Selon le ministère rwandais de la justice, la population carcérale s'élevait, au mois de décembre dernier, à 150'440 personnes, dont au moins 135'000 (soit 89,7%) accusées de génocide.
Le rapport donne la liste de tous les noms des 379 personnes jugées pendant l'année 1997 et des 895 jugées en 1998. L'augmentation "sensible" des procès de 1997 à 1998 (40,5%) s'explique surtout, constate la LIPRODHOR, par le système des procès collectifs dits "groupés" adopté par les tribunaux et par l'adhésion des détenus à la procédure d'aveu et de plaidoyer de culpabilité, procédure qui donne droit à la réduction des peines.
Selon la LIPRODHOR, les tribunaux de Gitarama (centre du pays), Byumba (est), Ruhengeri (nord), Nyamata (sud de Kigali), et Kibungo (sud-est du Rwanda) ont jugé le plus grand nombre des 1274 personnes. La raison est que ces tribunaux ont recouru aux procès groupés. Butare et Kigali occupent les derniers rangs, et, souligne le rapport, le cas de Kigali "est le plus inquiétant dans la mesure où les magistrats de la capitale disposent de plus de moyens par rapport à leurs collègues des "coins perdus". Cette juridiction fait trop de remises des procès non fondées, fait remarquer la LIPRODHOR.
Le manque de moyens de déplacement pour les juges ou les parties civiles handicape aussi souvent le déroulement des procès. La LIPRODHOR salue l'initiative de l'ONG Réseau des citoyens (RCN), qui a offert d'assurer le transport des prévenus ainsi que la prise en charge des magistrats "lors des descentes". Il serait bon de penser aussi aux parties civiles, souhaite-t-elle.
La LIPRODHOR saisit l'occasion pour demander à la communauté internationale d'aider le Rwanda à améliorer son système judiciaire, notamment en allouant des fonds pour le recrutement, la formation et l'encadrement du personnel judiciaire et des défenseurs judiciaires.
Peines prononcées
S'agissant des peines prononcées, 232 des 1274 des personnes jugées jusqu'ici, soit 18,21%, ont été condamnées à mort (dont 22 ont été exécutées en public il y a un an), 409 personnes (32,10%) à l'emprisonnement à perpétuité, 397 personnes (31,16%) à un emprisonnement temporaire variable entre 20 ans et un an, ferme ou avec sursis, et 7 personnes (0,54%) à d'autres peines comme la restitution des biens pillés ou la réparation civile simplement. 229 personnes (17,97%) ont été acquittées.
Le rapport fait remarquer que la peine la plus prononcée est la peine de prison à vie. Cette tendance fait penser que "beaucoup de personnes qui ont été jugées jusqu'ici sont de simples citoyens qui ont participé massivement et activement à l'exécution du génocide sans en être les instigateurs".
Condamnations à mort en diminution
Le rapport ajoute que le taux des condamnations à mort est tombé de 30,8% en 1997 à 12,8% en 1998. Cela est dû, estime la LIPRODHOR, au fait qu'en 1997 les magistrats étaient encore des débutants et "appliquaient systématiquement la peine de mort sans apprécier judicieusement la responsabilité individuelle de chaque accusé". Aujourd'hui, il s'avère que les tribunaux ont tendance à se créer une jurisprudence qui leur donne une plus grande liberté de manoeuvre, de mouvement et d'appréciation, précise le rapport.
La LIPRODHOR constate par ailleurs une sensible augmentation des acquittements qui sont passés de 8,9% en 1997 à 21,7% en 1998. Cela est dû, de l'avis de la Ligue, à l'itinérance pratiquée par les juridictions, aux aveux et à la multiplicité des témoignages contradictoires. Le rapport constate aussi qu'il y a eu augmentation des condamnations avec sursis pendant l'année 1998, surtout à Gitarama (centre du Rwanda).
Les femmes sont de loin les moins nombreuses à être passées devant les juges : 2,04%. Ce grand écart est pratiquement le même au niveau de la population carcérale, dont les femmes représentent 3,6%. Même dans les faits de génocide, leur participation semble avoir été dans les mêmes proportions, souligne le rapport.
Assistance juridique
En ce qui concerne l'assistance juridique, 50% des prévenus ont pu en jouir. 38,2% des 1274 personnes jugées en deux ans, ont été assistées par l'ONG Avocats Sans Frontières (ASF), indique le rapport de la LIPRODHOR. Mais il faut dire qu'il y a des zones qu'ASF n'a pas pu couvrir jusqu'ici, pour des raisons de sécurité principalement. Il s'agit des régions de Kibuye, à l'ouest du pays, Gisenyi, au nord-ouest, et Ruhengeri, au nord. Mais "même le Barreau rwandais ne parvient pas à couvrir tout le territoire national", relève le rapport. Pour les parties civiles, la LIPRODHOR note qu'elles ne parviennent pas toujours à se faire assister, même si ASF a commencé à le faire.
La LIPRODHOR estime qu'au cours des procès, "le principe de l'oralité des débats doit être appliqué strictement". Elle relève que toutes les Chambres spécialisées des tribunaux de première instance se conforment à cette règle, la lecture d'une déposition écrite n'étant faite que lorsqu'il s'agit d'un témoin absent. Les parties discutent les éléments apportés à l'audience, le Ministère public, le prévenu et la partie civile reçoivent les mêmes droits et notamment celui de poser des questions aux témoins, ajoute le rapport.
Faux témoignages
La LIPRODHOR dit avoir rencontré des cas de témoins qui font des déclarations mensongères à l'audience, soit en culpabilisant le prévenu, soit en le déchargeant. Elle en appelle aux autorités judiciaires pour décourager cette attitude "en appliquant strictement" la loi en la matière, surtout l'article 209 du Code Pénal rwandais. Cet article stipule que "quiconque sera coupable de faux témoignage devant les tribunaux sera puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de vingt mille francs rwandais (environ 67 dollars américains) au maximum, ou de l'une de ces peines seulement. Si l'accusé a été condamné à un emprisonnement supérieur à cinq ans, ou à la peine de mort, le faux témoin qui a déposé contre lui encourra la même peine".
La LIPRODHOR déplore en outre que "l'exécution des jugements sur le plan civil se fait toujours attendre. Les victimes et les ayant-droits qui ont intenté l'action en dommages et intérêts n'ont pas encore obtenu la réparation des dommages subis". La Ligue signale que les premiers arrêts ont été rendus au mois de mai 1997 et qu'il est donc "malheureux de voir que jusqu'à ce jour - "du moins en notre connaissance" - aucune exécution en matière civile n'a été effectuée".
En conséquence, il faudrait que "les instances habilitées se penchent sur ce problème et fassent le nécessaire afin que la partie civile obtienne paiement des dommages et intérêts dans les délais raisonnables", déclare le rapport.
WK/PHD/FH (RW&0425A)