En présence du procureur et de l'accusé, qui peut être assisté d'un avocat, le juge examine notamment la consistance des preuves contre l'accusé et le respect des procédures d'arrestation et de détention préventive.
Le procureur général près la Cour de cassation, Emmanuel Rukangira, a déclaré qu'Agnès Ntamabyaliro est poursuivie pour planification du génocide et des crimes contre l'humanité, commis au Rwanda en 1993 et en 1994, et pour incitation de la population, dans des meetings publics, à commettre ces crimes.
"Plus particulièrement, Agnès Ntamabyaliro, en tant que leader du Parti Libéral (PL) tendance power, avec Justin Mugenzi, a eu la plus grande part dans les massacres de Kibuye, notamment au stade Gatwaro", a affirmé M.Rukangira. Justin Mugenzi, ancien ministre du commerce et de l'industrie, est actuellement incarcéré au centre de détention du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).
Agnès Ntamabyaliro plaide non coupable de tous les crimes dont elle est accusée. De source bien informée, elle n'a pas commis d'avocat pour sa défense jusqu'à présent.
La nouvelle a surpris beaucoup de monde à Kigali car personne ne savait officiellement que l'ancien ministre de la justice était détenue au Rwanda. Les avocats, les responsables des organisations des survivants du génocide et des ONG de défense des droits de l'Homme, notamment, joints par téléphone, ont été pris au dépourvu par la nouvelle.
De source officielle, on indique qu'Agnès Ntamabyaliro a été arrêtée en 1997, lors du rapatriement massif des réfugiés rwandais en provenance de l'ex-Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo (RDC). Pourtant, selon Amnesty International, Agnès Ntamabyaliro aurait été enlevée de son domicile d'exil dans la ville de Mufulira, au nord de la Zambie.
D'après les informations recueillies et rapportées par l'organisation de défense des droits de l'Homme, basée à Londres, le matin du 27 mai 1997, trois hommes se sont rendus chez Agnès Ntamabyaliro dans une voiture portant une plaque d'immatriculation du gouvernement zambien, et lui ont demandé de les accompagner dans les locaux du service d'immigration zambien. Deux de ces hommes portaient des uniformes de ce service.
Agnès Ntamabyaliro aurait suggéré qu'elle pouvait s'y rendre par ses propres moyens, en utilisant les transports en commun, mais les trois hommes auraient fermement insisté pour qu'elle les accompagne dans leur véhicule. Au retour de son mari à l'heure du déjeuner, elle n'était toujours pas rentrée. Il aurait signalé la "disparition" de son épouse le jour même au service d'immigration. L'agent responsable aurait affirmé qu'il n'était nullement au courant de cette affaire et qu'à sa connaissance, son service n'avait donné aucune instruction pour qu'Agnès Ntamabyaliro se présente à ses bureaux.
Dans les milieux des réfugiés rwandais se trouvant en Zambie, on aurait tout de suite soupçonné des agents du gouvernement rwandais d'avoir enlevé Agnès Ntamabyaliro, qui aurait d'abord été placée en détention par l'armée rwandaise à Lubumbashi, en RDC, avant d'être emmenée par avion à Kigali. Mufulira se trouve à environ 18 kilomètres de la frontière qui sépare la Zambie de la RDC. A l'époque, l'armée rwandaise était stationnée dans ce pays, où elle venait de défaire le régime du maréchal Mobutu et d'installer Laurent-Désiré Kabila au pouvoir.
Depuis, les autorités rwandaises n'avaient jamais parlé de "l'arrestation" de l'ancien ministre de la justice. Toutefois, le procureur-adjoint du TPIR, Bernard Mouna, basé à Kigali, savait où elle se trouvait, disait-il laconiquement en public.
Originaire de la commune Mabanza (préfecture de Kibuye, à l'ouest du Rwanda), Agnès Ntamabyaliro est aujourd'hui âgée de 52 ans, mère de cinq enfants et tutrice de deux autres. Membre du Parti Libéral dont elle était membre du Comité exécutif, elle a occupé, dans le gouvernement de l'ancien président Juvénal Habyarimana, les fonctions de ministre de la justice, du commerce et de l'industrie, puis à nouveau de la justice. Elle avait été réinstallée dans ce dernier poste lors de la mise en place en avril 1994, du gouvernement intérimaire de Jean Kambanda, sous lequel, entre avril et juillet 1994, le génocide a été commis.
En sa qualité de ministre au moment des faits qui lui sont reprochés, et jouissant par conséquent du privilège de juridiction, Agnès Ntamabyaliro doit être jugée, au premier niveau, par la Cour de Cassation et non par une Chambre spécialisée d'un Tribunal de première instance. En cas d'appel, elle serait jugée par la Cour suprême, toutes les sections réunies sous la direction même du président de la Cour suprême. Son procès proprement dit pourrait commencer au début de l'année prochaine, mais aucune date n'a été rendue publique.
Agnès Ntamabyaliro est le numéro 119 de la première liste des "génocidaires" de la première catégorie publiée par l'ancien procureur général près la Cour suprême, Siméon Rwagasore, devenu président de la Cour Suprême depuis juillet dernier, dans le Journal officiel de la République rwandaise du 30 novembre 1996. Cette liste a été remise à jour en juillet dernier. Au moins 800 noms y ont été supprimés et environ 900 nouveaux autres y ont été ajoutés. Toutefois, cette liste revue n'a jamais été rendue publique. Les "génocidaires" de la première catégorie sont condamnés, au terme de la loi organique sur l'organisation des poursuites des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité, à la peine de mort et à la dégradation civique perpétuelle et totale.
Agnès Ntamabyaliro est le premier membre de l'ancien gouvernement intérimaire à être détenu au Rwanda et traduit devant la justice rwandaise.
WK/PHD/FH (RW&1210A)