Ces "descentes sur terrain" ont été effectuées par une commission d'enquête ad hoc instituée par la cour lors de l'audience précédente du 11 mai dernier.
La défense a relevé le fait que le parquet militaire n'avait pas entendu de témoins à décharge dans ses investigations, alors que la loi donne mandat au Ministère Public d'entendre les témoins à charge et à décharge. L'avocat des accusés, Me Diabiré, de l'ONG Avocats Sans Frontières, a cependant indiqué comprendre le parquet militaire. "Il est difficile au Ministère Public de remplir les deux missions. Ailleurs, c'est facile dans la mesure où il y a le parquet et un juge d'instruction distincts" a fait remarquer l'avocat.
La défense s'est déclarée particulièrement satisfaite que la cour ait rectifié cette lacune du parquet militaire, en effectuant des descentes sur les lieux des crimes allégués par l'intermédiaire de sa commission.
Témoins à décharge uniquement
Le rapport révèle que la commission n'a interrogé que des témoins à décharge. Onze témoins ont été entendus dans le quartier de Gikondo, commune de Kicukiro (préfecture de la Ville de Kigali), où le major Nyirahakizimana habitait jusqu'en avril 1994, à Nyarugenge (centre-ville de Kigali), dans la prison militaire de Mulindi et la prison civile de Rilima, où se trouvent des détenus militaires ex-FAR qui connaissent le major Nyirahakizimana.
Neuf autres témoins ont été entendus à Shyogwe, commune de Nyamabuye, près de la ville de Gitarama, où le pasteur Ngirinshuti habitait et était directeur d'une école secondaire. En outre c'est à cet endroit que le major Nyirahakizimana avait élu refuge avec sa famille, après sa fuite de Kigali face à l'avancée du FPR dans la capitale.
La plupart de ces témoins ont été cachés ou évacués par le major Nyirahakizimana. Ils ont décrit cet ancien officier, qui travaillait dans le service médical de la gendarmerie des ex-FAR, comme une personne sociable, qui a aidé beaucoup de gens en leur donnant protection, nourriture, soins ou médicaments. Certains la connaissaient bien, d'autres non. Les témoins ont fait comprendre qu'ils n'ont pu voir le major commettre des crimes, étant donné qu'ils étaient cachés. Ils ont toutefois souligné qu'elle était libre de ses mouvements pendant le génocide.
Mme Nyirahakizimana a reconnu que le génocide avait été planifié en haut lieu. "Mais toutes les personnalités importantes de l'époque n'étaient pas nécessairement au courant. Quand c'est arrivé, les miliciens Interahamwe se sont retrouvés au-dessus de tout, jusqu'à s'attaquer et tuer mêmes des gradés de l'armée qui cachaient ou aidaient "les Inyenzi" comme ils appelaient leurs cibles" a-t-elle souligné.
Contradictions après confrontation
De son côté, le pasteur Ngirinshuti a relevé de nombreuses contradictions dans plusieurs témoignages, estimant que les témoins avaient été influencés physiquement et intimidés, d'où leurs contradictions. Les juges ont appelé trois témoins à la barre, pour confrontation avec le pasteur. Pressés de questions qui mettaient à nu leurs contradictions, ils ont indiqué avoir signé leurs dépositions sans les avoir relues, ce qui a fortement surpris le président de la cour, le lieutenant-colonel Jackson Rwahama.
Pour le substitut du Procureur militaire, les nouveaux témoins n'apportent rien de nouveau. "Dire qu'ils ne savent pas si Mme Nyirahakizimana et le religieux ont commis des crimes ne veut pas dire qu'ils ne les ont pas vraiment commis", a-t-il indiqué. Le procureur a déclaré que ces témoignages ne sont pas "sérieux", qu'ils ont de "nombreuses faiblesses" et que la Cour doit leur accorder "la vraie valeur qu'ils ont". L'accusation n'a rien modifié dans sa requête de prononcer la peine de mort contre les accusés.
Selon le défenseur des deux accusés, Me Diabire, les témoins à décharge interrogés par la commission des juges ont ramené les faits allégués à leurs justes proportions. Il a souhaité que ces témoignages donnent une lumière supplémentaire, pour que justice soit faite, à la fois pour les victimes du génocide et pour ceux qui sont accusés de ce crime. "Si la Cour trouve que les inculpés sont coupables, qu'ils soient punis selon la loi. Mais s'il y a le moindre doute, qu'ils soient tout de suite libérés" a conclu l'avocat de la défense.
Cas de viol
Pour l'avocat de la partie civile, Me Jean-Paul Biramvu, du Barreau rwandais, un seul fait nouveau apparaît dans les témoignages supplémentaires: le viol d'une jeune fille tutsie, qui était sous la protection du major Anne-Marie Nyirahakizimana, par l'un de ses soldats gardes du corps, à son domicile de refuge à Shyogwe. L'avocat a souhaité que "la Cour tienne en considération que le viol est puni comme crime de génocide et que le major Nyirahakizimana doit répondre de ce crime puisque son auteur, dont on ignore l'adresse actuelle, était à son service".
Le substitut du Procureur militaire a renchéri à ce sujet: Anne-Marie Nyirahakizimana doit effectivement être punie pour ce viol, puisque la loi prévoit que "si une personne au service de quelqu'un commet un crime, le patron peut en répondre". Il a ajouté un deuxième argument: "le major n'a pas puni l'auteur de ce viol, alors qu'elle en a été au courant".
Le président de la Cour a annoncé que le verdict serait prononcé le 31 mai prochain à 15h00.
WK/PHD/FH (RW&0521A)