Le président soudanais Omar el-Béchir, recherché pour génocide par la Cour pénale internationale (CPI) a quitté lundi le sommet de l'Union africaine à Johannesburg sans être arrêté, en dépit d'une décision de justice sud-africaine qui lui interdisait de quitter le territoire.
La CPI avait demandé à l'Afrique du Sud de procéder à son arrestation et son procureur-adjoint s'est dit déçu de la passivité du gouvernement sud-africain.
"Nous sommes déçus qu'il n'ait pas été interpellé", a déclaré à l'AFP James Stewart, adjoint de la procureure Fatou Bensouda : "Notre position a toujours été que l'obligation incombant à l'Afrique du Sud est claire, elle devait l'arrêter".
Dimanche, un tribunal de Pretoria avait interdit à Omar el-Béchir de quitter le pays tant que la justice sud-africaine n'aurait pas statué sur son cas, une première sur le continent africain en réponse à une demande de la CPI.
"L'attitude (des autorités) qui ont échoué à prendre des mesures pour interpeller et arrêter le président du Soudan Omar el-Béchir est en contradiction avec la Constitution de la République sud-africaine", a critiqué le juge Dunstan Mlambo.
Mais le jugement du tribunal a été rendu alors que M. Béchir était déjà dans l'avion pour Khartoum, après avoir décollé d'une base militaire.
Les officiels soudanais n'étaient de toute façon guère inquiets.
"Cette action en justice, c'est l'affaire du gouvernement sud-africain (...) Nous sommes ici comme hôtes du gouvernement sud-africain. Des assurances ont été données par ce gouvernement", avait déclaré dès dimanche le ministre soudanais des Affaires étrangères Ibrahim Ghandour.
De fait, M. Béchir recherché par la CPI pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans le conflit du Darfour, a tranquillement participé au sommet de l'UA et a posé au premier rang de la photo officielle dimanche.
"Je prends ça très au sérieux", a critiqué lundi le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon, qui avait été annoncé au sommet et aurait pu se trouver sur la photo. "L'autorité de la CPI doit être respectée".
La CPI avait demandé dès le 28 mai à l'Afrique du Sud, en tant qu'Etat membre de la Cour, d'arrêter et de lui remettre M. Béchir si celui-ci se rendait sur son territoire.
"C'est embarrassant pour l'Afrique du Sud qui aurait pu éviter cette situation tout simplement en ne l'autorisant pas à venir", a commenté Jakkie Cilliers, directeur général de l'Institut des Etudes de Sécurité (ISS, Pretoria). "Sa présence a détourné l'attention des vrais problèmes du continent".
"Mon impression est qu'en le laissant venir, ils (les dirigeants sud-africains) voulaient démontrer au reste du monde qu'ils partagent le point de vue de l'Afrique sur la CPI", a-t-il ajouté.
- 'Un test pour l'Afrique du Sud' -
Depuis plusieurs années, la CPI est la cible d'une virulente campagne des chefs d'Etats africains qui l'accusent de racisme et de ne s'en prendre qu'à des dirigeants du continent.
En dépit des poursuites engagées contre lui par la CPI en 2009 et 2010 dans le cadre du conflit de la province soudanaise du Darfour, le président Béchir s'est déjà rendu depuis dans des Etats parties à la CPI tels que le Tchad, le Kenya et le Nigeria, sans jamais être inquiété.
La CPI a été créée en 2002 à La Haye pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre qui n'ont jamais été poursuivis dans leur propre pays.
Ses résultats sont inégaux - seules deux condamnations ont été prononcées à ce jour -, mais c'est surtout sa polarisation sur l'Afrique - les huit pays pour lesquels elle a ouvert des enquêtes sont tous africains - qui suscite les plus fortes critiques.
Le gouvernement sud-africain n'a fait aucun commentaire sur cette affaire, qui fait pourtant les gros titres des médias sud-africains depuis dimanche.
"Si l'Afrique du Sud n'obtempère pas", avait commenté dimanche à Johannesburg l'avocat spécialiste des droits de l'Homme Gabriel Shumba, "elle se met dans le même panier que les régimes africains qui n'ont aucun respect pour les droits de l'Homme. En réalité, c'est un test pour l'Afrique du Sud".
Le président soudanais, 71 ans, au pouvoir depuis un coup d'Etat en 1989 et réélu en avril sans opposition avec 94% des voix pour un nouveau mandat de cinq ans, a depuis 2009 considérablement limité ses déplacements à l'étranger, privilégiant les pays n'ayant pas rejoint la CPI.