Cet expert a expliqué qu’à un moment donné pendant le génocide, ce qui était mentionné sur la carte d’identité ne valait plus car il était connu que beaucoup de gens avaient changé leur ethnie dans la préfecture de Kibuye.
André Guichaoua, 51 ans, a effectué de nombreuses missions au Rwanda pour le compte de différentes organisations et institutions. Il était présent au Rwanda début avril 1994, au moment où s’est déclenché le génocide, qui en trois mois a emporté près d’un million de vies humaines. En décembre 1988, Guichaoua a rédigé, pour le compte de la Coopération suisse qui finançait des projets de développement dans la région de Kibuye, un rapport critique sur "le développement communal et l’expérience sur la préfecture de Kibuye". "Ce rapport a été mal apprécié par les autorités rwandaises car je mettais en garde notamment contre le renforcement des prérogatives des bourgmestres et les conséquences qui s’en suivraient", a dit Guichaoua.
Evoquant le rôle du bourgmestre au Rwanda en général, Guichaoua a dit aux juges, qu'au Rwanda, le maire est à la fois "fonctionnaire et responsable politique". "Le bourgmestre doit être une personnalité fiable, car il doit assurer la mise en application d’une politique centrale", a dit le témoin, avant de préciser qu’il était élu du temps de la première république, et nommé par le président de la république dès l’avènement du régime du président Habyarimana.
"Bagilishema s’est maintenu à son poste pendant 14 ans parce que, certains bourgmestres, bien que dépendant officiellement du ministère de l’intérieur, relevaient en fait d’autres réseaux ou d’autres structures particulières", a affirmé Guichaoua.
"Bagilishema n’a jamais été considéré comme un homme de paille, et la commune de Mabanza a été considérée comme ayant un bourgmestre fort et soutenu", a-t-il dit.
"Il était capable de maintenir l’ordre s’il l’avait voulu car il était en mesure d’exercer une certaine emprise sur les forces du mal qui ont commis des crimes dans sa commune", a poursuivi le témoin.
"Tous ceux qui avaient des responsabilités politiques pendant le génocide et qui n’ont pas jugé nécessaire de se démarquer de leurs fonctions l’ont cautionné", a-t-il affirmé.
Au cours du contre-interrogatoire, le témoin a reconnu n’avoir jamais mené de travail de terrain à Mabanza, de même qu’il n’a jamais rencontré le maire Bagilishema.
Il a par ailleurs déclaré ne pas avoir de données précises sur des incidents éventuels qui se seraient produits à Mabanza entre 1992 et début 1994, alors qu’en début de déposition, il avait dit, en globalisant, que les autorités de la région n’avaient pas pu maintenir la paix au cours de cette période. Aussi le témoin n’a-t-il pas pu définir, devant les juges, le rôle politique joué par Bagilishema pendant le génocide et les raisons de sa longévité à la tête de sa commune. "Sa longévité peut être due au réseau particulier auquel il aurait pu appartenir, comme elle peut venir de son efficacité au travail, mais les deux ne sont pas dissociés", s’est-il contenté de dire en ajoutant que "devenir bourgmestre ne pouvait pas tomber du ciel".
Ignace Bagilishema était maire de Mabanza dans la préfecture de Kibuye (ouest du Rwanda) lors du génocide rwandais en 1994. Il est poursuivi notamment pour génocide, complicité en vue de commettre le génocide, incitation au génocide, divers crimes contre l’humanité, et des crimes de guerre. Son procès a commencé le 27 septembre 1999, devant les juges de la première chambre de première instance du TPIR présidée par le norvégien Erik Mose et comprenant les juges Asoka de Zoysa Gunawardana (Sri Lanka), et Mehmet Guney (Turquie).
CR/PHD/FH (BS%0214)