Le témoin, à l'époque aspirante chez les Soeurs Hospitalières de Sainte-Marthe, a raconté au tribunal l'odyssée de sa fuite, début juin 1994, à partir de l'évêché de Kabgayi (près de Gitarama, au centre du Rwanda) encerclé par les deux armées belligérantes. Elle avait pu gagner la Suisse, où elle vit depuis.
Fuite avec un groupe de religieuses
Partie avec un groupe de religieuses, dans lequel se trouvait aussi la femme de l'accusé, elle a raconté avoir pu passer indemne les barrages des milices grâce à un papier que le bourgmestre de Mushubati lui avait délivré. Sur ce laissez-passer, contresigné par la préfecture, était faussement indiquée l'ethnie hutu.
"Ce papier m'a sauvé physiquement, moralement j'étais déjà morte", a-t-elle dit à la Cour, avant de s'effondrer en larmes en évoquant les paroles tenues par les miliciens sur les barrières. "Il n'y a plus de Tutsis vivants" lui ont dit les Interahamwe. L'ancienne religieuse a été ensuite incapable de reprendre son audition.
Témoignage à décharge d'un activiste des droits de l'homme
Dans la matinée, un activiste rwandais des droits de l'homme, Joseph Matata, avait affirmé au tribunal que l'accusé ne pouvait pas être tenu responsable ou considéré comme instigateur des massacres dans sa commune, car il se trouvait en France l'époque. A son retour au Rwanda, a relevé le témoin, "Niyonteze n'a pas pu s'opposer efficacement aux milices extrémistes qui tenaient le pouvoir par les armes".
Joseph Matata, ancien secrétaire permanent de l'Association rwandaise des Droits de l'homme (ARDHO) à Kigali, dit avoir mené sa propre enquête en 1996, à la demande de la femme de l'accusé.
D'après cette enquête, menée dans le cadre du Centre de lutte contre l'impunité (CLIR) fondé par le témoin à Bruxelles, les massacres dans la commune de Mushubati se seraient produits avant le retour du bourgmestre, qui n'aurait jamais incité à l'extermination des Tutsis. Toute l'administration civile de la commune aurait eu un bon comportement.
Questionné par le Tribunal sur les divergences entre son témoignage et les dépositions d'autres témoins, Joseph Matata a déclaré que "comme la justice rwandaise et le Tribunal international des Nations Unies", le Tribunal lausannois a prêté oreille aux propos tenus par des "délateurs".
Syndicats de délateurs
Ces personnes, organisées dans une sorte de "syndicat" par le pouvoir actuel de Kigali, seraient chargés d'"achever la guerre" en dénonçant les citoyens, parmi lesquels de nombreux innocents, a poursuivi le témoin.
Au début, ces "syndicats" étaient constitués par des rescapés tutsis, dans le but de s'emparer d'habitations, mais maintenant, des Hutus en font partie, a-t-il ajouté. Selon lui, la justice rwandaise serait particulièrement paralysée par l'action de ces syndicats.
Le Tribunal a encore entendu un prêtre rwandais, qui se trouvait à l'évêché à l'époque des faits. Ce témoin ne se souvient pas avoir vu l'accusé dans l'enceinte de l'évêché. Il n'aurait pas non plus vu de massacres, mais il en aurait entendu parler.
Le dernier témoin de la journée, le journaliste suisse Jean-Philippe Ceppi, a relaté son expérience professionnelle, lorsqu'il avait couvert sur place le début des événements d'avril 1994. Il a précisé à la Cour militaire que l'information a circulé jusqu'en Europe, paradoxalement, malgré le chaos qui régnait à Kigali.
DO/PHD/FH (FU§0422a)