Le pouvoir burundais a durci le ton jeudi, jugeant terminée la contestation et accusant la presse d'orchestrer les derniers attroupements, dans un climat délétère encore illustré par la décision du médiateur de l'ONU de jeter l'éponge.
A l'approche des législatives du 29 juin et de la présidentielle du 15 juillet, ce petit pays de l'Afrique des Grands lacs reste sous haute tension, après un mois et demi de contestation née de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat après dix ans de pouvoir.
Jeudi, au lendemain de la publication d'un nouveau calendrier électoral, le porte-parole adjoint du ministère de la Sécurité publique, Pierre Nkurikiye, a assuré à l'AFP qu'il n'y avait "plus de manifestations à Bujumbura ou à l'intérieur du pays", au grand dam des opposants qui ont dénoncé un "pur mensonge".
"Ce qu'on observe sur le terrain, c'est un mouvement de certains journalistes, surtout ceux dépêchés par les médias internationaux, qui recherchent et organisent des groupes de gens et leur demandent de chanter, d'exhiber des pancartes", a lancé M. Nkurikiye.
"Ces derniers s'exécutent et ces journalistes prennent des images qu'ils diffusent par la suite auprès de certains médias internationaux et sur internet et commentent qu'il y a eu des manifestations au Burundi", a-t-il affirmé.
La candidature de M. Nkurunziza à un nouveau mandat a déclenché le 26 avril un mouvement de contestation émaillé de violences qui ont fait une quarantaine de morts et poussé plus de 100.000 Burundais à fuir vers les pays voisins.
Alors que les médias privés sont réduits au silence, les autorités burundaises ont accusé déjà la presse d'encourager les manifestations.
Amnesty a dénoncé la récente "escalade des menaces contre les journalistes" et Reporters sans frontières (RSF) a souligné que quelque 50 journalistes burundais avaient fui le pays.
Bien qu'interdites et sévèrement réprimées, parfois à balles réelles, les manifestations ont été quasi-quotidiennes depuis fin avril à Bujumbura et des protestations de moindre ampleur ont eu lieu en province.
Et les perspectives de déblocage du dialogue entre le pouvoir et ceux qui contestent la constitutionnalité d'un troisième mandat ne cessent de se réduire.
Rejeté par les anti-Nkurunziza, Saïd Djinnit, envoyé spécial des Nations unies dans la région des Grands Lacs, a "renoncé à son rôle de médiateur dans la crise burundaise", a annoncé la Mission électorale de l'ONU au Burundi.
L'opposition et la société civile, qui mènent la contestation, avaient réclamé ces derniers jours le remplacement de M. Djinnit, mettant en doute son impartialité et lui reprochant de ne pas s'opposer au principe d'un troisième mandat du président burundais.
"Dans ce contexte, quelle pourra être la légitimité des élections devant se tenir fin juin et mi-juillet telles qu'annoncées dans le nouveau calendrier électoral?" interrogeait jeudi RSF dans un communiqué.
Et l'organisation d'appeler "la communauté internationale à faire de la réouverture des médias privés une condition sine qua non de son soutien au processus électoral".
- 'Aberration' -
Concernant la situation sur le terrain, la réponse des contestataires aux affirmations du pouvoir ne s'est pas fait attendre.
Il "y a toujours des manifestations", a répliqué Frédéric Bamvuginyumvira, un dirigeant du mouvement de protestation, qualifiant les déclarations du gouvernement de "pur mensonge".
"C'est une aberration, les manifestations continuent", a renchéri Pacifique Nininahazwe, un autre leader. Que le gouvernement "proclame la liberté de manifester, nous verrons ce qu'il va se passer à Bujumbura!", a-t-il ajouté.
Le mouvement semblait s'essouffler ces derniers jours, notamment à Bujumbura, dont les quartiers protestataires étaient quadrillés par la police.
Mais six personnes, cinq dans la capitale et une adolescente de 16 ans en province, ont été blessées par balles mercredi dans des affrontements avec des policiers, selon des sources médicale et policière.
Selon des témoins, des policiers ont une nouvelle fois ouvert le feu jeudi, sans faire de blessés, pour disperser des petits groupes de manifestants à Bujumbura, dans les quartiers de Cibitoke et Musaga.
"S'il n'y a plus de manifestations, pourquoi est-ce que la police tire chaque matin et chaque nuit dans les quartiers de Bujumbura? Pourquoi est-ce qu'on enterre chaque jour des gens tués par la police?", a poursuivi M. Nininahazwe, dénonçant les "méthodes barbares" des forces de l'ordre.
M. Bamvuginyumvira a de son côté invité le gouvernement à ne "pas s'enorgueillir de ce que fait sa police, car utiliser des armes à feu face à une population qui manifeste pacifiquement c'est un crime contre l'humanité".
Pour la communauté internationale, le climat politique actuel ne permet pas d'organiser des élections crédibles dans ce pays à l'histoire post-coloniale marquée par des massacres entre Hutu et Tutsi, et qui peine à se remettre d'une longue guerre civile (1993-2006).