La décision rendue le 5 mai par la Cour constitutionnelle du Burundi sert désormais de rempart au président Pierre Nkurunziza et à son régime. En dépit d'une contestation interne sans précédent dans l'histoire de son pays et des appels des principaux partenaires occidentaux de son pays, le chef de l'Etat persiste et signe : pas question de renoncer à sa candidature à un troisième mandat à la tête de son pays.
Selon ses proches, l'ancien rebelle qui croit avoir accédé à la magistrature suprême de son pays par la volonté divine, ne fait d'ailleurs, en maintenant sa candidature, que répondre aux aspirations du plus grand nombre de ses concitoyens. « C'est le parti majoritaire, son parti, qui lui demande de se présenter », argumentait son porte-parole Willy Nyamitwe, devant des journalistes le 31 mai à Dar es Salaam, en marge du deuxième sommet de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC) sur la crise au Burundi. « Et puis, c'est son droit, la Cour constitutionnelle l'a confirmé. Le Burundi est un pays souverain, avec une constitution et une Cour constitutionnelle qui a déjà tranché », avait poursuivi le porte-parole. « Si notre Cour constitutionnelle dit que c'est son droit, qui peut dire le contraire ? », avait conclu le diplomate burundais, invitant « ceux qui ne veulent pas de Nkurunziza à le battre aux élections ».
L'appel timoré des chefs d'Etat est-africains
Les contestataires soutiennent que le président, en fin de son deuxième quinquennat, viole la Constitution du pays. Mais lui affirme se trouver dans son droit, expliquant qu'en 2005, il avait été élu par le Parlement et non directement par la population.
La souveraineté du Burundi et de ses institutions a certainement pesé lourd dans la balance lors du deuxième sommet de Dar es Salaam. Sans être convaincu le moins du monde de l'indépendance de cette Cour constitutionnelle du Burundi, un diplomate tanzanien avait cependant prédit qu'aucune décision contraignante n'allait sortir de cette rencontre. « La décision de la Cour constitutionnelle est désormais le cheval de bataille du camp Nkurunziza. Qui sommes-nous pour dire que la justice burundaise n'est pas indépendante ? Nos systèmes judiciaires sont-ils plus indépendants que celui du Burundi ? Avons-nous vraiment des leçons à donner à nos frères Burundais dans ce domaine ? », s'était demandé le diplomate.
Ainsi, sans grande surprise, le sommet des chefs d'Etat est-africains s'est terminé par un appel timoré à reporter les élections d'au moins un mois et demi.
A Bujumbura, le camp Nkurunziza, déjà conforté par l'échec de la tentative de coup d'Etat de la mi-mai, a savouré une certaine victoire alors que l'opposition et la société se disaient déçues.
Le médiateur onusien se retire
Cette décision mi-figue mi-raisin des chefs d'Etat d'Afrique de l'Est n'était pas non plus de nature à donner de la hardiesse au médiateur onusien dans la crise burundaise, l'Algérien Saïd Djinnit. Accusé de manque de neutralité par l'opposition et la société civile du Burundi, il vient de se retirer du dossier burundais même s'il demeure envoyé spécial des Nations unies pour la région des Grands-Lacs.
C'est sur ces entrefaites que la présidence a publié, ce mercredi 10 juin, un décret fixant un nouveau calendrier électoral : initialement prévues le 26 mai et repoussées une première fois au 5 juin, les législatives sont repoussées au 29 juin tandis que la présidentielle est reportée du 26 juin au 15 juillet.
L'opposition et la société civile rejettent non seulement le nouveau calendrier mais aussi la légitimité de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) dont deux ces cinq membres ont fui à l'étranger. Une majorité des 4/5 est requise pour les décisions de cet organe.
Charles Nditidje, l'un des principaux dirigeants de l'opposition, a estimé, dans un entretien avec l'AFP, qu'on « ne peut pas organiser des élections aujourd'hui si on ne s'assoit pas ensemble pour négocier la mise en place d'une nouvelle Céni ». Pour lui, « les conditions politico-sécuritaires de la tenue des élections ne sont pas réunies si on ne désarme pas les Imbonerakure (ndlr: jeunes du parti au pouvoir), si Nkurunziza ne renonce pas à son troisième mandat ». Mais, a réitéré mardi Philippe Nzobonariba, un porte-parole du gouvernement, la candidature de Nkurunziza « est non-négociable ».
Quel prophète pour le Burundi ?
« Difficile de prédire ce qui va se passer », estime Carina Tertsakian, chercheuse sur le Burundi pour Human Rights Watch (HRW). « La situation est très incertaine. Pour le moment, les différentes parties ne semblent pas pouvoir trouver un terrain d'entente. Même si les élections ont lieu, les tensions politiques risquent de continuer », affirme-t-elle, tout en exhortant les médiateurs à « insister sur le respect des droits fondamentaux comme condition essentielle pour la tenue d'élections crédibles ». « L'Union africaine est probablement la mieux placée pour tenter de trouver des solutions », estime la chercheuse de HRW, doutant que les pays voisins, du fait de leurs intérêts propres, puissent réellement aider le Burundi à sortir de la crise. « Même s'ils peuvent jouer un rôle positif, ce serait préférable que les médiateurs principaux soient des personnes ou des pays perçus comme neutres et un peu à distance », suggère la militante des droits de l'Homme.
« Mais, on le voit, même les appels venant de très loin ne sont pas entendus! », fait remarquer un jeune journaliste burundais avant de se demander : « Quel prophète alors pour mon pays ?»