Incarcéré à Kinshasa depuis plus de dix ans, Pierre Mbodina Iribi fut témoin devant la Cour pénale internationale (CPI). Au printemps 2011, comme deux politiciens de l’Ituri, une région de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), cet ancien agent des renseignements congolais se rendait à La Haye pour déposer en faveur de Germain Katanga. « Je regrette d’avoir témoigné devant la CPI », lance-t-il aujourd’hui depuis la prison militaire de Ndolo à Kinshasa. « Ce témoignage, je ne veux plus que l’on s’en serve, contre qui que ce soit », dit-t-il comme s’il jetait une bouteille à la mer.
Au cours de sa déposition, Pierre Mbodina, comme Floribert Njabu et Sharif Manda, les deux autres témoins, avait ouvertement accusé le régime Kabila d’avoir planifié l’attaque du 24 février 2003 à Bogoro, attaque pour laquelle Germain Katanga a été condamné à 12 ans de prison. Suite à leur témoignage, les trois congolais avaient tenté, sans succès, d’obtenir l’asile politique aux Pays-Bas et au terme de trois longues années de procédure, avaient été expulsés vers Kinshasa début juillet 2014, il y a presque un an. Depuis, « tous les jours j’y pense… soupire Pierre Mbodina. Oui, vraiment tous les jours. Et si on me le demandait encore, je refuserai, je ne témoignerais pas. »
Amer
Si le détenu est aujourd’hui si amer, c’est qu’avant leur départ de La Haye, les juges de la Cour avaient ordonné au Greffe de s’assurer des conditions de détention des trois témoins et de l’évolution de la procédure engagée contre eux par la RDC. Mais « avec la Cour, on dirait qu’il y a une sorte de rupture qui ne dit pas son nom », estime Pierre Mbodina, « on a privilégié la relation entre le Congo et la CPI au détriment de nous autres, les petits poissons. » Interrogé, le Greffe assure, laconique, avoir « rempli ses obligations », ce que conteste maître Ghislain Mabanga, avocat des trois témoins. « Visiblement, aucun des engagements pris par la Cour n’a été respecté jusqu’à aujourd’hui », affirme-t-il. A Kinshasa, un responsable de la Cour leur rend régulièrement visite, « mais il n’a aucun pouvoir de décision », déplore l’avocat.
Conditions de détention
A l’exception d’une ordonnance de renvoi en procès, transmise aux détenus le 1er octobre 2014, la procédure n’aurait pas avancé d’un iota. « On me parle d’insurrection, de recrutement d’enfants-soldats, mais je n’ai jamais été interrogé, jamais été confronté aux faits. Je veux être jugé, assure encore Pierre Mbodina, mais nos avocats ont voulu voir le dossier et ils n’ont rien trouvé parce qu’il n’y a pas de dossier. » Tandis que Pierre Mbodina poursuit son récit, des cris couvrent ses mots. « Ce sont les prisonniers, explique-t-il. Un détenu est tombé, mais il n’y a pas de système d’alerte, alors pour que quelqu’un vienne, on doit crier, cogner ». Les trois détenus ont beau protester contre leurs conditions de détention, rien ne bouge. « Ici, les gens sont catégorisés, raconte Pierre Mbodina. Et nous, nous sommes ciblés, fichés comme des gens très engagés contre Kabila », le chef de l’Etat. « Pour ceux fichés contre le régime, il y a des restrictions. Nos visiteurs sont ennuyés par exemple. D’autres sont fichés comme des soutiens au régime en place. Ceux-là, ils ont des largesses. » De retour en RDC, Sharif Manda et Pierre Mbodina avaient reçus des médicaments pour traiter leur diabète. Mais le stock fourni par la CPI a été épuisé en deux semaines. Quant à « Floribert Njabu, il devrait aussi subir une opération chirurgicale pour ses yeux », ajoute maître Mabanga, qui compte alerter les juges de la CPI.