Classé au patrimoine mondial de l’Unesco, le Parc national de Kahuzi-Biega (PNKB) est convoité par diverses milices opérant dans la région du Sud-Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Parmi ces milices figure celle de Chance Mihonya qui avait élu domicile, depuis 2019, dans cette aire naturelle protégée. Ce capitaine, déserteur de l’armée congolaise, clamait vouloir défendre le droit des pygmées à vivre sur leurs terres ancestrales dans le PNKB. Mais « ses véritables motivations ont vite émergé : une exploitation des ressources protégées de Kahuzi-Biega, en vue de s’enrichir », dénonce TRIAL International, une organisation non-gouvernementale engagée dans la lutte contre les crimes internationaux, très active auprès des victimes congolaises. « Concrètement, M. Mihonya et ses hommes ont abattu des arbres pour en vendre le bois et les braises et creusé des mines pour extraire le minerai des sols. Avec l’argent de ces ventes, M. Mihonya achetait des armes pour sa milice » qui faisait la pluie et le beau temps dans les environs, ajoute l’ONG, reprenant la thèse du procureur de la justice militaire nationale.
En mai 2020, Mihonya, autoproclamé colonel, a finalement été arrêté lors d’une opération conjointe des écogardes du Parc et de l’armée congolaise.
Des crimes graves et un co-accusé ajoutés au dossier
Le procès s’est ouvert en novembre suivant, sans accusations de crimes internationaux. Mais à la demande des parties civiles, les débats ont été suspendus pour permettre au procureur de mener une enquête supplémentaire. Ce dernier est revenu en avril 2021 avec un acte d’accusation impliquant non seulement Chance Mihonya mais aussi le major Benjamin Mazambi Bozy. Mihonya, 46 ans, est désormais accusé de crimes contre l’humanité (privation grave de liberté, meurtre, autres actes inhumains, viol), crimes de guerre (conscription ou enrôlement d’enfants, utilisation des enfants de moins de 18 ans dans son groupe armé, désertion), ainsi que de crimes environnementaux (violation et destruction des aires protégées, construction dans les aires protégées). Mazambi Bozy, 49 ans, est lui aussi poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, pour avoir, selon l’accusation, fourni des munitions et armes de guerre à la milice de Mihonya, entre 2019 et 2020.
Le nouveau procès s’est ouvert le 13 septembre, sur les lieux des faits, à Katana, à environ 50 kilomètres au nord de Bukavu, capitale régionale du Sud-Kivu. Parfois jusqu’à la tombée de la nuit, des centaines d’enfants, de femmes et d’hommes ont assisté à six jours d’audiences élastiques. Les débats se déroulent en plein air, sauf quand la météo ne le permet pas ou que le huis-clos est indispensable, notamment pour entendre des témoins victimes de viols.
Pas de chance pour Chance
Mardi 21 septembre, le jugement est tombé dans l’après-midi, en présence de membres de la famille de Mihonya, un enfant des lieux. Celui que ses parents avaient nommé « Chance » dans l’espoir que ce prénom en vogue dans l’Est de la RDC éloigne de lui le mauvais sort au long de sa vie, en a semble-t-il manqué. Le chef milicien est reconnu coupable de tous les chefs d’accusation portés contre lui. Pour chaque crime de guerre et crime contre l’humanité, les juges militaires lui infligent la perpétuité, exception faite du « crime d’enrôlement et d’utilisation des enfants », qui lui vaut 20 ans de prison. Pour les crimes environnementaux, il écope de 3 ans pour violation de réserve naturelle et de 12 mois de prison pour construction d’une maison et d’un hangar dans le PNKB.
La chambre retient donc une peine unique, la plus lourde : la prison à vie. S’agissant des dommages et intérêts, Mihonya est condamné à verser 50.000 dollars américains au PKNB pour les divers préjudices subis. Les 87 autres parties civiles – dont 14 femmes violées et 8 enfants de moins de 18 ans – ne sont pas oubliées. Le condamné devra, « solidairement avec l’État congolais », reconnu civilement responsable, verser à chacune un montant variant entre 3.000 et 10.000 dollars, selon la gravité du tort.
Aucune circonstance atténuante n’est retenue, même si Mihonya a reconnu certains faits de l’acte d’accusation.
Pas de crimes internationaux, selon la défense
Pour le major Mazambi, en revanche, c’est la fin du cauchemar. L’officier est acquitté, faute de preuves. Certains de ses supérieurs hiérarchiques ont en effet déclaré, à la barre, n’avoir jamais constaté, dans leur stock d’armes, de perte de matériel de guerre alors que Mihonya avait affirmé, lors de l’enquête, que le major lui avait vendu des armes de son unité.
« Justice a été rendue. Chance n’a manifesté aucune volonté de se repentir, il n’a pas exprimé de remords. Au contraire, il se vantait comme si c’était son droit de commettre ces crimes », lâche David Bugamba, l’un des avocats des parties civiles. Quant à l’acquittement du deuxième accusé, Me Bugamba estime que « le juge a fait son travail », concédant que la preuve à charge n’était pas solide.
« Nous ne nous attendions pas à un acquittement pour Chance Mihonya mais à une peine moins lourde », indique son avocat, Paul Bushabu Mabosho. Il annonce faire appel. Selon lui, les critères n’étaient pas réunis pour poursuivre leur client pour crimes internationaux. « Il opérait d’une manière isolée, sporadique. On ne peut pas parler de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Nous l’avons fait valoir mais la cour a préféré suivre le procureur », défend l’avocat, avant d’exprimer « un sentiment de joie » au sujet de l’acquittement du major Mazambi.
« Une victoire du droit de la nature »
« Nous saluons cette condamnation de Chance Mihonya pour crimes environnementaux. Les autres criminels liés à ce réseau mafieux vont avoir peur, comprendre que les choses ont changé. Nous encourageons la justice à poursuivre la traque de tous les criminels environnementaux pour qu’ils répondent de leurs actes, comme Chance », se réjouit pour sa part Josué Aruna Sefu, coordinateur de la société civile environnementale du Sud-Kivu. « Ces crimes environnementaux nourrissent l'activisme des groupes armés disséminés dans les forêts et établis dans les aires protégées, comme c'est le cas au parc national de Kahuzi-Biega. L'exploitation minière illicite et illégale dans les aires protégées leur permet de s'approvisionner en effets de guerre, semant la panique et la désolation au sein des communautés locales », souligne le militant écologiste.
Avocat environnementaliste dans le Nord- Kivu, autre partie de l’Est de la RDC où des groupes armés pillent et vendent les ressources naturelles, qui leur donnent les moyens de leurs crimes contre la population civile, Olivier Ndoole salue également « une victoire du droit de la nature ». Il souligne que le trafic illégal du bois, de l’ivoire ainsi que la pêche illicite dans l’écosystème du Parc national des Virunga, au Nord-Kivu, illustre « la liaison entre ces crimes environnementaux et les morts, les exécutions sommaires extra-judiciaires et la déstabilisation de la République ». Pour l’avocat, la tâche reste cependant immense. « Pour arriver à la paix et à la stabilité en RDC, il faut arrêter l'hémorragie écologique. La Cour pénale internationale, le Conseil de sécurité et les autres structures internationales doivent désormais prendre au sérieux la question des crimes environnementaux des groupes armés dans la partie Est de la RDC. Il faut bloquer les canaux financiers de ces groupes armés, soutenir les efforts multi-acteurs et spécialement les efforts judiciaires », plaide Me Ndoole.
« C'est l'un des jugements les plus sévères jamais prononcés par la justice militaire contre d'ex-militaires dans l'Est de la RDC. Mais puisque des crimes de droit international avaient été retenus, il ne pouvait en être autrement, la peine ne pouvait être moins lourde », analyse un observateur juriste du procès. « S'agissant de la communauté pygmée que [Mihonya] prétendait défendre, elle semble avoir pris ses distances avec lui », ajoute-t-il.