Derrière les mauvaises herbes et les arbres de neem, se niche le musée d’Abomey. Un temple de plusieurs siècles d’histoire qui se laisse difficilement apercevoir. Il faut écarquiller les yeux et lire la pancarte rouillée « site des palais royaux d’Abomey inscrit sur la liste du patrimoine mondial » pour s’en convaincre. A quelques mètres de l’écriteau s’étend un long mur en terre battue présentant quelques fissures, avec une forme de vestibule au milieu. C’est l’entrée du musée. Elle mène vers une grande cour au sol de latérite. Photo interdite dans quasiment tout le musée, indique le guide. Les visiteurs ne sont pas autorisés à pénétrer dans les bâtiments en chantier, cachés par des feuilles de tôle, un peu en retrait. Le chantier n’est pas non plus ouvert aux journalistes.
Le circuit de la visite conduit la dizaine de visiteurs au Conseil du trône. C’est un bâtiment blanc sous une toiture rouillée, avec des bas-reliefs datant du 18e siècle – des têtes d'animaux et d’autres trophées de guerre incrustés dans le mur. Pendant une trentaine de minutes, nous parcourons une dizaine de pièces contenant des vitrines d’armes et d’effets personnels d’anciens souverains du royaume de Danhomè. Des vestiges bien gardés, sous des caméras perchées au niveau de plafonds en bambou.
Un projet de 50 millions d’euros
La case des reines mères paraît la plus délabrée, coiffée d’un toit en cône troué. Les murs en terre battue enduits de ciment qui séparent les différentes cours sont lézardées par endroits. Bref, l’aspect global du patrimoine de cette ville historique, située à environ 130 kilomètres de Cotonou, capitale du Bénin, n’est pas des plus reluisants. Et c’est pour donner un nouveau visage à ce lieu qu’est né le projet du Musée de l’épopée des amazones et des rois du Danhomè et de valorisation du site palatial, explique Alain Godonou, directeur du programme Musées à l’Agence nationale des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT). 50 millions d’euros – dont 15 millions venant du budget de l’État béninois et 35 millions de la France, y compris 25 millions sous forme de prêt, selon un accord rendu public le 3 juin dernier – pour un site qui s’étend sur 47 hectares, ont été mobilisés pour construire un musée aux normes internationales et réhabiliter sur le même site les quatre palais royaux Béhanzin, Guézo, Glèlè et Agoli Agbo, qui occupent à eux seuls une superficie de 14 hectares. Quatre architectes – dont deux Béninois, un Français et une Franco-camerounaise – travaillent sur le chantier, précise Alain Godonou, un pionnier de la réflexion sur la restitution des biens culturels à l’Afrique.
Car c’est ici que, près de 130 ans après leur pillage dans cette ville royale de l’actuel Bénin, devront enfin revenir 26 œuvres fameuses, volées en 1892 au royaume d’Abomey par les colons français sous les ordres du général Alfred Dodds et exposées depuis dans les musées de l’ancien colonisateur.
L’impatience des habitants
Près de la voie pavée jouxtant la devanture du musée, nous croisons quatre hommes d’un âge vénérable, assis à l’ombre d’un arbre et profitant visiblement de l’air frais. Après les civilités, nous entamons une petite discussion sur le rapatriement des œuvres du royaume de Danhomè. « On entend parler de ce retour depuis plus de quatre ans, mais on ne voit rien », peste l’un d’entre eux. « Ils ont dit que les députés français sont en train de voter une loi. Nous, on veut voir des choses concrètes », enchaîne un deuxième. Le troisième se plaint de l’état actuel du musée historique. « Regardez derrière vous ! Toutes ces herbes devant notre musée qui doit accueillir ces œuvres qui nous sont chères. On a appris sur les ondes qu’il sera réhabilité. Ils font étude sur étude pour construire le musée dans la cour des amazones, là-bas. Mais on ne voit rien. » Les habitants d’Abomey semblent trépigner d’impatience. Ils se montrent aussi presque révoltés par l’aspect actuel du musée. « Avancez un peu là-bas pour voir vous-même. Demandez au conservateur. Il est à l’intérieur » nous suggère-t-on.
30 octobre 2021. Telle est la date retenue pour le retour au Bénin des précieuses regalia, symboles du pouvoir royal. Les caisses les contenant devraient atterrir dans la nuit à l’aéroport de Cotonou, via deux vols distincts d’Air France. Mais ces statuettes, récades (sceptre royal, l'un des sept symboles d'autorité du souverain Fon), et trônes, ne regagneront pas tout de suite leur lieu d’origine. Car à Abomey, l’infrastructure d’accueil n’en est encore qu’à l’état de "maquette". Les grands travaux ne doivent commencer qu’en mars 2022 et devraient durer trois ans, précise Alain Godonou.
Ouidah, première étape du trésor retrouvé
Le lendemain de leur arrivée, les 26 pièces royales seront d’abord transférées à l’ancien fort portugais de Ouidah, un emplacement spécialement réhabilité pour les abriter provisoirement.
À Ouidah, les travaux sont déjà en cours. Le bruit assourdissant des scies électriques s’entend depuis l’entrée de l’ancien fort. Le chantier est entouré par des feuilles de tôle bleue. La nouvelle entrée prend progressivement forme. On y accède par un petit escalier aux marches en bois, avec des rampes incrustées de grosses pièces de graviers. Cet escalier débouche sur une esplanade tapissée de gazons naissants. L’aménagement paysager est en cours.
Ce chantier de 8 000 m2 se compose de deux lots, celui de la construction du Musée international de la mémoire et de l’esclavage (MIME) et celui de la réhabilitation du fort. Ce deuxième lot a été entamé il y a deux ans et demi. Le gros œuvre est déjà terminé, indique Godonou. Les œuvres à rapatrier seront provisoirement conservées dans l'enceinte du fort portugais. Le fort, c'est trois compartiments : la maison du gouverneur, la caserne et la chapelle. Avant d'être transférées dans l'aire d'exposition temporaire (la maison du gouverneur), les 26 œuvres seront installées dans la caserne. A notre passage mi-juillet, la charpente de la caserne était posée sous une toiture en tuiles rouges. Du côté de la maison du gouverneur, un bâtiment à un étage de 250 m2, les ouvriers étaient à la manœuvre sur la charpente et le mur en crépis attend son enduit blanc. Derrière cette maison se trouve un jardin orné de pots de fleur et de plants d’orangers, à proximité de grands manguiers et autres arbres.
Les préparatifs ne concernent pas que les infrastructures. Des plans de formations ont été conçus pour renforcer les capacités de conservateurs béninois et d’autres acteurs impliqués dans le domaine, explique le ministre du Tourisme, de la culture et des arts, Jean Michel Abimbola. D’après les prévisions, les formations ad hoc seront achevées avant le retour des 26 pièces d’art. « Nous aurons deux professionnels béninois qui iront en France et reviendront avec ces œuvres, avec des professionnel français » précise le ministre. Car au-delà des 26 œuvres, c’est toute une politique de formation qui est en œuvre pour que les professionnels béninois du patrimoine culturel soient au niveau. Le projet sur la restitution des biens culturels tient aussi à cœur au gouvernement parce que, justifie le ministre, il sera pourvoyeur d’emplois. « C’est une politique de mobilisation de ressources au profit de la jeunesse économique, une politique de coopération, de réaffirmation de la culture et de notre patrimoine » poursuit-il.
Le Bénin fait figure de pionnier dans les requêtes de restitution de biens culturels pillés pendant la colonisation. C’est à Cotonou qu’a eu lieu, du 30 juin au 3 juillet, la première réunion du comité régional de suivi du plan d’action 2019-2023 sur le retour des biens culturels africains, organisé par la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui regroupe 15 États de l’ouest africain, dont des anciennes colonies françaises, anglaises et portugaises.
L’action des descendants de la famille royale
Les 26 œuvres bientôt restituées appartiendront désormais au patrimoine national béninois. Mais jadis, elles étaient la propriété du royaume de Danhomè. Ce royaume est de nos jours circonscrit à la ville d’Abomey, au sud du pays. Et si cette ville, comme les 70 autres dans la République du Bénin, est dirigée par un maire, elle conserve sa tradition et maintient sa royauté.
Sur le trône d’Abomey depuis 2019, Dah Kêfa Sagbadjou Glèlè fait partie des descendants des rois pillés sous la période coloniale. Ce 19 juin 2021, il nous reçoit dans son palais privé. Une concession aux clôtures en terre battue et des pièces construites en ciment. Drapé d’un grand pagne, portant colliers et récade, le roi nous accueille dans son salon, assis sous une ombrelle tenue par une femme. A ses pieds, trône une sculpture de lion en bois. « Je suis très heureux que ces œuvres qui appartenaient à mes aïeuls reviennent sur nos terres » déclare-t-il. « Le jour du retour, je serai à l’aéroport de Cotonou pour les accueillir », annonce-t-il en ouvrant les bras, comme s’il enlaçait déjà les précieux biens.
Ce descendant des grands souverains fons – qui fait savoir qu’il est consulté dans le processus de rapatriement des œuvres – attend que les travaux de construction du musée d’Abomey commencent afin que les œuvres puissent y être conservées après l’étape à Ouidah.
Revendiquant son titre d'ayant-droit, l’un des princes du royaume d’Abomey, Serge Guézo, avait saisi, par un courrier du 15 avril 2015, le président français François Hollande, pour réclamer les artefacts des royaumes de Savè et d'Abomey. Il avait obtenu une audience avec la conseillère Afrique du chef de l’État français. Le prince, qui vit en partie en France, est convaincu que sa démarche a eu un impact sur le processus de restitution des pièces royales et c’est donc un motif de fierté pour lui de voir son vœu se concrétiser. C’est « un grand pas, qui a valeur de symbole pour notre continent africain » apprécie-t-il.
Mais ce n’est pas totalement satisfaisant, nuance-t-il. Au-delà des 26 œuvres, le prince Guézo mène des actions pour que les nombreux autres objets et restes humains se trouvant dans les musées français retournent à leurs terres d’origine. Il souligne aussi que les 26 œuvres attendues doivent faire l’objet de rituels car le temps passé en terre étrangère les aurait désacralisées. Interrogé sur la question, le ministre de tutelle laisse entendre que toutes les cérémonies nécessaires auront lieu à la réception des œuvres sur le sol béninois.