"J'étais bourgmestre de ma population, toutes religions et ethnies confondues, et me reprocher D'avoir tué des tutsis à Kibuye est une injure", a-t-il ajouté.
Depuis jeudi dernier, Bagilishema a entamé de témoigner dans son propre procès et ses dépositions devraient durer jusqu'à vendredi prochain. Il est poursuivi pour des massacres de Tutsis dans quatre communes de la préfecture de Kibuye, et il a plaidé non coupable de toutes les charges retenues contre lui Bagilishema a notamment expliqué qu'avec le déclenchement de la guerre par la rébellion tutsie (le front patriotique rwandais-FPR) , un climat D'insécurité a envahi le pays et que les hutus et les tutsis ont commencé a se méfier les uns des autres. Bagilishema a dit qu'à un moment donné, beaucoup de jeunes tutsis de Mabanza avaient gagné les rangs du FPR qui combattait l'armée rwandaise (à dominante hutue). "Quand il y avait des jeunes hutus qui se faisaient tuer ou blesser au champ de bataille, cela pouvait provoquer des représailles sur la population tutsie. Les hutus estimaient que les tutsis étaient des ennemis car ils avaient envoyé leurs enfants rejoindre les rangs du FPR.
"J'ai organisé plusieurs réunions de la population pour expliquer que l'ennemi n'était pas le voisin mais celui qui avait attaqué le pays à partir de l'extérieur, et je suis parvenu à décourager toutes tentatives de déstabilisation basée sur les ethnies ", a plaidé Bagilishema. "A Mabanza", a-t-il dit, "contrairement aux autres communes, on est parvenu à éviter un embrasement général en arrêtant les malfaiteurs et en les traduisant en justice".
Catastrophe
Bagilishema a dit aux juges que quand l'avion du président Habyarimana a été abattu le 6 avril 1994, ce fut une catastrophe pour le pays. "La population était consternée et on se demandait ce qu'allait devenir le pays", a-t-il ajouté. Il a dit que les tutsis qui ont pris peur ont commencé à affluer au bureau communal de Mabanza le 9 avril avec leur bétail, pour chercher refuge, et qu'il a tout fait pour les accueillir, les héberger, les nourrir et les protéger. Bagilishema a aussi dit aux juges que, sans succès, il n'a cessé de recourir aux autorités préfectorales pour demander assistance matérielle et protection pour ces fugitifs, D'autant plus qu'il y avait menace D'attaques de la part des montagnards Abakiga venant des régions du Nord. Il a affirmé avoir reçu sept gendarmes le 9 avril, qui s'ajoutaient aux six policiers qu'avait la commune. "Ils étaient trop peu nombreux pour protéger la population et contenir des attaques éventuelles dans les 14 secteurs de la commune Mabanza", a-t-il dit.
Bagilishema a affirmé avoir dit au préfet son intention de "lui remettre les clés de la commune" quand, dans la nuit du 12 au 13 avril, au lieu D'envoyer les renforts qu'il avait demandés, on lui a envoyé une centaine D'autres rescapés de l'attaque meurtrière que les assaillants Abakiga venaient de mener à Rutsiro.
Panique
"Malheureusement", a expliqué Bagilishema, "tôt le matin, J'ai reçu un coup de téléphone du bourgmestre de Rutsiro, m'informant que les assaillants étaient en route vers Mabanza". "J'ai perdu la tête et je ne savais que faire", a dit Bagilishema, avant D'ajouter qu'il est tout de suite allé voir les fugitifs à la commune pour leur conseiller de prendre la fuite vers le sud, donc en direction de Kibuye, où les autorités avaient plus de moyens pour les protéger. Bagilishema a dit par ailleurs qu'il leur a confié deux policiers pour les accompagner, et qu'il a immédiatement informé les autorités préfectorales de ce déplacement afin qu'elles viennent relayer ses policiers au moins à mi-chemin. "Je le soutiens et je le soutiendrai, c'était la seule solution que J'avais pour assurer leur survie", a dit Bagilishema aux juges. "J'ai un fort regret que tout le monde n'a pas été sauvé, mais au moins pendant les quatre jours qui ont suivi, il y en a qui ont pu trouver refuge dans des familles le long du lac et D'autres qui sont allés à Cyangugu et au Zaire" , a-t-il fait valoir. "S'ils ne s'étaient pas déplacés, ils seraient tous morts à Mabanza", a affirmé Bagilishema avant D'ajouter que "si J'avais quelque chose contre les tutsis, je les aurais gardés à la commune". Bagilishema a dit aux juges qu'il n'avait appris que deux jours après ce qui était arrivé aux tutsis qui s'étaient rendus à Kibuye. De même, selon lui, le préfet Kayishema ne s'était jamais rendu à la commune Mabanza entre le 7 avril et le déplacement des fugitifs vers Kibuye, le 13 avril, contrairement à ce qu'avaient affirmé certains témoins cités par l'accusation. Bagilishema a fait valoir que la majorité des témoins cités par l'accusation sont des membres de l'association de délation "Ibuka", et qu'ils ont voulu le salir en affirmant notamment qu'il avait pris part aux massacres de Kibuye. "Ils ne veulent pas que je rentre au pays car ils ont occupé mes biens, ma maison, mon bois, mes bananeraies ..."a-t-il dit.
Bagilishema a reconnu devant les juges qu'une vingtaine de personnes étaient massacrées par les assaillants Abakiga entre le 13 et le 14 avril dans la commune de Mabanza et qu'il avait ordonné qu'on les enterre dans une fosse commune sur un terrain appartenant à la commune. "J'étais dépassé, traumatisé, et je n'ai même pas eu le courage D'aller identifier ces personnes là", a-t-il dit. "J'ai senti l'impuissance, l'humiliation, je n'avais pas D'autorité, je n'étais rien devant ma population, c'était dur", a conclu Bagilishema.
Le procès Bagilishema a commencé le 27 octobre dernier devant la première chambre de première instance du TPIR présidée par le juge Erik Mose (Norvège) et comprenant les juges Asoka de Zoysa Gunawardena (Sri Lanka), et Mehmet Guney (Turquie).
CR/MBR/FH (BS%0605A)