Le nom de Jean-Marie Kasula a fait le tour du monde. Ce sont ses démêlés avec les responsables du Parc national de Kahuzi-Biega (PNKB), dans le Sud-Est de la République démocratique du Congo (RDC), qui ont valu une soudaine notoriété à ce chef d’un petit village d’autochtones pygmées. A l’annonce de son arrestation, en janvier 2020, certains médias locaux le présentaient comme « un seigneur de guerre semant la terreur et la désolation », au même titre que les chefs de groupés armés qui sévissent dans la région.
Mais quand le procès s’ouvre, il n’est pas accusé d’avoir tué ou ordonné de tuer des gens, ni d’avoir violé en personne ou ordonné de violer des femmes. Le chef Twa doit répondre d’actes de dégradation du PNKB. Le 4 février 2020, il est condamné à 15 ans de prison pour association de malfaiteurs, détention illégale d’armes et munitions de guerre et destruction de la flore dans les aires protégées. Jugés avec lui, sept autres membres de sa communauté, parmi lesquels deux femmes, sont également condamnés.
Une famille sur ses terres ancestrales
Kasula et les siens font aussitôt appel, avec l’appui d’une centaine d’organisations locales et internationales courroucées par le jugement. Ils nient être une association de criminels formée pour piller le parc et se présentent, au contraire, comme une famille se prévalant de ses droits sur les terres ancestrales. Ils affirment être retournés dans le parc non pas pour se livrer à « une destruction méchante de la nature », comme le décrit la condamnation, mais en quête de moyens de survie, le parc étant leur mère nourricière. Ils dénoncent enfin plusieurs violations de leurs droits durant le procès.
Dans l’attente du procès d’appel, Kasula et les deux femmes sont mis en liberté provisoire, tandis que les cinqautres hommes restent en prison. L’un d’entre eux succombera, du fait des mauvaises conditions de détention. Un autre rebondissement survient : pour avoir remis le pied dans le parc, Kasula est ré-arrêté en janvier 2021. Une deuxième procédure est intentée contre lui – dans laquelle il est, à nouveau, en liberté provisoire.
Le parc reste vainqueur
Le 30 juillet, dans l’après-midi, le jugement d’appel dans le premier procès tombe. La Cour militaire du Sud-Kivu acquitte les Twa du chef d’association de malfaiteurs, la plus grave des infractions portées à leur encontre. En revanche, elle confirme leur responsabilité pénale pour détention illégale d’armes et destruction de la flore dans le cas de Kasula et de quatre autres hommes et les condamne chacun à 15 mois de prison. Les deux femmes, elles, se voient infliger 12 mois d’emprisonnement après avoir été reconnues coupables du seul chef de destruction de la flore dans les aires protégées. Ayant tous passé en prison une durée supérieure à la peine, les juges d’appel ordonnent leur libération immédiate.
« La Cour nous a compris, elle n’a pas retenu l’infraction d’association de malfaiteurs, parce que les prévenus sont tous issus d’une même famille. Ce serait illogique de traiter toute une famille d’association de malfaiteurs », se félicite David Bugamba, un des avocats de la défense lors de la procédure en appel. Mais le parc reste vainqueur : chacun des condamnés doit payer un million de francs congolais (environ 500 USD) à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi par le parc. Et l’arrêt d’appel n’accorde toujours pas de terres aux Twa.
Un espace réservé aux autochtones ?
« Mais le combat continue parce que les droits des peuples autochtones pygmées sont toujours bafoués, poursuit Me Bugamba. S’ils n’obtiennent pas d’espace, ce serait considéré comme un génocide culturel, parce que les peuples autochtones Twa sont liés à la forêt, ils vivent mieux dans la forêt. Dans plusieurs pays au monde, il y a des espaces réservés aux autochtones, mais chez nous, il n’y en a pas. C’est un problème permanent. »
L’avocat congolais exhorte le gouvernement à « respecter les engagements » pris avec les Twa. « Il y a eu beaucoup d’assises, il y a eu des recommandations, mais l’Etat congolais traîne des pieds. Il ne veut pas honorer ses engagements, dont celui d’accorder un espace à ces peuples autochtones ». L’avocat évoque les négociations, organisées entre 2014 et 2019 pour tenter de régler à l’amiable le conflit avec le PNKB. Lors du dernier round de discussions, en septembre 2019, il avait été convenu, entre autres, d’identifier et de disponibiliser des terres au profit des communautés autochtones riveraines du PNKB. De leur côté, les Twa devaient mettre fin aux activités de déforestation et évacuer les zones qu’ils occupaient alors.
Des autochtones réduits à l’errance
Me Bugamba n’exclut pas de « saisir les instances régionales et internationales comme la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples » si le gouvernement n’accorde pas de terres aux Twa, « aujourd’hui réduits à l’errance ».
Pour Lassana Koné, juriste à Forest Peoples Programme (FPP), une des nombreuses ONG internationales mobilisées pour le procès en appel, le tribunal militaire du Sud-Kivu« aurait pu faire droit à la requête de la défense en établissant la responsabilité de l’Etat congolais qui tarde à trouver une solution satisfaisante et durable à la condition précaire des communautés Twa qu’il a expulsées de leurs terres ancestrales, sans leur consentement, sans aucune compensation, ni aucun plan de réinstallation ».
« Les défis demeurent et le principal enjeu aujourd’hui est de trouver une solution durable à la précarité et la misère née de la dépossession des communautés de leurs terres ancestrales », poursuit-il. Il exhorte le gouvernement congolais à « reconnaître que la situation de marginalisation et de pauvreté actuelle de ces communautés est une conséquence de leur expulsion du parc dans les années 1970 ». Une fois reconnue, ajoute-t-il, « cette injustice doit être réparée afin qu’elles puissent vivre dans la dignité ».
« Les limites du parc ne seront jamais revues »
Pour le PNKB, il n’est pas question de toucher au parc pour donner de l’espace aux Twa. « Les limites du parc ne seront jamais revues pour ça », déclare à Justice Info le directeur du parc, De-Dieu Byaombe. Selon lui, les communautés riveraines de cette aire protégée ont vendu les 15.000 hectares de terres qui leur avaient été cédées par l’Etat (zaïrois, à l’époque) en 1975. « La même chose va se reproduire : ils vont vendre et rien ne sera durable », poursuit Byaombe qui dit n’avoir « jamais accepté cette thèse qui soutient que les Pygmées, nomades, ont été chassés » du parc.
Parlant de l’arrêt du 30 juillet, Byaombe fulmine : « Nous savons qu’il y a des ONG qui ont donné beaucoup d’argent pour acheter ce jugement. Cela fragilise la justice dans notre pays. » Avant de changer de ton : « Notre plus grand souci est une cohabitation pacifique, amener les Twa riverains du parc à prendre conscience que cette conservation est faite pour eux, leurs enfants et leurs petits-enfants ». « Il est vrai que cette catégorie de riverains forestiers doit toujours attirer notre attention et que leur vie décente doit être notre préoccupation », dit-il, tout en assurant que le PNKB apporte sa contribution à la scolarisation de 1.500 enfants Twa pour l’année scolaire en cours et qu’il emploie à ce jour, parmi son personnel, soixante membres de cette communauté.
Kasula, l’arbre qui cache la forêt
Les Twa de la région des Grands lacs se retrouvent également au Burundi, au Rwanda et en Ouganda, confrontés à des problèmes similaires. Dans un arrêt rendu le 20 août à Kampala, la Cour constitutionnelle d’Ouganda a jugé le gouvernement coupable d’avoir chassé les Twa de leurs terres. Ils ont « été défavorisés par l’éviction de ces terres et par le non-paiement d’une compensation appropriée qui aurait pu aider à leur réinstallation dans des terres similaires. Ils se sont retrouvés sans terres, ce qui a, non seulement affecté leurs moyens de subsistance ; mais aussi détruit leur identité, leur dignité et leur fierté en tant que peuple et en tant que citoyens égaux des autres Ougandais », ont unanimement conclu les cinq juges. En Ouganda, ces autochtones ont été chassés de leur milieu naturel dans la forêt d’Echuya, dans le Parc national de la forêt impénétrable de Bwindi et dans le Parc national des gorilles de Mgahinga, trois aires protégées du sud-ouest du pays.
En Ouganda, au Rwanda et au Burundi, tout comme en RDC, les Twa souffrent de marginalisation sociale et comptent parmi les catégories les plus pauvres de la population.