Elle a indiqué qu'elle resterait techniquement en place jusqu'à la mi-septembre. Elle ira ensuite rejoindre la Cour suprême du Canada.
Parmi les autorités rwandaises, elle a rencontré le ministre de la justice, Jean de Dieu Mucyo, le ministre des affaires étrangères et de la coopération régionale, Augustin Iyamuremye, le président de la Cour suprême, Siméon Rwagasore, le premier ministre, Pierre-Célestin Rwigema, et le vice-président de la république et ministre de la défense, le général Paul Kagame.
Relations améliorées
A l'issue de ces entretiens, madame Arbour a constaté "une amélioration remarquable dans les relations entre les autorités rwandaises et le TPIR, et en particulier avec le bureau du procureur". "Je pense qu'il y a une reconnaissance des progrès qui ont été accomplis dans les trois dernières années et une compréhension des directions à venir" a-t-elle ajouté.
Louise Arbour a fait le bilan "des activités importantes" menées au cours des trois ans qu'elle vient de faire comme procureur du TPIR.
Stratégies d'enquête appropriées
"Lors de mon arrivée au TPIR en automne 96, il y avait, et ça a été reconnu par la suite, des malaises administratifs importants et une situation qui rendait le fonctionnement du Tribunal très problématique. Il fallait, au niveau du bureau du procureur, une relève et en particulier une redéfinition des stratégies d'enquête et de poursuites mieux appropriée pour produire des résultats dans un avenir qui était acceptable, non seulement par l'opinion internationale, mais en particulier par la population du Rwanda", a-t-elle indiqué.
Louise Arbour a précisé que la phase suivante a été de déterminer quels étaient les principaux responsables du génocide et de "développer nos enquêtes de façon appropriée en les reliant immédiatement à des cibles, des personnes qui nous seraient accessibles". Elle a ajouté : " De la même façon, nous avons pris la décision de bien cibler également nos enquêtes sur l'existence d'un complot ; ce qui a été reflété par la suite dans les accusations que nous avons portées dans tous les cas liant les individus entre eux, et ce que nous alléguons a été un complot criminel, une entreprise criminelle pour commettre le génocide".
Le procureur du TPIR a déclaré que les résultats ont été immédiats, en particulier l'opération NAKI en été 1997, qui a été suivie d'une autre opération en Afrique de l'ouest au printemps suivant. "Ces opérations, a-t-elle expliqué, nous ont permis des arrestations importantes. Et pendant cette période, on a continué à développer cette théorie d'enquêtes axées fondamentalement sur le complot et sur la responsabilité au plus haut niveau du gouvernement, de l'armée, des milices et de toute la structure politique qui avait soutenu ce complot pour commettre le génocide".
Louise Arbour a souligné une jurisprudence importante qui a commencé à s'élaborer "dans l'histoire du Tribunal au cours des trois dernières années, dans l'affaire Akayesu". Elle a particulièrement tenu à mettre en exergue "l'événement le plus marquant dans la justice internationale, dans la vie des deux tribunaux au sein desquels elle agit comme procureur, à savoir le plaidoyer de culpabilité et les aveux de l'ancien premier ministre du gouvernement intérimaire du Rwanda, Jean Kambanda. C'est un jalon très important, non seulement pour les Rwandais, mais également dans l'histoire de la justice pénale internationale".
Pour ce qu'elle entrevoit pour l'avenir, Louise Arbour est "convaincue que l'année à venir est une année où les succès du TPIR seront probablement remarquables". Elle pense que "tout est bien en place maintenant pour qu'on puisse anticiper de façon très positive les développements à venir".
Le procureur du TPIR et du TPIY a indiqué que les différentes chambres allaient entendre la semaine prochaine des requêtes pour amender certains actes d'accusation pour regrouper certains individus et que "l'on devrait s'attendre à voir à partir du début de l'automne s'élaborer une activité judiciaire accrue et de nombreux procès d'envergure".
Audiences du TPIR au Rwanda ?
Madame Arbour s'est dit convaincue que "l'on doit lancer des initiatives qui vont rendre plus pertinents encore les travaux du Tribunal au Rwanda". A cet effet, a-t-elle expliqué, elle a lancé une idée - et elle en a discuté avec les personnes concernées dans les deux ou trois derniers jours - qu'elle avait ébauchée en juin dernier à Arusha et qu'elle entend poursuivre lors de sa visite lundi et mardi de cette semaine à Arusha, où elle aura une rencontre avec la présidente du Tribunal, la juge sud-africaine Pillay.
"C'est l'idée de rencontrer le défi qui est contenu dans le mandat du Tribunal et qui consiste à préconiser que des procédures judiciaires du TPIR se tiennent au Rwanda. Le Tribunal est dans sa cinquième année d'existence. C'est donc, à mon avis, un défi auquel il doit maintenant commencer à s'adresser". Louise Arbour pense qu'on devra probablement commencer de façon relativement modeste et prudente : il y a toute une infrastructure qui doit être mise en place avant de permettre au TPIR de tenir des audiences, partielles ou complètes, à Kigali, a indiqué le procureur.
A ce sujet, le procureur Louise Arbour a fait savoir qu'elle avait eu des discussions avec les autorités rwandaises pour explorer l'idée de se servir d'une salle d'audience dans l'édifice qui est à la disposition de la Cour suprême (du Rwanda), "une très belle salle d'audience dont le TPIR pourrait occasionnellement très bien s'accommoder si elle était équipée de façon appropriée pour l'interprétation simultanée et les autres exigences qui sont particulières aux travaux de la justice internationale".
Le procureur "espère pouvoir promouvoir cette idée lors de son passage à Arusha et inviter les autorités du TPIR, le greffe et bien sûr les chambres à se pencher sur cette possibilité d'envisager à plus ou moins court terme que des audiences soient tenues à Kigali". Madame Arbour a ajouté qu'elle avait invité les représentants de la communauté internationale à "considérer peut-être à contribuer à équiper cette salle d'audience qui servirait non seulement de salle d'audience de façon occasionnelle au TPIR mais bien sûr de salle permanente pour les audiences de la Cour suprême du Rwanda". De l'avis du procureur du TPIR, c'est une initiative "qui pourrait concrétiser les liens qui devront s'accroître dans l'avenir entre la justice rwandaise et la justice internationale qui se penche sur les crimes contre l'humanité et le génocide commis au Rwanda en 1994".
Madame Arbour a mis l'accent sur le fait qu'on "ne devrait pas s'attendre dans un avenir rapproché à ce que les procès, tous les procès, ou même des procès complets, du TPIR puissent être tenus à Kigali. Peut-être qu'à plus long terme c'est envisageable".
Ce qu'elle propose, "c'est quelque chose au début qui devrait être beaucoup plus modeste. Par exemple, il serait peut-être possible d'envisager que des audiences du TPIR aient lieu à Kigali pour recueillir quelques dépositions de certains témoins", a-t-elle indiqué. Le procureur pense "qu'il est très prématuré, sans avoir fait l'expérience sur une base un peu plus modeste, de préconiser la tenue de procès complets à Kigali, avec toute l'infrastructure administrative qui est nécessaire, par exemple sur la question de la détention de l'accusé et de sa sécurité, des services de traduction, des services de sténographie..." Et il n'est bien sûr pas question d'un déménagement complet des services judiciaires d'Arusha à Kigali, a précisé Louise Arbour.
Présence accrue au RWANDA, Le procureur du TPIR a expliqué que ce qu'elle préconise est "une visibilité accrue du Tribunal d'Arusha par des sessions périodiques à Kigali, où certains témoignages ou dépositions pourraient être recueillis par les juges du tribunal international qui se déplaceraient vers Kigali pour entendre quelques témoins". Et dans un cas comme celui-là, il serait possible, même si cela ne relève pas de ses services, d'envisager la participation de l'accusé par vidéoconférence, a indiqué Madame Arbour.
Pour elle, ce qui est important, c'est de "commencer au moins à accroître la présence du TPIR au Rwanda". Mais il faut y aller petit à petit, pour s'assurer que tout se déroule bien et qu'on crée un climat de sérénité et de confiance, dans lequel le Tribunal pourra, peut-être dans un avenir plus éloigné, envisager de tenir des procès d'envergure complets à Kigali, a-t-elle souligné.
A une question sur les accusations selon lesquelles le TPIR est un tribunal des vainqueurs, le procureur Arbour a indiqué que "l'expression de tribunal des vainqueurs est ancrée dans les procédures de Nuremberg et de Tokyo. Mais il faut se rappeler dans quel contexte cette réflexion avait été engagée. Le tribunal de Nuremberg n'était pas vraiment un tribunal international, c'était un tribunal multinational, dont la structure elle-même était contrôlée exclusivement par les vainqueurs, par les alliés qui avaient mis sur pied cette structure. Les juges, les procureurs, toute l'organisation du tribunal étaient contrôlés entièrement par les alliés qui avaient gagné la guerre".
"Pas un tribunal des vainqueurs"
Le contexte est différent en ce qui concerne le TPIR. Il ne s'agit pas de toute évidence, a expliqué le procureur, d'un tribunal des vainqueurs. Il s'agit d'un tribunal tout à fait international, créé par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, et dont le personnel vient de 83 pays différents, et dont le mandat est très explicite : enquêter et porter des accusations, s'il y a lieu, sur des infractions graves au droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda pendant toute l'année 1994".
Le procureur du TPIR a souligné, au sujet des poursuites éventuelles contre des membres de l'ancien FPR, qu'il n'y avait aucune base juridique ou autre à partir de laquelle on devrait morceler le travail. Mais, a-t-elle dit, il faut reconnaître la nécessité de procéder d'une façon appropriée au niveau par exemple du déploiement des ressources et d'une stratégie d'enquête.
De l'avis de Louise Arbour, "c'est une stratégie tout à fait appropriée que de s'être concentré, comme on l'a fait dans les dernières années, sur une énorme entreprise criminelle qui s'est manifestée du début d'avril jusqu'à la fin de juillet 1994 par le crime probablement le plus odieux commis depuis la dernière guerre mondiale".
Cependant, le procureur a précisé qu'elle avait "toujours dit qu'il n'y avait aucune exclusion dans le champ d'enquête du Tribunal" et que "en temps et lieu et s'il y a lieu, et de la façon dont on procède, car ce sont des enquêtes qui ne s'étalent pas sur la place publique jusqu'au moment où des accusations sont prêtes à être présentées à un juge pour confirmation, il serait tout à fait approprié de s'interroger sur des participations autres que celles qui sont impliquées directement dans la perpétration du génocide". "Ca ne fait aucun doute dans mon esprit et je ne peux pas imaginer que mon successeur ait une vision profondément différente des choses, puisque c'est le mandat explicite du procureur", a-t-elle conclu.
WK/FH (RW&0808A)