Selon l’avocat flamand, qui a brandi le risque de « l’erreur judiciaire », « il n’y a rien de concret dans le dossier ». Comme lors de son acte de défense, il a répété que Bernard Ntuyahaga « était au mauvais endroit au mauvais moment et qu’il n’a aucune responsabilité » dans les faits qui lui sont reprochés. Dans une plaidoirie parfois décousue, qui a duré une journée, il s’est présenté comme le seul « élément perturbateur » d’un procès « politique » : « C’est la politique belge qui est responsable de la mort des Casques bleus », a-t-il notamment affirmé. Le major Ntuyahaga n’aurait fait qu’aider les soldats onusiens. « Le 7 avril, Bernard Ntuyahaga a eu le courage de déposer 15 Casques bleus devant un poste de la MINUAR, qu’il connaissait, dans le camp Kigali », a résumé Me De Temmermann. Le major n’aurait ni incité les soldats du camp à tuer les paras, ni reçu de mission du colonel Bagosora : « Ils ne se connaissaient d’ailleurs pas », a dit l’avocat. Le Premier ministre Agathe Uwilingiyimana aurait été tué le même jour par un sous-lieutenant de la gendarmerie, Ntawilingira, selon Me Innocent Twagiramungu, co-conseil. Le sous-lieutenant n'aurait eu aucune relation avec Bernard Ntuyahaga qui est également accusé d’avoir participé à son assassinat. « Toute une série de témoins mentent », selon Me de Temmermann, qui attribue en retour les contradictions dans les versions successives des faits livrées par Ntuyahaga à de compréhensibles fluctuations de mémoire. Il a notamment mis en doute les témoignages clés d’Apedo Kodjo, observateur militaire de l’ONU au camp Kigali, et de quatre des cinq Casques bleus ghanéens qui avaient échappé in extremis au lynchage et avaient raconté avoir été désarmés et pris en charge avec les Belges à la résidence du Premier ministre. « Je sais prouver que Bernard n’était pas chez Agathe », a-t-il lancé aux jurés, faisant allusion à certains témoignages. D’après la version de l’accusé, les soldats onusiens, déjà désarmés, se seraient en effet adressés à lui sur un carrefour à proximité de la résidence du Premier ministre dont ils devaient assurer l’escorte, pour lui demander des les emmener dans un cantonnement de la force des Nations Unies. Me Innocent Twagiramungu a de son côté souligné ce qu’il estime être des lacunes de l’instruction, qui lui font soupçonner une « manipulation ». « On est privé de gens importants qui pourraient être sur le banc des accusés et qui pourraient nous éclairer sur les événements », a-t-il argué. Il s’est également interrogé sur le rôle exact de hauts gradés de l’ancienne armée rwandaise présents au camp militaire de Kigali pendant le lynchage des Casques bleus et qui « n’ont rien fait » pour l’empêcher, notamment les colonel Joseph Murasampongo et Léonidas Rusatira, respectivement G1 (personnel) de l’Etat-major et commandant de l’Ecole supérieure militaire (ESM). Tous deux étaient venus témoigner devant la Cour. Bernard Ntuyahaga, adjoint au G4 (logistique) de l’Etat-major, loin d’être un « super officier à qui rien ne résiste, qui intervient partout où il y a des mauvais coups », n’était « rien », a continué son second co-conseil, Me Bonaventure Mbarushimana. « Il n’avait que deux personnes sous ses ordres : un planton et un secrétaire. Comment aurait-il pu faire ce dont on l’accuse ? » Pour Me Mbarushimana, Bernard Ntuyahaga n’aurait donc pu commander à des militaires et à des milices sur des barrières dans son quartier de Kiyovu, où il est accusé d’avoir fait assassiner plusieurs familles. « Il est clair que ces militaires étaient de la Garde présidentielle basée non loin et ne pouvaient être sous les ordres de Ntuyahaga », a-t-il estimé. Aucune responsabilité ne lui incomberait non plus dans les massacres de Butare (sud), où il fut nommé commandant du camp militaire de Ngoma en juin 1994, « puisqu’il n’y commandait aucune unité opérationnelle », selon Me Mbarushimana. Accusé par les parties civiles et le procureur de négationnisme, Me De Temmermann a assuré n’avoir « jamais nié l’existence d’un génocide des Tutsis » mais a estimé que les éléments étayant la planification du génocide n’étaient qu’un « montage ». « L’enjeu du débat, c’est de savoir comment éviter que des bobards continuent à fonctionner », a-t-il déclaré. BF/AT/GF
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