le témoin, par moments énervé, se contentait de répondre: "Vous ne cherchez qu’à me faire perdre la tête, parce que vous avez un client à défendre. C’est moi qui suis témoin de ce que je vous dis, et je ne vois aucune contradiction."

Le témoin a dû, à plusieurs reprises, être rappelé à l’ordre par le président de la chambre : "le conseil de la défense ne cherche pas à discuter ce que vous dites. Il ne s’agit pas de polémique ici.Il faut écouter les questions attentivement et y répondre. La chambre a besoin de vos réponses pour connaître la vérité".

"Je conclue que vous n’avez jamais été à l’église dont vous relatez les événements.Vous vous trouviez chez Nyiribuga, qui vous a hebergé jusqu’à l’arrivée du FPR. Vous n’avez pas assisté aux événements qui se seraient déroulés à Gishaka. Et donc vous n’avez pas vu Kamuhanda", a soutenu Me Condé, après que le témoin ait déclaré ne pas avoir de réponse à la question de savoir qui, des Inkotanyi ou du citoyen, l'avait récupérée dans le ravin.

Le procès se déroule devant la deuxième chambre de première instance du TPIR présidée par le juge tanzanien William Hussein Sekule et comprenant en outre les juges, malgache Arlette Ramaroson et lesothan Winston Churchill Matanzima Maqutu.

Le procès se poursuivra mercredi avec l’audition du vingt-septième témoin de l’accusation.

BN/AT/GF/FH(KH-0507A)