Mgr Misago est accusé de génocide et de crimes contre l'humanité, notamment de non-assistance à personnes en danger de mort, alors qu'il en avait les pouvoirs et les moyens en 1994. Plus particulièrement, le parquet l'accuse de la mort d'une trentaine d'enfants qui ont été massacrés dans les paroisses de Kibeho et de Kaduha, ainsi que de la mort des prêtres Joseph Niyomugabo, curé de la paroisse de Cyanika, Irénée Nyamwasa, Canisius Murinzi et Aloys Musoni, les trois derniers lors de leur séjour dans les locaux de l'évêché à Gikongoro.
L'acte d'accusation, rédigé en kinyarwanda, la langue nationale rwandaise, contient pas moins de 300 pages. Mais pour l'avocat de Mgr Misago, Me Alfred Pognon, ancien bâtonnier du Bénin, "le kinyarwanda est très abondant comme langue. 300 pages en kinyarwanda, c'est peut-être 100 ou 75 pages en français ou en anglais; ce n'est donc pas un acte d'accusation impressionnant".
Responsabilité d'omission selon l'accusation
Se prononçant sur le contenu de cet acte d'accusation, Me Pognon a indiqué que la répression du crime de génocide décline quatre séries de prévention qui font que "quand on a affaire à une personnalité du poids de Mgr Misago, automatiquement, on estime qu'étant donné qu'il est une personnalité, il a un pouvoir d'empêcher les choses, même si on ne l'accuse pas d'avoir fait quelque chose". "Il y a comme une espèce de responsabilité d'omission qui joue. C'est ça le problème que nous observons" a relevé le défenseur..
Me Pognon a ajouté qu'il n'avait pas encore lu l'entièreté du dossier, étant donné "la proximité de (ma) constitution" en faveur de Mgr Misago, mais qu'il avait eu "le redoutable avantage" d'être là quand il a été arrêté. Selon les termes de l'avocat béninois, "une arrestation qui intervient cinq ans après les événements que nous déplorons me paraît une arrestation un peu tenue par des considérations autres que celles d'une culpabilité effectivement établie. Des confrères ont lu le dossier et ils m'ont dit que c'est la rumeur, que le dossier ne contient pas de faits précis imputables à Mgr Misago.
"Je le crois sans peine étant entendu que j'ai eu ici au Rwanda à m'occuper de dossiers et j'ai compris que le traumatisme subi par le peuple rwandais et l'angoisse des temps passés qui se prolonge dans l'avenir font qu'il y a comme le souci d'une conjuration du mal à travers toutes les personnes que l'on croit coupables de ne pas avoir fait quelque chose" a poursuivi le défenseur de l'évêque. "Il faut très peu de choses pour que de telles personnes soient suspectées si elles se trouvent en position de faire quelque chose, alors même que les circonstances de la violence déchaînée étaient telles qu'on ne sait pas qui peut faire quoi. Il n'y a que Dieu pour descendre désarmer les bras aussi violemment déterminés à en découdre avec les amis, les frères et les cousins" a-t-il ajouté.
"Ce n'est qu'avec beaucoup de patience, beaucoup de retenue et avec beaucoup d'humilité que nous abordons ce dossier et que le peuple rwandais doit aborder ce dossier, car en définitive, ce qu'il faut c'est la paix. Et pour que la paix revienne il faut que la justice soit la punition du coupable, et non la punition tout court, et non la vengeance. Car la vengeance engendre la vengeance" relève encore le même défenseur.
Demande de report et de mise en liberté
"Ce que nous avons demandé", explique Me Pognon, "ce n'est que le report du procès, ainsi que la liberté provisoire de Mgr Misago qui depuis le 20 juin est détenu arbitrairement, au terme de la loi. J'ai l'avantage d'avoir observé que les textes sont abondants et que les juges tiennent, et c'est tout à l'honneur du Rwanda, à observer ces textes. C'est avec beaucoup de plaisir que je plaide ici dans la mesure où j'ai vu le souci des juges de ne pas sauter le pas de la vengeance et de rendre une justice qui soit vraiment une justice facteur de paix. Alors j'ai confiance en observant qu'ils ne peuvent pas accepter que comparaisse devant eux un homme illégalement détenu" a-t-il souligné.
"J'ai confiance qu'au delà du report du dossier, pour que nous puissions nous imprégner les uns et les autres de son contenu, ils feront comparaître devant eux un homme libre, poursuivi d'accord, mais libre, d'autant plus aisément que Mgr Misago présente toutes les garanties de représentation et qu'ils ont à leur disposition tout un arsenal de mesures qu'ils peuvent prescrire pour que Mgr Misago soit à la disposition de la justice. Ce qui nous importe donc, c'est la liberté provisoire, surtout parce que la détention de Mgr Misago ne se justifie pas. Il doit être libre purement et simplement. Même l'invocation des garanties de représentation est superflue, puisqu'aucune prolongation de détention n'a été demandée depuis que sa détention préventive de deux mois a expirée le 20 juin".
Foule absente pour l'ouverture
Le premier jour du procès n'a pas vraiment drainé les foules. Apparemment parce que l'information n'a pas été largement diffusée dans le public. De nombreuses personnes présentes au tribunal disaient qu'elles l'avaient appris la tenue du procès que peu auparavant. Malgré cela, la petite salle d'audience n°1 du tribunal de Nyamirambo, le plus important quartier populaire de Kigali, était pleine à craquer. Dans l'auditoire se trouvaient notamment le primat de l'église catholique du Rwanda, Mgr Thaddée Ntihinyurwa (archevêque de Kigali), l'évêque de Kabgayi (au centre du pays), Mgr Anastase Mutabazi, des prêtres et des religieuses.
"Puisque Mgr Misago a participé au génocide et l'a dirigé, et parce qu'il n'a pas porté secours aux victimes, nous attendons tous de la justice qu'elle le déclare coupable ou innocent. Il y a des rescapés qui affirment qu'ils l'ont vu et qu'ils lui ont même échappé dans le génocide", a déclaré un ressortissant de Gikongoro rencontré au tribunal. Et une autre dame d'ajouter : "Il faut qu'il soit jugé, que la vérité soit connue et que justice soit rendue à ses victimes". Enfin, un autre spectateur a estimé que parce qu'il s'agit d'une personnalité, "il faudrait qu'il soit pendu publiquement, au stade, comme les Karamira et autres il y a un an".
Aucune mesure de sécurité particulière n'était visible. Mgr Misago s'est présenté devant les juges dans la tenue rose, chemise et short, des détenus rwandais. Le seul signe distinctif de religieux était un gros crucifix pendus sur sa poitrine par une chaîne. Il est assisté par trois avocats, deux Rwandais et un Béninois, tous constitués par lui. Avocat Sans Frontières a aidé la défense en lui procurant un interprète.
Mgr Misago a été arrêté le 14 avril dernier au lieu dit Gitikinyoni, à un barrage militaire à l'entrée de Kigali alors qu'il se rendait à une réunion des évêques catholiques du Rwanda. Le procès reprendra mercredi prochain 25 août.
WK/PHD/FH (RW&0820A)