En Jeep tout-terrain, il faut quatre heures pour rejoindre la localité de Nkongolo Moshi depuis Kananga, capitale de la province du Kasaï Central, pourtant éloignée de seulement 50 kilomètres. Nous voici arrivés dans ce village de cases et de maisonnettes. Les rares habitations dotés de tôles sont soit celles des dignitaires de la contrée, soit des églises. Nkongolo Moshi est plus exactement un groupement de près de dix villages, situé le long de la route nationale 1 qui relie Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), à la province du Katanga, en passant entre autres par Kananga et Mbuji Mayi. La principale activité de la population du coin est l’agriculture. Quand ce ne sont plus des élèves, les jeunes de Nkongolo Moshi sont transporteurs à vélo ou chauffeurs de taxi-motos. L’église catholique et des églises du Réveil sont visibles au centre de l’agglomération. Chaque jeudi, il y a marché.
Les délégations du tribunal militaire de Kananga et des organisations qui financent les travaux de ce dernier sont arrivées mardi 9 mars. Le procès d’un certain Nsumbu doit s’ouvrir ici le lendemain devant cette cour qui siège en chambre foraine. Une approche « pédagogique et dissuasive », selon un membre du tribunal, qui vise à prévenir d’autres actes criminels dans les localités concernées. Une approche qui permet aussi de faciliter la comparution des victimes. Le choix de Nkongolo Moshi a été dicté par ces questions d’accessibilité et de sécurité, selon différentes parties impliquées dans l’organisation du procès.
Pour ce mercredi hors normes, les autorités locales ont suspendu les activités champêtres, afin de permettre à la population d’assister au procès. Quatre ans après les graves violences qui ont ensanglanté le Kasaï, l’événement est inédit. Il est le premier procès pour crimes de guerre à se tenir dans la région.
Un « seigneur de guerre » qui crie au complot
Plusieurs reports ont dû être concédés ces derniers mois, notamment pour des « exigences procédurales » des bailleurs de fonds, selon l’explication d’un représentant du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Le PNUD assure la logistique de cette « chambre foraine », ainsi que la prise en charge du tribunal, du prévenu et de ses deux avocats. Tandis que l’ONG suisse TRIAL International assiste les victimes et leurs quatre avocats.
Mais ce 10 mars, à midi pile, le procès s’ouvre enfin. Voici celui que les victimes appellent « seigneur de guerre ». 44 ans, teint clair, de petite taille, marié et père de dix enfants, Nsumbu Katende Laurent paraît serein, malgré les menottes et la garde qui l’encadre de cinq militaires bien armés. Il déclare avoir suivi les quatre premières années de l’école primaire, et être chef du groupement de Katende Bakua Buisha depuis 2004.
Nsumbu est en prison depuis janvier 2018. Les chefs d’inculpation dressés contre lui sont au nombre de quatre : crimes de guerre, terrorisme, mouvement insurrectionnel et association de malfaiteurs. Les faits ont eu lieu entre le 20 et le 27 février 2017, durant le conflit armé dit ‘’Kamwina Nsapu’’, du nom d’une famille royale qui a aussi donné son nom à une rébellion qui a secoué la région du Kasaï entre 2016 et 2017. Meurtres, décapitations, pillages, maisons incendiées et autres actes inhumains : Nsumbu fait face à 232 victimes, dont 35 dites « prioritaires », c’est-à-dire ayant directement assisté aux faits allégués, parmi lesquelles dix femmes et cinq jeunes.
Pour le prévenu, qui rejette toutes ces accusations, il s’agit d’un complot contre sa personne. « Lorsque nous avons appris que les miliciens arrivaient, nous avons tous fui dans la forêt. Celui qui conduisait des éléments de Kamwina Nsapu s’appelle Mulamba Langue », déclare-t-il d’un ton ferme. Ses avocats en profitent pour solliciter la comparution du précité - demande vite rejetée par le tribunal qui constate que c’est la première fois que Nsumbu mentionne ce nom.
Meurtre à la machette
Kande Kabue est le premier des victimes prioritaires à s’avancer. Il est le fils biologique du chef de groupement Sha Tshikumba, dont Nsumbu est accusé du meurtre. « C’était un mercredi 20 février 2017, nous avons vu Nsumbu venir avec sa bande, sollicitant l’installation d’un foyer initiatique [lieu d’initiations] dans notre gouvernement. Mon père a refusé. Quelques instants après, Nsumbu a donné l’ordre qu’on tue mon père. Ses éléments l’ont amené chez Nsumbu et l’ont tué à coups de machette. Ils lui ont d’abord coupé l’organe génital sous ma barbe. Impuissant à réagir, j’ai été tabassé à coups de machettes. Voici mes cicatrices. Ils ont enterré mon père devant la parcelle de Nsumbu. Ils ont incendié près de 250 maisons et ont pillé tous les bétails de notre groupement, sous les ordres de Nsumbu. »
Sur le point de fondre en larmes, le jeune Kande, dans la trentaine, indique qu’il ne veut jamais voir Nsumbu libre.
Ce premier jour de procès, huit victimes prioritaires sur 35 défilent à la barre. Toutes chargent l’accusé d’avoir commis des crimes qualifiés d’internationaux dans les localités de Lusala, Lungole, Tshilombo, Tshingana et Sha Tshikumba. Des accusations que le prévenu balaye. Au deuxième jour, une vingtaine d’autres victimes empilent les accusations. « C’est un complot », maintient Nsumbu, qui ne présente aucun témoin pour sa défense.
Peine de mort requise
Le tribunal est dans une course contre la montre. Il doit clore ce procès le 16 mars. Il termine les auditions des victimes prioritaires et s’attaque à la comparution de 200 victimes représentées par des procès-verbaux. Puis, samedi, il écoute déjà les plaidoiries des parties.
L’audience se déroule devant la cure, le couvent des prêtres catholiques, qui est en chantier. Seuls les membres du siège occupent la petite véranda. Les avocats ainsi que des dizaines d’habitants venus ovationner le procès sont tous sous les bâches. A 10 heures, le président du tribunal militaire annonce la reprise des débats. « Nous sollicitons la réparation des préjudices subis et la condamnation du prévenu selon la loi », plaident les avocats des 232 victimes. L'un d’entre eux évoque la défaillance de l'État congolais à sécuriser et protéger la population. Il sollicite également sa condamnation. Le procureur, lui, requiert la condamnation de Nsumbu, comme auteur ou coauteur des crimes. Il demande la peine de mort. (La peine de mort n’a plus été appliquée en RDC depuis 2003, qui compte cependant environ 500 condamnés à mort dans ses prisons.) La défense demande l’acquittement pour faute de preuves. Le tribunal a deux jours pour délibérer. Sauf imprévu, il rendra son verdict comme annoncé, le 16 mars.